Comme annoncée le jour de l’avant-première française par Frank Mikanowski et Eric Saussine, voici enfin la critique détaillée de Star Trek Into Darkness à l’occasion de sa sortie officielle française.
Aussi téléphoné, bâclé, manichéen, et creux qu’il fut, Star Trek 2009 s’était malgré tout achevé par une promesse trekkienne, celle d’un renouement avec l’exploration telle qu’énoncée par le mantra de la série originale (mais déclamée pour la seconde fois par Spock-Nimoy). Il était donc permis d’être optimiste envers le second opus du reboot.
Malheureusement, celui-ci aura réussi le tour de force d’être encore moins trekkien que son prédécesseur, si cela est possible. Pour toute exploration, Star Trek Into Darkness se sera cantonné – finalement comme son prédécesseur – au seul teaser, mais dans un abrégé tellement simpliste qu’il relève de la sotie.
La solution de facilité tiendrait à vous renvoyer vers ma critique de Star Trek 2009 : ce qui avait été écrit sur le premier volet s’applique tout autant au second, si ce n’est davantage. Car Star Trek Into Darkness reprend les mêmes (personnages, recettes, codes, câbles, astuces, idéologies…) et recommence… mais en "plus tout" : davantage de spectacle qui déchire, davantage d’émotions standardisées en kit, davantage de twists-à-usage-unique, davantage de pompages & de rip-offs décomplexés, davantage de pré-mâché & de prêt-à-penser, davantage de forme tentant de se faire passer pour du fond, davantage de négation et de mépris de l’identité trekkienne... et finalement davantage de manipulation.
Du coup, l’expérience de visionnage confine à l’orgasme… lequel se solde fatalement ensuite par un douloureux contrecoup dépressif… sitôt que le spectateur reprend possession de son organe… cérébral. Jamais un film n’aura mieux illustré la formule de Brigitte Roüan : post coïtum animal triste. Et jamais un Star Trek n’aura été à ce point sans âme.
Levée de rideau. L’action se situe en 2259, soit peu ou prou un an après la fin du long métrage précédent. La scène s’ouvre par une course poursuite sur la cramoisie planète Nibiru (modélisée sous V-Ray). (…) Stop ! Inutile de revenir sur ce qui avait été déjà décrit ici (chapitre "L’histoire" uniquement)
Le moment en apparence le plus trekkien - ou plus exactement le moins anti-trekkien - du film, supposé constituer une séance d’initiation à la "Directive première pour les nuls"… ne survit pas à un examen approfondi.
Durant tout le teaser, Spock se gargarisera obsessionnellement de Prime Directive jusqu’à vouloir sacrifier sa vie pour elle, cornant une nouvelle fois son célèbre apophtegme : « la vie du plus grand nombre… » (à force d’être surexploitées par le reboot, les formules les plus mythiques s’exposent à devenir des truismes). Mais si cette magnifique abnégation envers la Non-Interference Directive sonne davantage 24ème siècle (Star Trek The Next Generation) que 23ème (Star Trek The Original Series), elle est ici assortie de tartufferie dans la mesure où toute intervention dans le développement, mais aussi à l’encontre de l’extinction naturelle d’une civilisation pré-distorsion (par exemple en détonant un cold fusion device pour figer la lave d’un apocalyptique supervolcan) représente en soi un viol de ladite Directive de non-interférence. Le pire manquement pour tout officier de Starfleet est de laisser une empreinte - consciente ou inconsciente - de son passage sur les civilisations moins développées, et donc d’influer - même involontairement et inconsciemment - sur leur destinée (principe de néguentropie). D’où le dispositif de la Prime Directive (et de ses 47 sous-directives de contextualisation).
