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Légendes des siècles

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    Meubles, luminaires, bronzes…, le savoir-faire des manufactures françaises n'est plus à démontrer. Sollicitées mondialement pour la restauration du patrimoine, l'ameublement historique et les commandes spéciales, ces maisons, pour la plupart centenaires, se sont ouvertes à la création et à l'édition contemporaine.

    Penser la création contemporaine comme le pré carré du design et des éditeurs industriels et se fourvoyer. Depuis quelques années, les manufactures historiques explorent tout le potentiel créatif d'une génération de talents curieux et ouverts aux ateliers et aux métiers d'art. Rien de nouveau : les grands décorateurs et ensembliers du XXe siècle savaient l'importance et le brio de ces coulisses à la fois laborieuses et virtuoses, jusqu'à en annexer stylistiquement l'outil et la production. L'histoire des arts décoratifs français modernes ne raconte pas autre chose. Après quelques décennies de relégation et de travaux au service du patrimoine, de la restauration et des commandes spéciales pour le compte des clients privés prestigieux, c'est tout un monde sachant voir loin qui met son excellence au service des créateurs du jour. Lesquels trouvent dans ces invitations des terrains vierges, des archives mirifiques, des savoir-faire uniques et enthousiastes, et des capacités de réalisation que leur refuse l'industrie. Ebénistes, marquetiers, bronziers, ferronniers en tête, voici quelques-unes de ces maisons historiques, pour la plupart fondées au XIXe siècle mais entrées de plain-pied dans le XXIe, favorisant un néo-compagnonnage avec l'élite des architectes d'intérieur et designers de l'époque.

    Héritier de la ferronnerie familiale, fondée en 1880 à Moulins, Henri Pouenat, ancien disciple du grand Gilbert Poillerat, forgera son renom en oeuvrant pour la célèbre maison Jansen et la réalisation des appartements de la première classe du paquebot France. Après son décès survenu en 1987, son ultime héritier, François Pouenat, s'émancipera en vendant la maison voilà plus de vingt ans à Jacques Rayet, ancien industriel moulinois venu de la métallerie. Dès 2003, Rayet ouvrit Pouenat à la création avec la styliste Julie Prisca (Modénature) et avec Kaki Kroener, qui « relookera » la lustrerie traditionnelle en faisant un tabac. Suivront Michel Jouannet, dont le guéridon « S » reste un best-seller, François Champsaur, Tristan Auer, India Mahdavi, Olivier Gagnère, Thomas Boog, Nicolas Aubagnac, Damien Langlois-Meurinne, Isabelle Stanislas... Pour en montrer le meilleur, et pour la première fois de sa riche histoire, Pouenat ouvrira à Paris, passage Dauphine, un espace spécifique où sont présentées les collections de mobilier, luminaires et miroirs, signées récemment par Humbert & Poyet, Stéphane Parmentier, Jean-Louis Deniot. Avec 300 produits en catalogue réalisés sur commande et artisanalement, Pouenat abrite son propre bureau d'études interne, sous-traite la tapisserie, le bois, la pierre et le verre et réclame trois à six mois de délai selon les projets. Les clients ? Louis Vuitton, Balmain, le Plaza Athénée, le Crillon... Si les Américains, les Anglais et les Russes se bousculent, Pouenat a choisi de présenter ses nouvelles éditions au Salon du meuble à Milan en septembre dernier, soit les créations de Yann Le Coadic (sans Alessandro Scotto), concepteur d'un mobilier d'usage en aluminium baptisé « Ehrero ».

