« Tu prends quelques bulletins, plusieurs pour ne pas que les gens regardent pour qui tu votes et une enveloppe bleue, celle-là, là ». Je regarde mon rejeton, candide, puis lui demande « Où va-t-on maintenant ? ». Il lève les yeux, dépité « ben vers l'isoloir derrière les rideaux ! ». « Très bien, suis moi.
– Surtout pas papa ! On a pas le droit d'y rentrer à plusieurs.
– Non mais à ton âge, tu peux, il faut juste que tu sois sage et que tu ne dises rien. »
La suite du parcours est un quasi sans faute, juste une petite confusion entre assesseurs et ascenseurs qui fait sourire la prédisposée à la fonction. Je pensais faire découvrir au fiston l'un des moments les plus solennels d'une vie de citoyen, mais visiblement son instit' l'avait déjà très bien préparé « On en a parlé toute la semaine et puis on a élu nos délégués comme ça. »
D'ailleurs en observant bien, d'autres parents semblent se livrer au même exercice. « Elle a voulu se présenter mais elle a pas été élue, elle » me glisse-t-il, sur le ton de la confidence, en pointant du doigt une petite camarade. « Ce sont les règles de la démocratie, et toi, tu t'es présenté ?
– Ça va pas ! Je veux pas avoir d’ennuis. » Question de point de vue.
Délégués de classe, Conseil de la Vie Lycéenne…
L'éveil civique est une des nombreuses missions de l'école, au sens large du terme, qui, on a tendance à l'oublier, forme aussi des futurs citoyens. Dans les faits, au collège du moins, elle reste souvent cantonnée à « l’Éducation civique » devenue « Enseignement Moral et Civique », EMC pour les intimes, et au programme d'Histoire. À 16 ans, un élève quittera la scolarité obligatoire avec un bagage de connaissances civiques : l'histoire de la conquête du vote, l'organisation de nos institutions, les droits et devoirs du citoyen, les vertus de l'engagement citoyen (politique, humanitaire, associatif…) entre autres. Depuis le primaire, jusqu'à la Terminale, il y a aussi un peu de pratique : élection des délégués de classe, des élèves représentants au CVC (Conseil de la Vie Collégienne), au CVL (Conseil de la Vie Lycéenne) ou au Conseil d'Administration. Dans ce dernier, saint des saints de l'établissement, les ados ont toutefois l'impression, le plus souvent, d'être des plantes vertes, un lieu où leur parole est écoutée poliment, sans aller plus loin.
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Pour les plus motivés, la vraie rencontre avec la « politique » se fait souvent au sein de syndicats lycéens, d'étudiants à la fac, ou dans les sections « jeunes » des partis. Mis en avant pendant les grands meetings des différents candidats, ces jeunes sont pourtant l'arbre qui cache la forêt. Seulement 58 % des 18-25 ont voté dimanche dernier. Cela ne veut pas pour autant dire que la jeunesse française se désengage de la vie de la cité. Elle choisit ses formes d'engagement plutôt : 25 % des adhérents aux différents mouvements pour le climat ont entre 15 et 25 ans par exemple. Beaucoup estiment ce type de luttes sociétales ou environnementales plus efficaces que la « politique à papa ». Pourtant sans suffrages exprimés dans les urnes, leur voix est moins entendue, ne nous leurrons pas.
Méthode Freinet
Le package théorique acquis durant la scolarité et les élections des délégués ne suffisent évidemment pas, à intéresser les élèves à la vie démocratique. Là encore le rôle de la famille est déterminant, mais au sein de l'école quelques pistes de réflexion existent pour susciter leur intérêt. Parmi elles, l'organisation de débats en classe. Plébiscitée depuis longtemps par la méthode Freinet, encouragée par l'institution, la culture du débat n'est pourtant pas très développée dans le secondaire par rapport à nos voisins européens ou nord-américains. Pourtant, au pays des associations loi 1901, véritables viviers de l'expression démocratique, des cours de philo en terminale et des bars-PMU, le terreau est fertile.