Malgré tout, le 23ème siècle de Star Trek The Original Series accordait aux capitaines de Starfleet une certaine latitude d’interprétation du Starfleet General Order 1 (à l’exemple de ST TOS 03x03 The Paradise Syndrome). Son viol tient donc ici surtout à l’incohérence de la méthode d’intervention employée par Spock : que les auteurs ne nous fassent pas croire que dans la société hyper-high-tech de Star Trek, il n’était pas possible de téléporter et/ou d’activer à distance (ou à retardement) le cold fusion device sans venir faire de l’équilibrisme suspendu à un filin au-dessus d’un cratère en éruption. Rarement le prétexte sensationnaliste n’aura été aussi artificiel…
Parallèlement, faut-il que Baby-Kirk soit un gamin immature pour aller voler aux autochtones un parchemin sacré… et finalement le leur abandonner avant de sauter dans le vide ! Quel était le sens de ce forfait, si ce n’est se payer une partie de "fun old school" (mode pré-1940) au détriment des indigènes ? S’il était question de sauver un artéfact d’une civilisation sur le point de disparaître, bien des solutions discrètes étaient possibles, à commencer par la téléportation. Et si - comme le suggère Baby-Kirk lui-même - l’objectif était d’éloigner les indigènes du supervolcan (en courant dans la direction opposée), cette tactique n’avait aucun sens puisque l’éruption était supposée être une catastrophe planétaire globale (et non juste locale), donc quelques kilomètres d’éloignement n’augmentaient en rien les chances de survie des Nibirans. En fait, la véritable raison d’être de cette scène introductive était de citer (bien maladroitement) les courses-poursuites par lesquelles s’ouvrent les Indiana Jones de Steven Spielberg (en particulier Raiders Of The Lost Ark), voire les récents James Bond.
De plus Kirk, qui est supposé être un diplômé – surdoué – de Starfleet, ne sait-il pas que toute immersion au sein d’une civilisation pré-distorsion postule une transformation cosmétique voire morphologique afin de se fondre dans le paysage et passer inaperçu ? Cette pratique de bon sens était d’ailleurs déjà en usage un siècle plus tôt, du temps de Jonathan Archer, avant même que ne soit édictée la Prime Directive.
Et que dire de l’USS Enterprise que l’on transforme en insubmersible, alors que jamais rien dans la franchise n’avait suggéré de telles possibilité… à fortiori sachant qu’au 23ème siècle, les starships ne s’aventuraient même pas dans les fluides gazeux des atmosphères ! La timide protestation de Scotty ne rend pas l’initiative plus crédible. Bien entendu, rien n’interdit formellement aux vaisseaux de Starfleet d’avoir cette aptitude, aussi bien dans la nouvelle timeline (puisque supposée différente) que dans l’univers originel (ce qui n’est pas mis en scène n’est pas forcément impossible pour autant). Mais c’est de l’irrespect du rasoir d’Ockham que vient l’invraisemblance : le soutien logistique et technique du vaisseau-mère n’aurait pas été moindre depuis l’orbite ou la haute atmosphère, mais il aurait évité de se donner gratuitement en spectacle (son & lumière s’il vous plait) auprès des indigènes en émergeant des eaux (et qu’il ait d’ailleurs réussi à s’y immerger en premier lieu sans se faire remarquer est déjà fort peu vraisemblable).
Enfin, il aura suffi d’un seul passage en rase-motte dans un moment de grande confusion (sous les projections volcaniques) pour que les natifs de Nibiru – supposés primitifs (Pike dira d’eux qu’ils ont à peine inventé la roue) – réussissent à reproduire à la perfection le vaisseau de face et de profil, tels des dessinateurs industriels chevronnés. Du coup, la genèse du mythe ou de la religion (voire la source d’imitation et de développement) que le film suggère est digne d’un épisode de Futurama...
Cerise sur le gâteau, la dénomination de la planète – Nibiru – est le comble du ridicule (et du has been), puisqu’il s’agit du nom babylonien que le néo-évhémériste Zecharia Sitchin avait donné à la mythique "Planète X" qui devait anéantir la Terre fin 2012 !
La balade londonienne en automobile (à aéroglisseur ?) de Thomas & Rima Harewood poursuit le mouvement amorcé par le volet précédent de 2009, lequel consiste à entièrement recomposer le visage de la Terre trekkienne du futur (où les véhicules motorisés terrestres étaient totalement absents et où les villes n’avaient rien de commun avec la Metropolis de Superman). Décidément, le reboot de JJ Abrams s’assied sur les spécificités trekkiennes pour flatter l’imaginaire collectif le plus trivial.
Le mystérieux commander John Harrison (Benedict Cumberbatch) offrira au couple Harewood une solution miracle pour sauver la vie de leur fille Lucille, dont la mort était annoncée par le corps médical. Mais la très perverse contrepartie imposée sera rien de moins que le suicide en kamikaze de Thomas, condamné à faire exploser (au moyen d’un réactif à l’eau contenu dans sa chevalière) son environnement de travail, officiellement le Kelvin Memorial Archive (une bibliothèque publique), en réalité la couverture d’une antenne de la Section 31 de Starfleet (comme le film le révèlera ensuite) !
