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Augustin Trapenard : “Mettre en image des livres suppose une stratégie, des ruses, et tout mon travail est là”

L’intervieweur reçoit Claro dans “Plumard”, son émission littéraire mensuelle sur BrutX. Une occasion de faire le point sur la façon dont, au fil des années et des supports, il a inventé et imposé son style.

Il veut absolument payer nos deux cafés. On refuse. Il insiste. On s’en rend compte soudain : il veut toujours tout maîtriser. On le lui fait remarquer. Il soupire : “Oui, ça c’est mon drame”.

On a assisté à l’enregistrement de Plumard, son émission littéraire mensuelle sur BrutX. Depuis le premier numéro voilà près d’un an, le dispositif n’a pas changé : Augustin Trapenard reçoit sur un canapé, mais chaque fois dans un lieu différent – et souvent improbable. Pour Florence Aubenas, c’était un rond-point. En ce mois d’avril, il a invité Claro dans une imprimerie d’art du côté de Montparnasse. L’écrivain et traducteur vient de publier Sous d’autres formes nous reviendrons, au Seuil. Il a pu, sur un temps long, parler de lui, de son travail, de sa relation à la littérature et à la langue française. Trapenard ne l’a pas quitté des yeux une seule seconde.

Augustin Trapenard : “Mettre en image des livres suppose une stratégie, des ruses, et tout mon travail est là”

L’enregistrement a duré plusieurs heures. Le producteur de Boomerang, où depuis 8 ans tous les matins sur France Inter il reçoit artistes et écrivain·es, a mouillé sa chemise. On l’a vu slalomer entre questions précises et improvisation, moments d’humour ou d’émotion, entouré de sa garde rapprochée, équipe de pros qui semblent tout aussi enthousiastes que lui. Enfin installé en terrasse après ce qui pourrait s’apparenter à une performance théâtrale, Trapenard raconte, sans reprendre son souffle, la passion qu’il met dans son métier d’intervieweur.

Pour un aguerri de la radio et de la télé, travailler sur une plateforme de streaming suppose un sens certain de l’adaptation. Quand Trapenard a lâché Canal – “Pour des raisons, on va dire, politiques” – arriver sur BrutX relevait du challenge : “Refaire de la télé ailleurs aurait signifié appliquer les mêmes recettes. Là, c’était réfléchir autrement à la mise en image”. Déjà, à propos de Plumard, plutôt que d’émission Trapenard préfère le terme de “série littéraire”, où chaque numéro est conçu comme un épisode. Il explique réfléchir depuis longtemps aux diverses manières de mettre en image la littérature. Il y a d’abord eu une chronique sur Canal + dans le Grand Journal, puis Le Cercle, et 21 cm exclusivement consacré à la littérature, aujourd’hui Plumard mais aussi sur BrutLive une rencontre hebdomadaire avec des lecteur·trices. Pour chacun de ces formats, Trapenard pense renouvellement. Plumard cherche à défier le côté statique de l’interview classique. On a pu, lors de l’enregistrement avec Claro, constater l’inventivité de la mise en scène dans le but d’insuffler de la modernité dans un genre codifié. “Mettre en image des livres suppose une stratégie, des ruses, et tout mon travail est là”, résume Trapenard.

Surtout, ici le public a entre 20 et 35 ans, sa relation aux livres n’est pas la même que dans les générations précédentes. Ce qui suppose de repenser l’exercice de l’interview, sans pour autant rabaisser le niveau d’exigence. Trapenard a pu voir que les questions sociales, féministes, politiques, qu’il a abordées avec des invité·es comme Céline Sciamma, Faïza Guène, Abd al Malik, Jean-Baptiste Del Amo, Chloé Delaume, sont très présentes dans les préoccupations de la jeunesse. “Le public de BrutX est avide de sens. Il faut lui proposer des émissions de qualité, en tous cas c’est ce que j’essaie de faire. On ne s’en sort jamais à tirer les choses vers le bas. Il y a une renaissance politique dans cette jeunesse”.

Reste à comprendre comment fonctionne la machine extrêmement bien huilée que constitue toute interview de Trapenard. Chaque numéro de Plumard est tourné d’une traite et sans interruption, ainsi surgissent des imprévus, même si les questions sont très pensées à l’avance. “Elles vont être défiées par le moment de l’interview, résume-il. On va garder ce qui sort du conducteur, parce que c’est là que des choses se produisent”. Ainsi se dessine un style, mélange de cool et d’exigence, porté par une réflexion très pointue sur la littérature, issue de ses années d’études à Normale-Sup. Même s’il reconnaît avoir changé depuis ses débuts : “J’ai un rapport plus politique à mon travail, j’ai conscience de faire partie d’un corps de métier, celui des journalistes. Je défends une mission. Cette dimension-là, je ne l’avais pas du tout quand j’ai commencé, j’étais complètement à l’ouest”.

C’est à ce moment-là que la serveuse nous interrompt et qu’il veut absolument payer les cafés. On lui fait remarquer que, avec tous ses diplômes et cette maîtrise professionnelle, il pourrait peut-être un jour déstresser. Impossible, il est comme ça depuis l’enfance : “Sortir de la norme n’est pas très rassurant. J’étais un enfant qui lisait beaucoup, parlait peu, n’avait pas beaucoup d’amis. J’étais gay et dans le milieu extrêmement bourgeois dans lequel j’ai grandi, ce n’était pas forcément très évident. J’ai eu la chance d’être accompagné et de ne pas subir d’actes de haine, mais j’ai toujours été un peu à l’écart. Cette angoisse, je pense, vient de là. Je ne m’en plains pas, l’inquiétude est ce qui permet de faire des choses. Quand on est trop bien, on s’affale”. C’est aussi dans cette enfance solitaire que s’est forgée sa passion de la lecture. “Dès que j’ai su lire, j’ai développé une obsession, un rapport addictif à l’écrit”. On aimerait qu’il définisse lui-même ce qu’est, au fond, le style Trapenard, ce ton qui est sa signature sur tous les médias où il est passé. Il l’explique d’un mot : “L’émotion”. Et qu’est-ce qui fait la différence entre son travail et celui d’autres intervieweur·euses célèbres ? “Je suis plus fragile”.

Plumard avec Claro. Le 18 avril sur BrutX.