Une semaine après sa sortie sur Arte.tv, la deuxième saison de « En thérapie », la série d’Olivier Nakache et Éric Toledano, comptabilisait déjà plus de sept millions de vues, confirmant le succès de la première. On y retrouve le Dr. Philippe Dayan, devenu le psy préféré des français, son légendaire canapé rouge, et une nouvelle portée de patients incarnés de nouveau par un casting cinq étoiles (Suzanne Lindon, Jacques Weber, Eye Haïdara…). Installé depuis son divorce dans une maison en meulière du Pré-Saint-Gervais, et en plein procès avec la famille d’Adel Chibane, un ancien patient mort après son départ en Syrie pour combattre Daesh, le psychiatre campé par Frédéric Pierrot rencontre cette fois-ci des patients mis en difficultés par le premier confinement.
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Pour que la réalité du travail thérapeutique transparaisse à l’écran, la production a fait appel aux consultants Serge Hefez, psychiatre et psychologue star, et au philosophe et écrivain Marc-Alain Ouaknin. Le pari est-il réussi ? Pour Aurélie, professeure de géographie de 33 ans installée en banlieue parisienne, la série d’Arte a été un déclencheur qui lui a permis de passer la porte d’une psychologue il y a six mois. Mais entre réalité et fiction, un fossé existe : « Ce n’est pas la temporalité de la thérapie et ça ne ressemble pas à mes séances. Dans la série, tous les patients ont des gros sujets qu’ils abordent très vite. Moi, c’est beaucoup plus tâtonnant, il y a des séances où l’on ne se dit presque rien. La fiction est accélérée et intensifiée par rapport à la vie réelle. »
Une version fantasmée de la thérapie
Lorsqu’elle a commencé une analyse, Isabelle, 50 ans, a passé presque deux ans à « s’asseoir et pleurer ». Pour elle, la série met en scène un fantasme de la thérapie : « On a l’impression que le Dr. Dayan comprend immédiatement la personne qu’il a en face de lui, qu’il lit en elle et qu’il est capable de l’éclairer et de l’aider très rapidement. Au début, je me disais ‘’Ouah il est trop fort’’. Comme s’il suffisait de s’asseoir, d’exposer son problème et qu’on repartait cinq séances plus tard avec une solution. »
Le personnage incarné par Frédéric Pierrot donne également une vision surinvestie du thérapeute selon Marion, 34 ans. Outre le fait qu’il sort parfois de sa fonction de psychiatre – en préparant un sandwich au jeune Robin qui refuse de s’alimenter ou en accompagnant Lydia, une jeune femme atteinte d’un cancer à l’hôpital – son empathie et la pertinence de ses interventions plaisent à la jeune femme qui répète régulièrement : « Je n’ai pas trouvé mon Dr. Dayan. » Des psys, elle en a vu quelques-uns depuis ses 14 ans, quand ont commencé ses crises d’angoisses. « Dayan est plus solide explique-t-elle. Je suis peut-être tombée sur les mauvais psys, mais moi j’avais juste l’impression de raconter ma semaine. Ils faisaient ‘’hum hum’’ et enfonçaient des portes ouvertes. Dayan, lui, convoque des concepts psys, des anecdotes, il va là où les patients ne l’attendent pas forcément ».