Manifestement, les scénaristes sont allés chercher cette fois un peu plus loin leurs référents trekkiens, à savoir dans la quatrième saison de Star Trek Enterprise et/ou dans les deux dernières saisons de Star Trek Deep Space 9 (probablement en l’honneur du vingtième anniversaire de la série). Malheureusement, cette initiative ne constitue pas en soi une garantie de pertinence... dès lors que le concept est mal digéré par les auteurs. La Section 31 est une infrastructure autonome et officieuse de Starfleet, spécialisée dans le renseignement, la R&D, les black’ops, et visant à protéger l’UFP (et la Terre) contre toutes les menaces internes et externes, présentes et futures (i.e. l’équivalent UFP du Tal Shiar romulien ou de l’Obsidian Order cardassien). Son personnel est trié sur le volet, et il parait peu vraisemblable que l’un de ses membres, Thomas Harewood, ait pu présenter une telle vulnérabilité personnelle à un moyen de pression externe. Surtout lorsque sa position lui permettait d’obtenir des informations sur son maître chanteur, Harrison, supposé en outre être l’un de ses collègues ou ex-collègues (comme le film le révélera par la suite). Un individu capable de faire passer ses intérêts personnels ou familiaux avant ses engagements professionnels ne fait pas un agent crédible de la Section 31 (cf. Luther Sloan dans Star Trek DS9).
Il faut bien le méconnaître – ou se laisser éconduire par la légende urbaine - pour faire de Kirk un Casanova, un queutard invétéré. Le héros de la série originale était au pire un Don Juan, périodiquement courtisé par la gent féminine, et lui résistant difficilement. Mais il ne prenait quasiment jamais l’initiative, sauf par nécessité professionnelle (i.e. stratégique). Bien entendu, Star Trek Into Darkness, c’est la jeunesse du héros, c’est aussi et surtout une autre trame temporelle où tout est manifestement permis. Malgré tout, difficile de reconnaître quoi que ce soit du personnage de Kirk dans ce portrait de cavaleur impénitent et même de partouzeur que le reboot tente de nous vendre à chaque opus. Dans Star Trek 2009, la démagogie impliquait qu’il copule avec une orionne (étrangement cadette de Starfleet). Cette fois, ce sera simultanément avec deux aliens aux queues félines (des crypto-Caitians évoquant celles entraperçues dans le pilote de la série prequelle). Mais quitte à être infidèle à la typo de Kirk, autant se montrer audacieux… Parce qu’à l’ère de HBO et du gonzo banalisé, les prudes scènes de copulation en maillot de bain font franchement pitié, même dans du PG-13.
La plongée dans le quartier général de Starfleet à San Francisco a de quoi laisser perplexe. Les officiers au sol (en unité ?) revêtent des uniformes gris à épaulette gradée (vanité pourtant gommée dans la franchise), assortis de casquettes militaires (jamais portées durant quarante ans de Star Trek). Et pour ne rien arranger, ces dernières sont décalquées sur celles de l’Armée rouge soviétique durant la Guerre froide ! Rien à voir donc avec les sympathiques couvre-chefs souples bleus (façon NASA ou baseball) utilisés parfois par le Starfleet pré-Fédération du 22ème siècle (dans la série prequelle Enterprise) et dont la connotation était bien différente. La nouvelle timeline a vraiment bon dos !
Serait-ce une façon d’allégoriser le caractère prétendument démodé des uniformes de la franchise ? Mission réussie dans ce cas, à tel point d’ailleurs que c’est bien la toute première fois dans Star Trek que les tenues sont clairement orientées vers le passé (tandis que celles de la série originale demeurent toujours orientés vers l’avenir, malgré leur mauvaise réputation de "pyjamas"). Pour mémoire, même si les vaisseaux du Trekverse étaient conçus sur le modèle maritime de la Navy (bâtiments autarciques à commandement autonome, passerelle, salle des machine, absence ou quasi-absence d’astronefs d’interception à faible autonomie...), le créateur de Star Trek (Gene Roddenberry) s’était efforcé de "démilitariser" la forme de Starfleet. Il y avait bien sûr une formation, des compétences de pointe, une hiérarchie, une discipline... Mais la plupart des attributs de réification, de coercition, et de prestige avaient été gommés ou amenuisés (le caractère martial des uniformes, le port des décorations, l’ostentation des grades, les casquettes/képis rigides, les rituels initiatiques, etc...). Car la vocation de Starfleet était scientifique et exploratoire (comme la NASA), et non conquérante ou guerrière (comme la "Fédération Terrienne" de Starship Troopers).