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Les vertus pédagogiques du débat sont connues. Les élèves sont invités à dialoguer plutôt qu'à se hurler dessus. Ils argumentent, contre-argumentent, sur des sujets variés et adaptés à leur âge. Ils apprennent à défendre leurs idées en discutant. Mais on peut aussi les faire réfléchir sur une position opposée à la leur ou les pousser à chercher un consensus pour prendre en compte l'opinion de l'autre. Le corpus documentaire généralement distribué avant les échanges, permet aux élèves d’affûter et de justifier leurs arguments. Un débat se prépare, cela demande du temps et un minimum d'expérience. Il n'est pas question ici de poser une question « pour ou contre » en début d'heure puis la laisser en pâture aux élèves en espérant que, tels de vieux sages, ils palabrent tranquillement à l'ombre d'un baobab. Non, ce serait vite le chaos et les grandes gueules, les personnalités auraient vite fait de s'imposer. Ici il faut se concentrer sur les idées et rien que les idées pour espérer convaincre. La réflexion plutôt que des automatismes.
Des réformes nécessaires
Les premiers débats que j'ai organisés étaient mal maîtrisés. Je n'avais reçu aucune formation concrète et m'étais seulement appuyé sur des ressources ou des exemples en ligne, qui depuis, se sont étoffés. C'est avec le temps et les conseils des « anciens » que j'ai appris à mieux les structurer. De vrais modules sur le sujet pendant la formation initiale des jeunes collègues, souvent affectés dans des établissements où les débats peuvent être houleux, seraient d'une aide précieuse. De même, un temps consacré plus important à l'organisation des débats en EMC serait bienvenu. La matière est intéressante mais son programme est peu lisible et sa mise en œuvre relève parfois du casse-tête. L'orienter plus clairement vers l'apprentissage du débat dans le cadre d'une vie démocratique serait intéressant, à condition évidemment de ne pas venir surcharger un programme déjà extrêmement dense, ni d'inventer une nouvelle usine à gaz qui ne fasse pas sens. Une refonte de la discipline plutôt.
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Comme ils étaient affairés à leur brevet blanc, je n'ai posé qu'une seule question à mes 3èmes, les plus « grands » donc, au lendemain du scrutin. « Seriez-vous allés voter dimanche dernier ? La prochaine, en 2027, ce sera votre tour ! ». La moitié, environ, a répondu par la négative. « À quoi ça sert ? Ils font semblant d'écouter pendant les élections, puis après ils écoutent plus et font ce qu'ils veulent. » « Mais si vous ne votez pas, comment vous ferez-vous entendre ? ». « Il n'y a pas que le vote » me répond A.
Bon…ce n'est pas gagné, la relève citoyenne semble, en partie du moins, déjà désabusée. Réfléchir à ce que peut faire l'école pour impliquer davantage les ados dans le processus démocratique est important, mais de toute évidence cela ne suffira pas. Diplômée, informée, connectée, cette jeunesse, qui a l'impression d'avoir été sacrifiée par la crise du Covid (71 % des 18-25 ans l'affirment selon un sondage Opinion Way de septembre 2021) a besoin de gages. La prise en compte de leurs inquiétudes quant à leur insertion professionnelle (avec des jobs moins précaires et plus rémunérateurs que ceux recrutant le plus actuellement), mais aussi de celles liées aux grands enjeux, comme le climat, doit se traduire dans des politiques concrètes, urgentes, lisibles… Il en va de la responsabilité des femmes et des hommes actuellement aux affaires. Une frustration alliée à un certain relativisme « de toute façon tous les mêmes » est un cocktail dangereux. « Après nous le déluge » attribue-t-on tantôt à Louis XV, tantôt à la marquise de Pompadour. On connaît la suite de l'Histoire.
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