La « Maison de verre » n'est rien de moins qu'un des grands jalons de l'architecture du XXe siècle. Située à Saint-Germain-des-Près, dans le 7e arrondissement de la capitale, au coeur de la cour d'un immeuble du XVIIIe siècle, on ne peut pas la voir de l'extérieur.
Les architectes du monde entier cherchent à se rendre, comme en pèlerinage, dans cette construction d'une extrême modernité bâtie pendant quatre ans, jusqu'en 1932, par un homme qui n'avait même pas le diplôme d'architecte : Pierre Chareau (1883-1950).
Ses premiers clients, dès 1919, furent le docteur Jean Dalsace et son épouse, Annie, qui lui demandèrent en 1928 de relever le défi de la transformation d'un hôtel particulier sombre en un domicile avant-gardiste et lumineux.
Il avait pour vocation d'accueillir la famille aux premier et deuxième étages, plus le cabinet de gynécologie, au rez-de-chaussée. La façade du bâtiment utilise, pour la première fois en dehors du monde industriel, des pavés de verre qui, la nuit venue, laissent aussi entrer la lumière électrique des lampes placées à l'extérieur.
Une structure métallique, des murs translucides, du mobilier en bois et en fer réalisés par le ferronnier Louis Dalbet : tout a été savamment calculé, jusqu'à un degré poussé, par Pierre Chareau pour être fonctionnel tout en obéissant à une épure extrême.
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Ainsi, dans les chambres, les placards sont accessibles depuis l'intérieur et l'extérieur de la pièce, afin que les employés de maison puissent faire des rangements tandis que les habitants sont encore dans leur lit. Le fameux architecte contemporain britannique Norman Foster observe : « Chareau était fasciné par le mouvement sous toutes ses formes. Dans la 'Maison de verre' les fenêtres pivotent, les escaliers se rétractent et d'autres équipements tournent, glissent et basculent. »
En 1982, la maison a été classée monument historique avec la majorité du mobilier qui avait été conçu pour elle. En 2005, elle a été cédée à un historien américain de l'architecture, Robert Rubin. Au moment de sa mise en vente, le décorateur attitré d'Yves Saint Laurent, Jacques Grange, raconte qu'il l'avait fait visiter au couturier qui était par ailleurs un fameux collectionneur de mobilier Art déco. « Après la visite, il m'avait confié ne pas savoir comment il aurait pu y vivre. »
Saint Laurent appréciait manifestement les atmosphères plus ténébreuses. Cependant, en 1988, un film publicitaire pour le parfum Opium d'Yves Saint Laurent a été tourné à l'intérieur de la maison par le cinéaste David Lynch. On y reconnaît les marches majestueuses, la grande paroi en briques de verre et certains meubles du lieu.
Le 7 octobre 2021, Christie's met en vente à Paris un ensemble de 116 lots estimés 3,7 millions d'euros sous le titre « Annie et Jean Dalsace : les collections de la Maison de verre ». Il s'agit principalement des meubles de Pierre Chareau plus quelques peintures et dessins, le tout ayant appartenu à la famille Dalsace, dans certains cas avant même leur entrée dans la fameuse maison. Car il faut souligner que le site classé monument historique n'est en rien dépouillé de ses meubles pour l'occasion. Par ailleurs, les héritiers de la famille Dalsace ont entrepris de faire une dation à l'Etat.
Comme l'explique Cécile Verdier, présidente de Christie's France et spécialiste de design, « seulement trois objets de la vente ont été spécialement conçus pour la Maison de verre ». Les autres ont pu y passer… Mais l'aura de la mythique demeure et la prestigieuse provenance « Dalsace » devraient jouer à plein sur la valorisation de l'ensemble.
Le marchand spécialiste de Chareau Rafael Ortiz, qui codirigeait la galerie parisienne L'Arc en Seine jusqu'à sa fermeture en avril 2021, observe : « Le mobilier de Pierre Chareau est particulièrement rare et les estimations dans la vente ne tiennent pas compte de la provenance. Il s'agit d'un marché stable et fort. »
Cécile Verdier estime que « cette vente constitue un nouveau départ pour la cote de Pierre Chareau ». Pour Jacques Grange : « Il s'agit du dernier ensemble important en main privée. C'était un créateur très en avance sur son temps. Dans l'Art déco, il est bien plus moderne que d'autres grands noms comme Jacques-Emile Ruhlmann. »
Aux enchères, le prix record obtenu pour Chareau correspond à un majestueux lampadaire de 1,8 mètre de hauteur, au pied conique en métal, surmonté de lames d'albâtre, adjugé 1,8 million d'euros en 2018. Rien de comparable n'est proposé dans la vente mais une quantité d'autres objets reflètent son univers.
« On peut parler chez lui de meubles-sculptures », souligne Rafael Ortiz qui fait là allusion à plusieurs de ses pièces « à mécanisme ». C'est le cas du « bureau dactylo », une pièce unique constituée de planches de bouleau gainées de cuir, posées sur des lames de fer forgé avec un tabouret coordonné. Les différentes parties de la table sont mobiles (estimation : 200.000 euros).
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Dans la série des objets a priori dérisoires qui incarnent le summum de l'esthétique Chareau, le catalogue propose aussi des jardinières en fer forgé noir qui ressemblent à des sculptures abstraites articulées (estimation : 20.000 euros pièce). Il semblerait que Pierre Chareau ait conçu spécialement pour la 'Maison de verre' un portemanteau métallique sur roulettes dont le Centre Pompidou possède un autre exemplaire (estimation : 40.000 euros).
Dans le film publicitaire réalisé par David Lynch, le mannequin est assis sur un canapé ovale recouvert de tapisserie. Il a été dessiné par un des proches de l'architecte, Jean Lurçat. Réalisé par Chareau vers 1923, le canapé est proposé par Christie's avec une estimation de 70.000 euros.
En 1940, Pierre Chareau, qui était juif, doit s'exiler aux Etats-Unis, où il mourra en 1950. Trois ans avant sa disparition, il réalise à East Hampton, non loin de New York, pour le peintre abstrait qui deviendra bientôt célèbre Robert Motherwell, une ingénieuse maison, à base de matériaux de récupération de l'armée américaine. Elle a été détruite. C'est aussi ainsi, que la Maison de verre devint la réalisation emblématique de l'architecte et designer. Cette vente devrait encore nourrir le mythe. Selon la banque de données Artprice 100 euros investis dans un meuble Chareau en 2000 auraient rapporté 176 euros en 2021.