En uniformologie, tout est symbole.
Convoqué par Pike, Baby-Kirk s’imagine déjà qu’il fera partie des rares à être sélectionnés pour le nouveau programme d’exploration de cinq ans. C’est de haut qu’il tombera en apprenant qu’il a été démis par Starfleet de ses fonctions de capitaine de l’Enterprise pour viol d’une douzaine de règlements (dont la Prime Directive) sur Nibiru (qui n’était supposé être qu’une mission de surveillance et non d’intervention). Ce passage très écrit aurait pu être inspiré, incisif, impertinent, tant Pike assène à Kirk ses quatre vérités, sur son immaturité, son irresponsabilité envers ses actions, son irrespect du fauteuil de capitaine, son mépris des règles (réservées aux autres), sa présomption d’invulnérabilité ("play God")... bref sur son immaturité ("vous n’êtes pas prêt") ! Une immaturité caractérisée lui valant d’être renvoyé sur les bancs de Starfleet Academy par décision de l’Amiral Marcus, chef d’état-major. En apparence, les auteurs semblent donc avoir écouté les doléances des trekkers envers la fin du précédent opus...
Malheureusement, une fois de plus, l’envolée potentielle est plombée par son écriture grossièrement utilitariste (cf. paragraphe suivant), ainsi que par son incohérence contextuelle. La sanction qui s’abat sur Kirk résulte d’un rapport circonstancié que Spock a envoyé à Starfleet au motif qu’il voulait endosser seul la responsabilité du viol de la Prime Directive, initiative que Kirk perçoit à juste titre comme un coup de poignard dans le dos de son subordonné & "ami" vulcain, auquel il venait d’ailleurs juste de sauver la vie. Comment Spock, qui a pourtant été instructeur à l’académie (dans Star Trek 2009), pouvait-il ignorer à ce point que son rapport relevait de la pure délation, car en toute circonstance, seul le capitaine est tenu responsable des manquements envers les directives en vigueur, a fortiori si celui-ci tente ensuite de dissimuler ses propres agissements. Après des événements aussi polarisants que ceux de Nibiru (où Spock a échappé de très peu à la mort), comment se fait-il que les deux officiers supérieurs n’aient pas accordé leur violon quant aux rapports de mission (d’autant plus que l’un et l’autre connaissaient leurs inclinations divergentes) ? Et au-delà de ça, comment se fait-il simplement que Baby-Kirk ait falsifié aussi grossièrement son rapport, puis tenté de mentir aussi effrontément et grossièrement en présence de Pike ? Si le Kirk originel prenait parfois quelques libertés envers la Prime Directive (latitude discrétionnaire des capitaines au 23ème siècle que reprend d’ailleurs à son compte Spock lorsqu’il tente de se justifier auprès de Pike), jamais Kirk ne manquait d’assumer ses initiatives, et de les justifier dans ses rapports. La jeunesse de Baby ne saurait être une excuse pour un tel écart de conduite, indigne du plus indigne des cadets, inintelligent avant même d’être irrégulier.
Mais il convient également de remarquer que la relation de Star Trek Into Darkness avec la Directive de non interférence est pour le moins singulière ! Cela tient du mix temporel entre les 22ème, 23ème, et 24ème siècles ! D’un côté, Baby-Kirk est encore plus insouciant envers le Starfleet General Order 1 que ne l’était Archer un siècle plus tôt (avant même la promulgation de celle-ci !) et donc a fortiori que ne l’était le vrai Kirk ; mais de l’autre (côté), l’amirauté de Starfleet sacralise cette doctrine autant que Picard un siècle après ! Si une telle disparité entre les ordres/directives et leur application avait existé dans ST The Original Series, Kirk aurait été limogé depuis longtemps...
