Je remercie sincèrement mon ami Alain de Bruxelles d'avoir écrit mon précédent journal afin que cette histoire ne soit pas interrompue. La veille, la journée a vraiment trop angoissante. Il m'était difficile de rassembler mes pensées pour écrire ne serait-ce que quelques lignes. Les explosions devinrent plus intenses, tonnant constamment. J'ai quitté mon abri. Je suis dans l'appartement maintenant pour vous écrire ces quelques lignes.
21e jour de la guerre. Un couvre-feu intensifié est actuellement en vigueur à Kiev. Qu'est-ce que ça veut dire ? Habituellement, auparavant, cela durait du soir au matin. Maintenant il est imposé deux jours entiers ! Nous ne sommes pas autorisés à sortir ou à conduire pendant deux jours ! On ne peut quitter l'appartement que pour se rendre au refuge ou en revenir. On ne peut pas se rendre au magasin ou à la pharmacie.
Kiev est l'un des principaux objectifs de l'ennemi. Et la situation autour de la ville reste fort tendue. L'ennemi bombarde des immeubles résidentiels dans la capitale ukrainienne. Et il est possible que des groupes de sabotage pénètrent dans la ville. C'est pourquoi nous sommes très prudents même lorsque nous courons de notre immeuble à l'abri antiaérien.
En ce moment, il nous faut absolument des idées pour nous distraire du bruit des explosions à l'extérieur. Il y a quelques jours, j'ai essayé, et cela s'est plutôt bien passé. Dans ma famille, ma sœur aînée est la plus effrayée par les explosions, et pour cause : il faut se rappeler qu'elle a passé deux semaines dans un sous-sol de la ville de Boutcha, et que des avions de chasse et des hélicoptères ont survolé leur maison pendant que l'artillerie tirait en permanence. A un tel point que la porte a été arrachée. C'est un peu plus calme à Kiev, dit-elle. Mais toujours des explosions. Un soir, c'était trop perturbant. Et j'ai proposé … de regarder un film. C'est une proposition qui me ressemble bien, j’adore les films, ma famille le sait. Pour ma sœur, j'ai choisi le film "Yesterday" de Danny Boyle. L'histoire parle d'un gars qui se retrouve soudain être la seule personne sur la planète à avoir entendu parler des Beatles. Il est devenu une superstar après avoir réintroduit leurs chansons dans le monde. Nous sommes tous les deux de grands fans du "Liverpool four". Ma sœur m'avait offert leur vinyle quand j'avais 10 ans. C'était encore l’Union soviétique.
Imaginez juste le spectacle : nous sommes allongés sur le canapé, des obus explosent devant la fenêtre et nous regardons un film. Et mon seul souhait est que les chansons des Beatles étouffent le vacarme des obus à l'extérieur et que ma sœur retrouve un peu son calme.
Nous restons à Kiev. Nous avons l'intention de survivre. Pas le choix.
PRÉC: Un hiver en caravane