Des patients agressifs
L’agressivité des personnages étonne Aurélie, qui pointe également une certaine nonchalance des patients qui n’hésitent pas à déambuler dans le cabinet pendant les séances : « Les patients sont souvent très à l’aise et très violents avec lui. Ce truc de ‘’Je n’ai pas envie d’être là, vous m’emmerdez avec vos questions mais je parle quand même, c’est un peu gros’’. Il m’est arrivée de provoquer une psychologue qui ne me convenait pas, mais je suis partie et je ne suis jamais revenue. Dans la vraie vie, si l’aide ne te convient pas, tu passes à autre chose. » Habituée des psys depuis son adolescence, Chloé, 36ans abonde : « Mon psy ne laisserait pas passer le quart de ce que Dayan se prend dans la figure. Il se laisse provoquer parfois jusqu’à l’insulte et gère ça de façon extrêmement passive. »
Un décor plus sommaire
Côté déco, le cabinet du docteur Dayan donne aussi un peu plus envie que dans la réalité. Le lieu où se déroulent les séances d’Amélia, une designer de 31 ans est plus dépouillé que le salon cosy de la série :un immeuble de bureaux, une salle assez sommaire et un canapé sur lequel elle s’allonge. Du côté d’Aurélie, un peu d’encens et quelques tableaux donnent vie à la pièce sombre en rez-de-chaussée d’une cour dans laquelle elle se rend toutes les semaines en banlieue parisienne : « Ce n’est pas 80m carrés avec un jardin autour ! Je suis assise sur une chaise et la psy est derrière son bureau. » Chloé, en revanche, confie qu’elle s’est tout de suite sentie chez elle chez son psychiatre : « Son cabinet est très personnel, c’est comme un appartement, son chien dort à ses pieds, il y a des livres, des dossiers sur les fauteuils et il fume ses clopes pendant la séance ».
Sortez la monnaie
La question de la rémunération du thérapeute est plus présente cette saison. Quasiment absent de la première, l’argent ne se cache plus. Parfois, un gros plan s’attarde même sur les billets déposés sur la table. Le prix des séances est annoncé, 80 euros - on ignore la durée réelle de la séance - ou 50 euros avec une feuille de soins pour les patients plus modestes comme Lydia, étudiante en architecture. Pour Robin, le petit garçon harcelé à l’école incarné par Aliocha Delmotte, il s’agit juste de donner au Dr. Dayan un jouet ou un objet qui lui est cher, même si l’on imagine que les séances sont réglées par les parents.
« 50 balles putain ! C’est vraiment pas cher ! s’exclame Aurélie. Moi je paye 65 euros pour seulement une demi-heure et elle n’est même pas psychiatre. Et quand j’ai commencé, la question était taboue. À chaque fois que j’ai essayé de parler du prix, le sujet était vite évacué. Je lui ai dit plusieurs fois que ça représentait une somme pour moi et qu’il fallait qu’on en parle, mais nous n’avons jamais eu cette discussion, c’était comme si l’argent n’existait pas. » Eve, 31 ans, trouve au contraire que la question pécuniaire n’est pas un réel enjeu dans la série. Elle qui paie 50 euros pour 45 minutes avec une psychanalyste a eu un vrai échange en amont du travail : « La thérapie, c’est cher, tu veux savoir combien ça va couter et si le truc est viable si tu viens une fois par semaine pendant trois ans. Là, on les voit donner un billet et c’est tout, ils demandent ‘’Combien je vous dois ?’’ comme si ça n’avait jamais fait l’objet d’une vraie discussion. Ça aurait pu être développé et ça permettrait de ne pas faire semblant que les thérapies sont accessibles à tous. La feuille de soin qu’il fait pour certains patients et pas d’autres, je n’ai jamais vu ça. » Elle estime aussi que la méthodologie du thérapeute n’est pas évoquée. À sa psy, elle a posé des questions sur le déroulé des séances et le temps de thérapie estimé. « Dans la série, ils s’installent et hop ils commencent direct à parler de leur vie, mais la démarche de la thérapie n’est jamais expliquée, comment il travail, quelles sont les étapes etc. », commente-t-elle.
Aurélie trouve en revanche que la série met bien à nu les mécanismes de la thérapie, notamment par les silences et les réponses du Dr. Dayan : « Quand Robin lui tend une vidéo ou que Alain veut lui montrer un échange de mails, il dit ‘’je préfère que vous me racontiez plutôt comment vous l’avez ressenti’’, ça ressemble à ce que peut me dire ma psy. » Amélia a elle aussi a retrouvé certains éléments de sa propre thérapie. « Les ponts que fait Dayan sont très réalistes, on dirait ce que me dit ma psy, je retrouve un vocabulaire, une façon singulière d’échanger. »