Ramassant Kirk dans un bar (à l’instar de Star Trek 2009 où c’est aussi dans un bar qu’il était venu l’enrôler), Pike lui annonce qu’il a récupéré le commandement de l’USS Enterprise, et que c’est à son intercession personnelle (motivée par un évident attachement paternel) que Kirk doit de devenir son second sur l’Enterprise (au lieu de retourner à l’académie), tandis que Spock est affecté à l’USS Bradbury. Dès lors, les choses qui étaient simplement prévisibles deviennent très claires : le frémissement de réalisme aura été de si courte durée qu’il s’agissait en fait simplement d’un pauvre alibi à l’usage des sceptiques, d’un piètre os à ronger lancé aux trekkers. L’immaturité de Kirk aura été symboliquement sanctionnée pour n’être que mieux intronisée, définitivement cette fois. Grâce aux menées terroristes d’un commode nouveau bad guy, la prédestination super-héroïque de "l’Elu" Kirk est désormais castée, le tapis rouge déroulé, la messe dite.
L’amiral Alexander Marcus (Peter Weller) préside une réunion de crise à l’état-major de Starfleet. A la table : la session d’urgence Daystrom, soit dix capitaines de vaisseaux de la flotte, accompagnés de leurs seconds respectifs (incluant donc Kirk et Spock). Ordre du jour : les 42 victimes de l’attentat de Londres, son instigateur – un officier de Starfleet, le commander John Harrison – étant identifié pour avoir été dénoncé par Thomas Harewood avant que celui-ci ne fasse exploser sa chevalière piégée. Objectif : éliminer Harrison avant qu’il ne quitte l’espace de la Fédération. C’est une chasse à l’homme (manhunt) pure et simple, déclare l’amiral Marcus, adoptant pour l’occasion un langage (et des objectifs) bien plus US Army que Starfleet.
Toutes les têtes pensantes de Starfleet sont réunies pour un intense brainstorming. Mais bien entendu, seul Baby-Kirk comprend instantanément la situation : attaquer une bibliothèque dont les informations sont publiques (Kelvin Memorial Archive) n’a aucun sens, et donc (selon Kirk) il ne peut s’agir que des prémices d’une plus large offensive... l’objectif du terroriste étant de provoquer cette même réunion d’état-major, ici et maintenant, afin de pouvoir l’attaquer (et décapiter la tête de Starfleet). Aussitôt vaticiné par Kirk, aussitôt concrétisé : Harrison mitraille la salle de meeting au moyen d’un jumpship (sorte de drone piloté monoplace sans capacité de distorsion et à l’allure robotique).
Du fait de la présence de Peter Weller, célèbre pour avoir interprété l’officier de police Alex Murphy, cette scène est un clin d’œil évident à l’attaque de la salle de réunion de l’OCP par ED 209 (le prototype de robot-policier présenté par Richard Jones) dans le Robocop (1987) de Paul Verhoeven.
Bien sûr, durant l’attaque, le seul à prendre les armes pour tenter d’abattre le jumpship, c’est Kirk, en parfait action hero de son état. Il parviendra à neutraliser le vaisseau en lançant un grappin dans son réacteur, ce qui provoquera sa chute le long des parois de l’immeuble… tandis que Harrison s’en téléportera.
Au nombre des victimes, l’amiral Pike, mort littéralement dans les bras de Spock, tandis que celui-ci pratiquait une fusion mentale pour en capturer le dernier souffle (l’opération était réputée dangereuse dans le Star Trek originel). La découverte par Kirk de la mort de son mentor lui infligera une violent choc émotionnel... et au film un rare moment de recueillement, fort inhabituel dans le "système Abrams", et constituant probablement le moment le moins artificiel de l’opus sur le terrain des émotions. Mais pas sur le terrain de la construction scénaristique hélas, car la mort de Pike - aussi touchante soit-elle - n’a aucune autre fonction que d’emplir Baby-Kirk, non de maturité, mais de haine vengeresse pour lui faire récupérer plus vite encore son fauteuil de capitaine.
Reste que la session convoquée par Marcus n’a guère de sens à la lumière de ce que la suite du film révèlera (quand bien même il s’agirait de la procédure officielle évoquée par Kirk). Dans la mesure où le Kelvin Memorial Archive dissimulait en réalité une antenne de la très secrète Section 31 (dont la plupart des officiers de Starfleet ignorent normalement l’existence) et que le terroriste recherché est supposé en être l’un des "top agents", tout débat ou toute table ronde à son propos est sans objet, car par définition biaisée au regard de la situation réelle. Plus invraisemblable encore, le caractère critique du suspect (agent de la Section 31, qui plus est Augment/Amélioré comme le révèlera la suite du film) interdisait une réunion classique, négligemment exposée devant les vastes baies vitrées du dernier étage d’un building. La crédibilité aurait voulu que la tête de Harrison fût mise à prix par le commandement de Starfleet sans que les officiers supérieurs extérieurs à la Section 31 (tel Kirk) ne soient invités à en débattre en session ouverte. Mais bien entendu, placement oblige, il fallait recycler une resucée du 7ème Art depuis The Godfather : Part III (1990) de Francis Ford Coppola : le mitraillage-surprise-au-sommet.