    pouenat.fr

    On ne lâche pas le métal avec les frères Henry et Gaston Delisle, bronziers et ferronniers d'art installés à leur compte en 1895, rue Pavée à Paris, dans les murs de l'hôtel de Lamoignon - le Marais était alors le fief des bronziers. Leur spécialité : les luminaires et le mobilier de haute facture. Très vite, la maison s'arrogera une clientèle huppée, les Camondo, Broglie, Gunzburg, Ephrussi, Polignac..., qui emplissent les carnets de commandes, suivis du prince Kinsky, du roi Pierre Ier de Serbie et, surtout, du grand-duc Paul de Russie avec qui Delisle nouera des liens d'amitié indéfectibles. Exilé à Paris avec son épouse Olga Paley, Paul fera bâtir à Boulogne un hôtel particulier que Delisle décorera. Rentré en grâce auprès du tsar Nicolas II, lui aussi client de la maison, le grand-duc fera ériger à Tsarskoïe Selo, juste avant la Révolution de 1917, un palais identique, que Delisle s'emploiera à meubler et éclairer. Promu horloger du roi Albert Ier de Belgique, Delisle saura gagner les faveurs des richissimes fortunes américaines, Vanderbilt en tête, mais aussi celles de Paul Poiret, Elizabeth Arden et autres manitous de la beauté et de la couture. Son fils Jean Delisle, féru d'Art déco, fera travailler Ruhlmann, Leleu, Arbus, Dupré-Lafon. En 1936, la maison s'installera dans les murs de l'hôtel de Canillac, bâtisse du XVIIe siècle, où elle occupe aujourd'hui le bel étage entre cour et jardins. Moulures, dorures, miroirs et parquets anciens : la succession de salons expose mille lumières étincelantes. Après Jean, Pierre-Jacques et Jean-Michel, c'est Jean Delisle qui préside la maison, fréquentée par des clients exigeants et par le gotha des grands décorateurs, des palaces, des musées et des châteaux. Riche de quatre mille références en catalogue, entre lustres, portails, torchères et mobilier, Delisle accroche au plafond quelques best-sellers, comme le lustre « Yves Saint Laurent ». Sinon, les lanternes du Palais-Royal sont de Delisle, celles du pont Alexandre-III et celles de la Bourse de commerce restaurée, aussi. Sur commande, pour réaliser une pièce en catalogue dans les ateliers de Montreuil, les délais sont de quinze semaines. Rayon contemporain, si les collaborations avec le regretté Christian Duc, puis avec Nicolas Aubagnac et Jean-Michel Wilmotte, sont restées un brin confidentielles, celle ciselée avec l'architecte d'intérieur Elliott Barnes a donné l'élégante collection « Ponciana », ensemble de lanternes et guéridons en albâtre et bronze gainés de cuir. Avec Eric Schmitt, Jean Delisle consolide son incursion contemporaine : dévoilée voilà peu à Paris, la collection « Beffroi » est un exercice en noir ou blanc de tables et lumières en marbre, albâtre et fer forgé traité à l'or blanc. Remarqué très jeune auprès de feu Christian Liaigre, Schmitt est un maître de forge spécialisé dans les contre-emplois et les alliances de matières brutes/précieuses jonglant entre plâtre, cristal, bronze, opaline. C'est dire s'il est à son aise chez Delisle qui lustre ses fabuleuses archives en rééditant ces jours-ci quelques luminaires du grand décorateur Emilio Terry dessinés en 1961 pour le siège de la firme Petrofrance.

    Légendes des siècles

    delisle.paris

    Venu du ministère de l'Economie, Martin Pietri a fait un pari osé sinon culotté : fédérer plusieurs manufactures historiques sous une même bannière et en dynamiser la production via la création et l'édition contemporaine. Revendiquant une veine héréditaire nourrie par quelques générations d'aïeux, dont les fameux Jacob - Georges Jacob, l'inventeur du « pied jacob », dessina et réalisa le mobilier du hameau de la Reine à Versailles ; son fils François-Honoré hissa le style Empire au zénith -, Pietri s'avoue lui-même guère doué de ses mains. Mais les métiers d'art le passionnent. Formée en 2015, Manufactures Emblem coiffe l'ébénisterie Taillardat qu'il avait rachetée précédemment, le doreur à feuille d'or Vernaz & Filles, la vénérable Manufacture des Emaux de Longwy 1798 et l'atelier de marqueterie et bronze Craman-Lagarde, connu pour avoir reproduit le bureau en marqueterie de nacre de Marie-Antoinette. C'est par cette maison familiale fondée après-guerre dans le Sud-Ouest, spécialisée dans la technique de marqueterie dite « shitake » et rachetée en 2019, que Pietri métabolise sa volonté de « démontrer que le contemporain ouvre une voie nouvelle aux savoir-faire traditionnels et que chaque pièce créée, réalisée se pose en manifeste de cette vision travaillant pour l'avenir ». En effet, si Taillardat affiche de belles collaborations avec Pierre-Yves Rochon et Tristan Auer, Craman-Lagarde, qui a déjà travaillé avec le designer Jean-Marc Gady, frappe un grand coup cet automne avec une fabuleuse pièce signée Pierre Gonalons (voir encadré). Baptisé « Le Monde », ce meuble d'apparat est un tour de force ayant exigé 400 heures de marqueterie (métal, bois, nacre) et 50 heures de dorure. Edité à 8 exemplaires, ce secrétaire, présenté durant la Paris Design Week de septembre à l'orangerie de l'hôtel de Sully, est aujourd'hui visible dans le showroom Emblem. Autre nouveauté de terrain, l'ouverture très récente à New York, chez Alain Illouz, d'une micro-ambassade des Manufactures Emblem, au coeur de Soho, s'ajoute à un agenda chargé où les 190 ans de Longwy sont célébrés par un concours de réinterprétation de la fameuse boule Art déco.

