Parler d’argent, en France, c’est encore tabou. Pourtant, c’est un sujet passionnant, et par certains aspects… féministe ! Dans notre rubrique Règlement de comptes, des personnes en tout genre viennent éplucher leur budget, nous parler de leur organisation financière (en couple ou solo) et de leur rapport à l’argent. Aujourd’hui, c’est Elsa qui a accepté de nous ouvrir ses comptes.
Les revenus d’Elsa et de son mari
Pour son travail salarié en CDI dans le domaine de la technologie, Elsa touche 2 036€ par mois. Quand on lui demande si elle s’estime bien payée, elle répond :
« Compte tenu de mon expérience et de mon domaine de travail, je m’estime mal payée. Mais d’un autre côté, j’arrive à très bien vivre avec cette somme… C’est une question compliquée ! »
Son mari touche un salaire similaire, 2 100€ mensuels. Sans autre source de revenu, cela leur fait un budget total de 4 136€ chaque mois.
Le rapport à l’argent d’Elsa et de son mari
Pour comprendre les dépenses d’Elsa et de son conjoint, il est important de comprendre leurs rapports à l’argent respectifs. En effet, ils viennent de milieux sociaux très différents, comme l’explique Elsa :
« Je viens d’une famille très aisée où on ne nous a pas appris à gérer. Longtemps, j’ai vu l’argent comme quelque chose qui vient sans effort, comme une garantie de la vie. Mon conjoint, à l’inverse, vient d’un milieu ouvrier : sa famille avait beaucoup de mal à la fin du mois. Sa plus grande peur aujourd’hui c’est d’avoir un frigo vide ou de ne pas pouvoir acheter des vêtements à ses enfants.
J’ai quitté ma famille de manière abrupte à la fin de l’adolescence, et du jour au lendemain, je me suis retrouvée à vivre seule et avec des petites sommes. Mais je n’économisais pas, et j’étais tous les mois à découvert. »
C’est quand elle a commencé à vivre avec son compagnon qu’Elsa a commencé à gérer son budget:
« J’avais les moyens d’avoir un appartement parce que mes parents étaient obligés de me donner de l’argent pour vivre, alors qu’il n’avait rien. Je lui ai proposé de vivre chez moi, et j’ai pris en charge toutes les dépenses. Lui se sentait très mal de dépendre de moi, et dès qu’il a pu, il a commencé à travailler pour participer.
Quand je vivais seule, cela ne me dérangeais pas de sauter un repas de temps en temps. Mais quand il est arrivé chez moi, je n’ai pas voulu lui imposer ma mauvaise gestion : j’ai appris à faire beaucoup plus attention. »
L’organisation financière du couple
Après des années de galère financière, la situation d’Elsa et de son mari s’est stabilisée il y a un an environ. Désormais tous les deux en CDI, ils paient leurs dépenses communes à partir d’un compte joint mais gardent chacun un compte courant et un compte épargne individuel.
« Même si nous gagnons à peu près la même chose, il était très important pour nous que chacun aie son propre compte. D’abord, pour pouvoir avoir une sorte de “jardin secret”, et acheter ce que l’on souhaite sans que l’autre le sache, mais aussi pour rester libres.
Mes parents avaient tout leur argent sur un compte commun, et mon père se servait de ça pour contrôler les dépenses de ma mère, et je ne veux surtout pas reproduire cela. »
Sur ce compte commun sont prélevé les courses, leur loyer, leurs assurances, et leur remboursement de prêt. Le reste est réparti sur leurs comptes personnels. Chaque mois, ils y versent une somme équitable en fonction de leurs salaires nets : si l’un d’eux gagne moins, l’autre prendra en charge plus de dépenses.
Les dépenses d’Elsa et de son mari
La dépense la plus élevée du couple se trouve, comme souvent, dans le loyer. Pour leur appartement de 70m2en banlieue d’une grande ville, ils paient la somme de 550€ par mois. Mais pour ce même bien, ils n’ont pas toujours payé cette somme :
« Nous sommes locataires d’un appartement à tarif réduit (1% logement). Nous y avons eu droit car nous étions sous le seuil de pauvreté il y a deux ans. Le prix du logement s’adapte à notre salaire : au début nous payions 150 euros par mois, et maintenant 550. Mais nous avons pour projet de déménager dès que possible, pour laisser la place à d’autres personnes qui en auraient besoin. »
Pour l’obtenir, le couple aura attendu deux ans. En plus de leur loyer, ils paient 165€ de factures par mois pour l’eau, l’électricité et le gaz. Une somme qui a pratiquement doublé le mois dernier, à cause de l’augmentation des prix de l’énergie.
Du côté des courses alimentaires, le couple estime à 340€ mensuels le coût de leur alimentation bio, et végétarienne.