Et si Thomas Harewood a envoyé à Marcus un message (pour l’informer de l’identité du marionnettiste) avant de se faire sauter, alors dans ce cas quitte à le trahir, pourquoi n’a-t-il tout simplement pas pris le parti de le dénoncer à Starfleet sans lui obéir (au lieu de lui obéir mais le dénoncer quand même) ? Sa fille Lucille étant sauvée, sa parole envers un terroriste avait-elle davantage de valeur que la vie de 42 de ses collègues de travail ? Une parole que Thomas a de toute façon trahie par sa délation pré-mortem (pouvant se traduire ensuite par des représailles sur sa fille). Mais si au contraire, les auteurs suggèrent que l’envoi du message faisait partie du contrat imposé par Harrison, n’était-il pas plus simple que ce dernier revendique lui-même l’attentat ? Plus généralement, lorsqu’on dispose comme Harrison d’un explosif (la chevalière) indétectable de tous les systèmes de sécurité de la Section 31, il serait beaucoup plus fiable de s’en servir soi-même sans impliquer de tiers (contraindre un innocent à se suicider, c’est prendre le risque de le voir faillir ou "trahir").
Le lendemain, l’enquête sur l’épave du jumpship permet à Scotty de découvrir que Harrison a utilisé le transwarp beam pour se téléporter directement au seul endroit inaccessible de Starfleet, Qo’noS (alias Kronos), la planète-mère de l’Empire klingon, sise à d’innombrables années-lumière de la Terre (rien que ça !).
Gonflé à bloc par la mort de son père spirituel Pike, Kirk demande à Marcus de lui rendre l’Enterprise et son second, Spock, pour aller traquer Harrison sur Qo’noS. Ce à quoi Marcus consent, invoquant la haute estime que Pike lui vouait, révélant à cette occasion l’existence de la Section 31 et l’appartenance de Harrison à celle-ci. Puis l’amiral ordonne à Kirk de ne pas chercher à appréhender Harrison vivant (rien de plus naturel pour Baby-Kirk, il avait déjà agi ainsi envers l’équipage de Nero dans ST 2009), de positionner l’Enterprise dans la Zone neutre klingonne, et de bombarder au moyen de torpilles à photon (furtives et d’un nouveau genre) la province inhabitée de Qo’noS où Harrison s’est téléporté.
Autant dire que Star Trek Into Darkness atteint ici l’un de ses apogées de n’importe nawak.
Alors d’une part, la téléportation transwarp, inventée par Scotty plus d’un siècle après et rapportée du futur par Spock-Nimoy dans le volet précédent, était supposée permettre la téléportation vers un vaisseau à distorsion tout en étendant un peu sa portée (à l’échelle d’un système solaire comme entre Titan et la Terre dans ST 2009). Rien ne laissait alors supposer qu’elle allait devenir dans le film suivant une baguette magique pour se projeter instantanément partout dans l’univers. Certes, comme il s’agit d’une technologie inconnue et venue d’une époque ultérieure à ST Nemesis, les auteurs estiment probablement qu’ils ont le champ entièrement libre. Pourtant, c’est scientifiquement peu recevable, étant donné que cela suppose une gestion simultanée d’un point d’arrivée situé non seulement au-delà de la causalité relativiste, mais même au-delà des possibilités du FTL trekkien (qu’il soit warp ou transwarp, le FTL n’a jamais été ubique, sauf dans Star Trek Voyager 02x15 Threshold mais avec de dramatiques conséquences mutagènes). Mais le plus gros problème tient aux répercussions conceptuelles sur la structure même du Trekverse, où une telle technologie est de nature à faire tomber en désuétude toute notion de distance et de voyage, à rendre théoriques les concepts d’éloignement, d’effort, de prix, et de risque présidant pourtant à l’exploration spatiale et à l’autonomie systémique. Serait-ce une contamination idéologique par les univers d’Hyperion (portes distrans), de Stargate (ibid), et de Doctor Who (Tardis) ? A moins qu’il s’agisse du signe de l’impatience toujours croissante des spectateurs-consommateurs qui ne supporteraient même plus les contraintes de voyages spatiaux dans les univers de SF (syndrome du "tout, tout de suite"). Lorsque Picard avait découvert les portails spatiaux iconians dans Star Trek The Next Generation 02x11 Contagion (1989) permettant d’apparaître instantanément n’importe où dans le cosmos, la franchise s’était alors bien gardée d’intégrer pareille technologie à sa panoplie, histoire de préserver intacts les défis de son univers. Et donc cette technologie d’omni-voyages instantanés fut présentée comme n’étant pas du tout à la portée des humanoïdes du 24ème siècle. Mais il est vrai qu’en ce temps-là, les auteurs avaient un sens aigu des responsabilités envers la franchise.
