Nouvelle-Orléans, 1981. Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver et réalisateur d’American Gigolo, est en Louisiane pour tourner La Féline avec Nastassja Kinski, lorsque la réception de son hôtel lui transmet dans sa chambre un appel. Au bout du fil, une mystérieuse inconnue. Une inconnue qui se présente sous le nom de Miranda Grosvenor et qui, presque à l’insu du cinéaste, parvient à le garder en ligne près de vingt minutes en alignant les ragots sur le tout-Hollywood et sur un aréopage d’hommes célèbres, qui semble-t-il n’ont aucun secret pour elle.
Intrigué mais un peu pressé, Schrader propose à Miranda de le rappeler. Ce qu’elle va faire, et pas qu’une fois. « Elle m’appelait, tout simplement, dit-il. Elle était vraiment charmante, adorable. Drôle. Sexy. C’est incroyable. Elle avait des informations très précises sur les gens. Elle savait où ils étaient, ce sur quoi ils travaillaient. Une fois que la machine est lancée, tu te prends au jeu. Elle connaissait, disons, la moitié des saloperies qui circulaient sur quelqu’un, et toi tu y ajoutais tes 10 %. Et ces 60 %, elle allait les raconter à un autre… Elle m’allumait un peu, me disait à quel point elle était jolie, qu’elle me présenterait ses amies, etc… On papote, on flirte, on réseaute. »
Plusieurs fois, il donne rendez-vous à l’énigmatique Miranda, mais celle-ci ne se montrera jamais. Perplexe, il appelle l’un des noms qu’elle a mentionnés lors de leurs échanges : le réalisateur Michael Apted (Gorilles dans la brume, Le monde ne suffit pas), qui lui confirme avoir parlé avec elle au téléphone, mais ignore lui aussi sa véritable identité. Il évoque le nom de Richard Gere, qui aurait lui aussi pas mal à raconter sur Miranda. Schrader contacte alors Buck Henry, auteur pour Saturday Night Live. Ce dernier lui confie avoir été captivé par les appels de la jeune femme, restée pour lui une simple voix au bout du fil. Fasciné, le réalisateur n’a cependant ni l’énergie ni le temps d’enquêter sur son insaisissable nouvelle amie. « Ça a duré cinq, six mois, dit-il, mais toutes ces rencontres avortées devenaient si frustrantes que j’ai lâché l’affaire. Je n’ai jamais su qui elle était. »
Robert De Niro, autre cible de Miranda, ne l’a jamais su non plus. Ni Billy Joel, qui est allé jusqu’à tester de nouvelles chansons sur sa messagerie vocale. Ni Peter Wolf, le chanteur de J. Geils Band, à qui elle a posé un lapin dans un hôtel de Louisiane. Ni les dizaines d’hommes riches et célèbres qui sont tombés sous le charme de sa voix dans les années 1980. Tous sont d’accord, ces échanges ne relevaient pas du sexe à distance, mais une sorte de flirt, pas mal de commérage, et une bonne dose de mystère. « On se mettait à vivre pour ces coups de téléphones », se souvient Brian McNally, propriétaire de plusieurs restaurants chic à Manhattan. « J’étais impatient d’entendre sa voix. On se sentait super bien en lui parlant. »
« Des nuits et des nuits durant, elle a été ma seule amie », confesse Billy Joel. Il sait que Miranda parlait aussi à Eric Clapton, Steve Winwood, ou Sting. « Comme on dit, elle savait y faire au téléphone. »