Notre ami et romancier Alain Paraillous se souvient ici de Michel Bouquet en Lot-et-Garonne : "L’immense comédien qui vient de nous quitter à l’âge de 96 ans ne fut pas seulement le grand acteur que l’on vit à maintes reprises sur les écrans de cinéma, ni la vedette incontestée des théâtres parisiens. En effet, malgré sa carrière largement confirmée et ses multiples sollicitations, il n’hésita jamais à effectuer une tournée provinciale, laquelle l’amena au moins à quatre reprises sur les scènes du Lot-et-Garonne.
Deux fois à Agen, deux fois à Villeneuve
D’abord à Agen, au début des années 90, dans "Le Roi se meurt", d’Eugène Ionesco, sa pièce fétiche qu’il joua plus de 800 fois. Le théâtre Ducourneau était plein à craquer, d’autant plus que de nombreux professeurs de lettres y avaient amené leurs élèves, lesquels étaient déjà familiarisés avec sa formidable voix de violoncelle pour l’avoir entendu, sur 33 tours et avant l’arrivée de la vidéo, dans le rôle du gouverneur Félix dans "Polyeucte" de Corneille.
Puis en 1997, toujours à Agen, ce fut dans "Avant la retraite" du dramaturge suisse Thomas Berhardt où il tenait le rôle très ambigu d’un ancien officier SS sur un fauteuil roulant.
À Villeneuve-sur-Lot, ce fut une première fois à la fin des années 70, dans la comédie désopilante "M. Klebs et Rosalie" de René Obaldia, cet autre géant du théâtre qui vient de nous quitter voilà quelques semaines. C’était encore le temps où la représentation d’une pièce était entrecoupée par un entracte. Cet intermède terminé, le rideau se releva, Bouquet rentra en scène, recommença à jouer, mais les habitués de Georges-Leygues avaient pris leur temps au bar et regagnaient leur place avec retard et tout en bavardant. Michel Bouquet s’interrompit, glacial : "Mesdames et messieurs, je ne peux continuer ainsi. Fermez le rideau. Je reviendrai quand tout le monde sera installé…" Quoique la pièce fût hilarante, un silence glacial se fit dans la salle, après quoi le spectacle reprit, et les rires aussi.
Michel Bouquet revint à Villeneuve en octobre 2015 dans l’un de ses derniers grands succès, "À tort et à raison", où il tenait le rôle du grand chef d’orchestre Fürtwangler, à qui, la guerre achevée, des officiers américains reprochaient d’avoir joué devant le Führer. Après que le rideau fut tombé, Michel Bouquet avait reçu du public villeneuvois une véritable ovation.
Notre grand acteur agenais Michel Fau voue à Michel Bouquet une admiration absolue, au point qu’il le sollicita en 2017, alors que ce monument du théâtre avait passé les 90 ans, pour remonter sur scène et jouer le rôle d’Orgon dans "Le Tartuffe" de Molière. Situation plutôt cocasse où celle qui tenait le rôle de Mme Pernelle, la mère d’Orgon, avait l’âge d’être sa fille, ou même sa petite-fille !"