« Notre voiture, c’était notre première folie »
La deuxième plus grosse dépense mensuelle d’Elsa et de son mari est le remboursement d’un crédit : celui qu’ils ont contracté pour acheter une voiture, qui leur coûte 418€ par mois. Elle raconte :
« Notre folie, après 6 ans de galères financières, c’était d’acheter notre première voiture. Nous l’avons achetée d’occasion, mais dans une gamme assez chère : nous voulions une hybride, et automatique. Cela fait un gros prêt ! »
Ce sont donc 20 000€ qu’ils remboursent sur trois ans pour leur véhicule, qui leur coûte par ailleurs une trentaine d’euros par mois en essence, et 97€ de frais d’assurance.
Ils ont aussi quelques dépenses pour la santé de leur chat : celui-ci est trop âgé pour être éligible à une mutuelle et a besoin d’un traitement régulier qui peut être assez cher. Entre les frais vétérinaires, sa nourriture et sa litière, il leur coûte 50€ chaque mois.
Enfin, leurs dépenses fixes comprennent 15€ de frais bancaires, 10€ d’assurance habitation,25€ pour un abonnement internet, et 30€ pour du streaming de films et de musique.
En tout, c’est donc 1 681€ de dépenses communes que se partage le couple chaque mois.
Les dépenses personnelles des deux époux
Une fois ces frais réglés, chacun des époux garde environ 220€ sur son compte courant individuel. Ils dépensent cette somme pour leurs frais personnels, leurs loisirs… Elsa réparti cette somme comme suit :
« Ce qui me coûte le plus cher, ce sont des cours de chinois à 40€ par mois. Je paie aussi 45€ pour une séance avec une psychothérapeute.
Ensuite, je paie mon forfait téléphonique, mes frais de santé quand tout n’est pas toujours remboursé, 10€ de snacks, quand j’ai envie d’un pain au chocolat en sortant du boulot par exemple, et 30€ de dons à des associations par mois. »
Son conjoint, quant à lui, a pris la décision de payer toutes les dépenses dites « féminines » ainsi que la contraception. Cela s’élève à 40€ par mois environ :
« C’est lui qui a décidé de payer tous les produits d’hygiène menstruelle, la contraception, et mes rendez-vous chez l’esthéticienne. Un jour, il m’a dit « mais tu paies beaucoup pour tout ça, ce sont des dépenses que je n’ai jamais eu ! Allez, je le prends en charge. Il s’éduque pas mal dans son coin avec des comptes féministes sur Instagram, et je pense que ça l’a rendu sensible à ces questions. »
Du côté des loisirs, Elsa et son mari privilégient les choses gratuites, à faire à la maison : se former sur YouTube à de nouveaux talents, dessiner, lire, bricoler… Elle raconte :
« Nous ne sortons pas beaucoup, un ciné et un restaurant par mois maximum. Nous n’allons jamais dans des bars par exemple, cela ne rentre pas dans le budget. Dans le passé, nous n’avions pas assez d’argent pour le faire, et c’est devenu une habitude.
Ca ne me dérange pas : quand je pense à mes parents avec qui j’allais au restaurant tous les jours, je me dis que ces moments n’avaient aucune valeur. Alors que maintenant, ces sorties sont spéciales, et on en profite !»
« La peur de manquer, c’est un trauma »
Si Elsa et son mari restreignent leur dépenses personnelles à environ 200€, c’est parce qu’ils tiennent à économiser autant que possible :
« La peur de manquer, c’est un trauma. Quand j’ai fini mes études et que je me suis retrouvée sans aucun revenu, avec mon mari qui gagnait 700 ou 800 euros par mois, c’était très compliqué : le moindre souci de santé devenait un trou dans le budget, on n’avait pas les moyens d’économiser quoi que ce soit…
Depuis, notre situation s’est stabilisée mais nous n’osons pas vraiment nous faire plaisir. La priorité, c’est d’être sûrs que nous pouvons assurer notre sécurité financière. Dès que nous avons trouvé nos boulots respectifs, on s’est dit : « n’ajoutons pas de nouvelles dépenses, et gardons notre standard de vie plus bas que ce que nous gagnons. »
Depuis, ils épargnent environ 1 000€ par mois, avant tout par besoin de sécurité. Car même avec un CDI, elle sait que les choses stables ne sont pas toujours vouées à le rester. Elle renchérit :
« Dans le domaine de la tech, ça bouge beaucoup. Ce sont des milieux qui peuvent être difficile à vivre : moi, j’ai déjà vécu du sexisme, du racisme au travail… ça nous est arrivé de démissionner parce que l’entreprise était toxique et dans ce cas là on a aucune aide.Pour nous, être bien au travail, c’est très important : on aimerait pouvoir partir si besoin, sans avoir peur. »
Crédit photo : Andres Ayrton / Pexels
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