Les propriétaires de salles de spectacle ont la triste impression de vivre le jour de marmotte, alors qu’ils devront à compter du lundi réduire leur capacité de moitié à cause de la montée du variant Omicron. Un véritable casse-tête à prévoir, sachant que plusieurs spectacles affichent « complet » dans les prochaines semaines.
« Est-ce qu’on tire au sort parmi les détenteurs de billets pour savoir qui va pouvoir venir ?Est-ce que les promoteurs vont accepter de faire un deuxième spectacle pour que tous ceux qui ont un billet puissent voir le show ? Ou est-ce que ce n’est pas plus simple de tout annuler ? » s’interroge le propriétaire du Club Soda, Michel Sabourin, qui n’a pas encore trouvé de réponses à ces questions.
Confronté à ce dilemme cornélien, M. Sabourin tentait encore tant bien que mal d’encaisser le choc vendredi matin, au lendemain de la conférence de presse du premier ministre, François Legault, qui n’était pas sans rappeler les heures les plus sombres de la pandémie. Une période que l’on croyait révolue au Club Soda, où on était en train de planifier la programmation du printemps avant que l’annonce du gouvernement ne vienne couper court à l’espoir des dernières semaines.
La vente de billets allait bon train. Bon nombre de spectacles affichaient « complet », ce qui obligera à des choix difficiles dans les prochains jours. Avec une capacité de 900 ou 500 places — selon que le public est assis ou debout — le Club Soda devra se contenter de 250 sièges au maximum avec l’entrée en vigueur des nouvelles consignes sanitaires la semaine prochaine.
« Opérer à 250, ce n’est pas rentable. Pour que ce le soit, il faut au moins avoir vendu entre 60 et 70 % des places. […] Il faudrait que les promoteurs acceptent de prendre le risque, mais je ne suis vraiment pas certain. […] On croyait voir la lumière au bout du tunnel, mais non… » regrette avec une certaine amertume Michel Sabourin, également porte-parole de l’Association des salles de spectacle indépendantes du Québec.
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.Selon lui, plusieurs salles préféreront tout annuler jusqu’au printemps plutôt que de se réorganiser au gré des nouvelles règles sanitaires. D’autant qu’ils sont nombreux à redouter que ce nouveau resserrement ne soit que la pointe de l’iceberg. Les propriétaires de salles de spectacle ont encore en mémoire le long confinement de la deuxième vague. Ils ont aussi souvenir de la déception du printemps dernier, lorsqu’ils avaient pu recommencer à présenter des spectacles avant que le rideau ne tombe à nouveau avec la troisième vague.
Nervosité
Au Théâtre Fairmount, dans le Mile-End, la décision est déjà prise. Pour le prochain mois, les spectacles pour lesquels plus de 50 % des billets avaient été vendus seront annulés ou reportés aux calendes grecques. Il serait trop compliqué de choisir pour chaque représentation quel détenteur de billet pourra y assister.
« Ouvrir deux mois après un an et demi de fermeture, et devoir fermer de nouveau : ça crève le cœur. Je comprends pourquoi on fait ça, je sais que la situation sanitaire est critique, mais ça reste que c’est vraiment tough », confie Olivier Corbeil, qui est aussi copropriétaire du Bar le Ritz PDB et du Newspeak.
Le plus gros problème qu’on a eu durant le temps où on a été ouverts, ça a été de trouver du staffà cause de la pénurie de main-d’œuvre. On avait finalement réussi de peine et de misère. Il y a des gens là-dedans que l’on a engagés avec un salaire annuel. On fait quoi maintenant ? C’est épouvantable.
— Olivier CorbeilIl se console en se disant que les aides gouvernementales en place pour les salles de spectacle sont pour l’heure maintenues au moins jusqu’en mars. Olivier Corbeil trouve aussi le moyen de garder son calme en se rappelant que les semaines entre la fin décembre et le mois de février correspondent habituellement à la période creuse pour les salles de spectacle. « Si tout est pour être fermé, aussi bien que ce soit maintenant », illustre-t-il.
Mais si les restrictions venaient à se prolonger au printemps, les propriétaires de salles de spectacle ne trouveraient pas cela drôle du tout. Autre source d’inquiétude pour eux : qu’adviendra-t-il des employés récemment embauchés ?
« Le plus gros problème qu’on a eu durant le temps où on a été ouverts, ça a été de trouver du staff à cause de la pénurie de main-d’œuvre. On avait finalement réussi de peine et de misère. Il y a des gens là-dedans que l’on a engagés avec un salaire annuel. On fait quoi maintenant ? C’est épouvantable », décrit Olivier Corbeil, encore un peu sonné par l’annonce de la veille, même s’il avait vu les choses venir.
Pas une surprise
Au Théâtre du Rideau vert, on s’y était aussi préparé en début de semaine lorsque des rumeurs ont commencé à circuler sur le fait que le gouvernement songeait à réduire de nouveau les jauges dans les salles. Les billets de trois représentations supplémentaires du spectacle de fin d’année Revue et corrigée n’avaient pas encore été mis en vente. Ainsi, on proposera aux spectateurs qui avaient acheté leur place pour la semaine prochaine d’assister plutôt à l’une de ces trois représentations afin de respecter la capacité de 50 %.
« On va commencer par appeler ceux qui avaient acheté leur billet en dernier. C’est du déjà-vu pour nous. On avait fait la même chose au printemps dernier », poursuit la directrice générale du théâtre, Céline Marcotte, lassée de jouer sans cesse dans ce film depuis près de deux ans, mais tout de même optimiste dans les circonstances.
Il faut dire que son théâtre connaissait une très belle saison depuis octobre, quand le gouvernement avait décidé de laisser tomber la distanciation dans les salles de spectacle afin de leur permettre d’être remplis au maximum de leur capacité. Le port obligatoire du masque avait rebuté au départ certains spectateurs, mais depuis, la vente de billets avait repris une certaine vitesse de croisière, un niveau « relativement normal » par rapport à l’avant-pandémie, selon Céline Marcotte.
Spectacles virtuels
Cet élan se heurte aujourd’hui aux nouvelles restrictions annoncées par le gouvernement Legault.
Le promoteur Karl-Emmanuel Picard mise donc sur les spectacles virtuels, et espère que le public sera au rendez-vous, comme lors des précédentes vagues. À l’Anti, bar-spectacle dont il est propriétaire à Québec, il a tenu à garder en place l’équipement pour les captations, avec l’instinct que les choses peuvent parfois changer du jour au lendemain en temps de pandémie.
« Même quand les salles pouvaient être remplies, il continuait d’y avoir une demande pour les shows virtuels. Peut-être pas autant que durant les confinements, mais quand même. Mais de toute façon, il y a de bonnes chances qu’on retourne là-dedans pour les prochains mois », prévoit Karl-Emmanuel Picard, résigné, mais prêt cette fois-ci.