Figure incontournable du PAD, avec son mobilier des années 1950 devenu iconique, François Laffanour décline aussi chez lui ce goût, en le panachant d'art contemporain et de fantaisie.
Surtout ne pas prendre tout cela trop au sérieux... François Laffanour répète souvent cette formule et c'est ce qui a présidé à la décoration de son nouvel appartement parisien. Les amateurs comprendront pourquoi : le mobilier que propose le marchand dans sa galerie comme sur son stand du PAD, dont il est un acteur majeur, ne cesse de battre des records. Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Pierre Jeanneret, Jean Royère, autant de noms qui résonnent comme des trophées, des icônes de l'histoire des arts décoratifs aussi célèbres aujourd'hui que les artistes stars du XXe siècle.
« Un engouement a entraîné l'autre, ce sont les collectionneurs d'art contemporain qui se sont passionnés pour ces meubles et ont fait s'envoler les prix. » Mais devant ce phénomène, dont il reconnaît être très heureux, François Laffanour garde la tête froide. « J'ai ouvert ma galerie rue de Seine en 1982. J'ai fait la première exposition consacrée à Jean Royère un an plus tard. J'ai montré Jean Prouvé en 1985. J'ai connu Charlotte Perriand. Cela fait quarante ans que je défends ces créateurs. J'ai eu la chance et le goût d'acheter au moment où ça ne valait pas cher. Avec quelques-uns, nous avons créé ce marché et tant mieux si l'heure de la reconnaissance a sonné, mais pas question de vivre comme dans un musée. »
Démonstration dans son salon avec le célèbre canapé « Ours polaire » de Jean Royère, dont l'assise témoigne d'une fréquentation assidue. Faut-il rappeler qu'un modèle semblable a été adjugé 980 000 euros en novembre dernier chez Christie's ? « J'en ai vendu un à un client qui interdisait à ses enfants de s'asseoir dessus... » Ce n'est pas le genre de la maison, où l'on aime recevoir. Idem pour les tabourets de Charlotte Perriand, Pierre Chareau et Jean Prouvé. « Quand on fait des soirées, tout le monde les utilise. C'est mon luxe. » Une décontraction très séduisante qui a aussi une autre raison : « Certains collectionneurs pensent que ce genre de mobilier impose des décors dépouillés, une mise en scène minimaliste. J'essaie au contraire de le marier avec de la couleur, de la gaîté, une pointe d'humour. J'ai toujours aimé mélanger les choses, la rigueur et la fantaisie. » Pour preuve, cette femme sculpturale et voluptueuse d'Allen Jones, ces « Signaux » de Takis ou ces boules en verre coloré rapportées du Mexique.
Dans la salle à manger où trône une autre pièce muséale, la table de la bibliothèque de la Maison de l'étudiant à Paris, réalisée par Charlotte Perriand et Jean Prouvé, une silhouette féminine de Daniel Firman, troublante de réalisme, est appuyée contre un mur. Effet garanti. « Elle s'appelle Laurie », glisse François avec un air malicieux. Une grande coupe en verre d'Ettore Sottsass, une table de Pierre Jeanneret conçue pour l'hôpital de Chandigarh et des chaises en paille de Charlotte Perriand signent une cuisine pas tout à fait comme les autres. Mais au mur, à côté d'une oeuvre de Richard Prince et d'une lampe d'Andrea Branzi, un coucou suisse rapporté de Zermatt brouille les pistes. « Quelqu'un m'a dit un jour : cher ami, de qui est cette oeuvre ? Ça m'a fait sourire. »
Etonnantes aussi, ces guitares électriques qu'on découvre au fil des pièces. Présence subliminale de celle qui partage la vie de François, Alexandra Roos. Après avoir mené une carrière de chanteuse et de musicienne, elle a créé avec sa mère, experte en la matière, une marque de parfums, Roos & Roos, avec des fragrances au nom comme des titres de chanson : Sympathy for the Sun, Pale Blue Eyes, A Capella, Song for a Queen... Mais Alexandra n'a pas pour autant renoncé à sa première passion, qui a réveillé celle de François ! « Adolescent, je faisais partie d'un groupe de rock, mais on a chacun son style : je joue sur une Gibson et Alexandra sur une mythique Fender Stratocaster ! » Dans le bureau, à côté des tabourets de George Nakashima, l'ampli est prêt à être branché. Au mur, une grande toile de Martin Borowski, achetée à New York, témoigne de la curiosité très pointue du marchand. Cet intérêt pour l'art contemporain est tout aussi ancien que celui pour le design. La sculpture d'Allen Jones, comme celles de Nam June Paik et de Jean-Pierre Raynaud, les Takis ou les néons de Jenny Holzer le suivent depuis des années.
Plus récemment, François Laffanour a acquis une oeuvre de Richard Serra. Un trophée comme les aiment ses collectionneurs... « Je suis sensible à sa sculpture et j'adorerais en avoir une à la campagne ! » Il éclate de rire. « Plus sérieusement, c'est un artiste international qui est devenu un classique et j'ai été ravi quand j'ai eu l'opportunité d'acquérir cette pièce. » Mais ne pas croire à une quelconque idée de spéculation, tout marchand qu'il est. Car il parle avec le même enthousiasme de l'artiste James Brown - « Je ne suis pas certain de ne pas le préférer à Basquiat » - ou du tableau surréaliste de Marlène Mocquet qu'il a accroché au-dessus de son lit et qui détonne un peu avec le fauteuil de Jeanneret et les tables de Noguchi. Sans oublier sa nouvelle recrue, l'artiste Richard Texier, qu'il a exposé en 2019 et dont un chandelier en bronze orné de poissons se dresse sur une table, dans l'entrée, à côté d'une petite lampe de Serge Mouille. Le choc des contraires. « Sa poésie me touche. À l'inverse de ce qu'on pourrait croire, j'aime aussi des choses qui ne sont pas radicales, du mobilier d'artistes comme Diego Giacometti ou les Lalanne. J'adorerais avoir un miroir ou un grand candélabre de Claude. » Un aveu qu'on aurait eu du mal à imaginer avant de visiter cet appartement. Mais François Laffanour sait faire cohabiter l'épure et le baroque, le sérieux et le clin d'oeil, le beau et l'utile. « Je ne suis pas collectionneur, je vis simplement entouré d'oeuvres achetées par coup de coeur, d'où cet éclectisme. Je suis sensible à la créativité de chacune et je trouve qu'elles ne rivalisent pas entre elles mais qu'elles se répondent, l'énergie de chaque artiste dynamise l'appartement. » Et surtout ne pas prendre tout cela trop au sérieux...
Eric JansenÀ lire aussi sur SLTous droits réservés - Les Echos 2020