Quand vous ne voyez que des sacs bien fatigués qui ont fait leur temps, elle voit de beaux potentiels. Tablier autour de la taille, dans un atelier qui embaume le cuir, Lise Harribey, 42 ans, trie d’un œil expert des pièces de cuir, des boucles, fermoirs et fermetures éclair destinés à une seconde vie.
On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie, mais cette communicante a récemment mûri un projet de reconversion qui a débouché sur la création d’une entreprise, Mutane, en février 2021 à Lapouyade en Gironde. Elle y fabrique des cartables et de la petite maroquinerie (pochettes, portefeuille, porte-cartes, bourses etc.) exclusivement à partir de cuir de seconde main, récupéré auprès duRelais Gironde, de particuliers ou en déchetterie. Ce cuir, s’il n’est pas récupéré, finit enfoui ou incinéré. Il n’est pas recyclable.
Des créations en fonction des trouvailles
« Je travaille uniquement avec du cuir véritable, post-consommation ; je n’achète ni du cuir neuf ni des chutes », précise-t-elle d’entrée, très attentive à la sobriété de son projet. « Je démonte les sacs (parfois récupérés auprès du Relais) pour la bouclerie (boutons aimantés, fermetures éclair, etc.) et j’ai aussi un partenariat avec le Smicval, syndicat mixte Intercommunal de Collecte et de Valorisation du Libournais et de la Haute-Gironde, pour récupérer du cuir de canapé ». Jusqu’à maintenant c’est son père, fréquentant assidûment les déchetteries comme tout bon bricoleur, qui lui dégotait des canapés en cuir à dépecer.
« Sur les canapés, on arrive à récupérer le dos et les côtés, certaines fois le dossier et les coussins aussi », détaille Lise Harribey. Une fois les canapés scalpés, elle nettoie les plus belles pièces à l’eau savonneuse, leur administre un baume rénovateur si besoin, et peut même les reteinter à certains endroits. « Le défi est de savoir comment on fabrique en série pour optimiser à la fois le temps et le modèle économique, mais avec la contrainte de la ressource » livre-t-elle. Ses créations sont conditionnées par ses trouvailles car elle s’astreint à n’acquérir aucune pièce neuve. Elle achète seulement son fil sur des fins de stocks ou des vides ateliers. « Avec ce canapé, montre-t-elle, je m’étais dit que je pouvais faire un cartable ou deux et finalement il y a une griffure au mauvais endroit et je ne peux en faire qu’un. »
Du made in France, artisanal
Une fois les matériaux identifiés, c’est de la maroquinerie classique, comprenez « découpage, patronage et assemblage » mais avec du cuir déjà usé. Il lui faut en moyenne quatre à cinq heures pour faire un cartable, la pièce phare de sa collection. Il a été imaginé pour le projet de fin d’étude de son CAP maroquinerie, pour la rentrée de son fils à l’école. Des trousses assorties, pochettes, protège-cahiers sont aussi confectionnées par la maroquinière pour sa gamme « rentrée des classes ».
« Il y a peut-être deux mais pas trois sacs identiques, ce sont de toutes petites séries », explique Lise Harribey. A ceux qui tiquent sur le prix, 160 euros pour un cartable, elle répond que c’est du made in France artisanal et qu'« un cartable uni peut se transformer en sac à main après avoir fait son temps à l’école. » Robustes, les articles sont aussi réparables auprès de Mutane, en cas de besoin. Des essais ont été réalisés avec un ESAT (employant des personnes en situation de handicap) à Mérignac et une entreprise adaptée de Charente pour leur attribuer une partie des tâches. « Ce coût ESS (économie sociale et solidaire) a aussi été intégré au tarif des produits », précise-t-elle.
Lise Harribey espère proposer bientôt des bananes et des tote bag, à l’aide de cuir très souple de veste. Parmi ses premiers clients, certains des 106 copropriétaires de la Possiblerie, un tiers lieu dans lequel elle a installé son atelier et qui existe depuis quatre ans. Le bouche-à-oreille et les événements du tiers lieu lui ont déjà donné une première visibilité. Son site deviendra marchand dans les prochains mois et viendra rendre encore plus accessible « la maroquinerie d’après », comme elle aime l’appeler.
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