    emblemparis.fr


    Réputée pour sa facture en matière de beaux sièges de styles Louis XV et Louis XVI, la manufacture Henryot & Cie porte beau les valeurs de la menuiserie et de l'ébénisterie d'art. Fondée en 1867 par Clément Henryot et alors fabrique de sièges sculptés Henri II et Louis XIII, la maison est sise dans les Vosges, à Liffol-le-Grand, berceau du travail du bois où il se raconte qu'y fut tourné le rouet de Jeanne d'Arc ! Passé de père en fils et fille, Henryot changera de raison sociale pendant un temps pour s'appeler Style et Confort. Leader de la copie d'ancien haut de gamme, maîtrisant une vingtaine de métiers, travaillant avec les designers et architectes Dubuisson, Wilmotte ou Starck, affichant des états de service dorés sur tranche, depuis l'Opéra de Paris jusqu'à la Fondation Louis Vuitton, Henryot, dont les réalisations sont exclusivement destinées aux professionnels, a créé en 2018 la marque Louis Roitel. Formé à l'Ecole Boulle, Dominique Roitel est l'héritier en ligne directe du fondateur d'Henryot. Toujours placée dans le haut de gamme et bénéficiant des savoir-faire Henryot, cette nouvelle marque s'adresse au grand public assuré d'une fabrication 100 % française. Aux styles modernisés s'ajoute un volet d'assises contemporaines, notamment signées Jacques Garcia, Axel Huynh ou, dans un registre plus onirique, les fauteuils « cornes et peaux » de Dominique Roitel et François Maleval. Autrement, considérer l'excellent travail de l'ébénisterie d'art parisienne Dissidi, versée dans le portefeuille des maisons du groupe Henryot. Forte de collaborations prestigieuses avec son brio à répliquer mobilier, boiseries et lambris anciens, Dissidi touche aussi au contemporain avec l'architecte d'intérieur Jean-Philippe Nuel.

    dissidi.com, rinck.fr

    Etablie en 1841 en Alsace par l'ébéniste Jean Rinck, déménagée à Paris en 1871, la maison Rinck aura accompagné tous les styles et courants décoratifs de la seconde moitié du XIXe siècle, avec un premier apogée sous Napoléon III. Eugène puis Maurice Rinck oeuvreront ensuite avec la crème des ensembliers, dont Lucie Renaudot et Louis Sognot. Au fil du temps, Rinck procédera à quelques emplettes : c'est ainsi qu'après avoir racheté l'agence de décoration JCT, Rinck deviendra propriétaire de l'intégralité des archives de la maison Jansen. Fusionné en 2003 avec l'atelier Thierry Goux, aujourd'hui présidé par son fils Goux Valentin, Rinck évolue en toute aisance dans le XXIe siècle avec les collections « Hébé » et « Félicité », développées sous la direction artistique de Valentin Goux. En attendant une nouvelle collection annoncée pour avril 2022, Rinck pilote un atelier d'architecture intérieure basé à Paris, un atelier agencement et boiseries situé à Bourg-de-Péage et un atelier de meubles sis à Charleville-Mézières. À l'instar des autres manufactures sus-citées, son rayonnement est simplement mondial...

    louisroitel.com

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