D’autre part, prétendre envoyer un vaisseau de Starfleet (dépourvu de toute capacité d’occultation) dans la Zone neutre de l’Empire Klingon pour bombarder de plein fouet une province entière (au motif qu’elle serait inhabitée) de la planète-capitale Qo’noS (forcément à des années-lumière de la zone neutre, et donc inaccessible à des torpilles tirées depuis la frontière, à moins que celles-ci voyagent à distorsion !), cela tient de la mauvaise blague. Déjà venant de Kirk, dont le surréaliste argument-clé est que Starfleet n’est pas autorisé à aller chercher le terroriste sur Qo’noS tandis que lui le peut (sic - oublie-t-il qu’il est lui aussi un officier de Starfleet et que son USS Enterprise est le vaisseau amiral de l’UFP ?). Mais plus encore lorsqu’une telle "stratégie" est approuvée par le chef d’état-major de Starfleet en personne, qui est aussi en charge de la redoutable Section 31 (impensable double casquette dans l’utopie trekkienne), laquelle bien que parfois amorale (parce que l’univers l’est aussi) s’était toujours caractérisé dans le Star Trek originel par un sens exacerbé des responsabilités et une implacabilité stratégique. Être convaincu qu’une guerre avec les Klingons est inévitable et utiliser toutes les ressources de la Section 31 pour s’y préparer ne rime pas avec la vouloir, la précipiter, ou la provoquer. Les auteurs ont-ils oublié que le Klingon est l’adversaire le plus destructeur de la Fédération au 23ème siècle et qu’il remportait inéluctablement la partie au 24ème siècle dans la timeline alternative de ST TNG 03x15 Yesterday’s Enterprise ? En fait, toute cette opération "branquignolesque" s’apparente à une transposition parodique de Zero Dark Thirty, l’attaque de Londres et San Francisco dans le rôle du 9/11, Harrison dans celui de Ben Laden, l’Empire Klingon dans celui du Pakistan, la Section 31 dans celui de la CIA, Kirk & son staff dans celui des SEAL, et l’amiral Alexander Marcus dans celui de George W. Bush (à moins que ce ne soit dans le rôle de Barack Obama puisque c’est tout de même lui qui a autorisé l’opération de 2011). Sauf que le film de Kathryn Bigelow avait pour sa part pris toute la mesure des difficultés, des incertitudes, et aussi des risques d’une opération commando illégale dans un territoire ennemi, ou du moins souverain. Mais ST Into Darkness se croit plus malin, plus fort, plus expéditif, et il prétend réussir en deux jours ce qui avait demandé dix ans à la CIA. Et ce faisant, il échoue piteusement à l’épreuve de décontextualisation qui sied à toute SF qui se respecte.
Jolie consolation, du moins pour les yeux : dans le bureau de Marcus à Starfleet HQ, le film prodigue un magnifique travelling dévoilant un à un les modèles réduits de toutes les étapes majeures de la conquête spatiale, depuis le 20ème siècle du monde réel au 23ème siècle (de la nouvelle timeline), en passant par le premier contact de la fin du 21ème siècle et le programme Warp 5 du milieu du 22ème siècle. Tel un hommage au superbe générique de la série prequelle ST Enterprise avec successivement : le Wright Flyer, le Spirit Of St Louis, le V-2 allemand, le X-15 de la NASA, le Vostok de l’URSS, le module Gemini, la navette spatiale STS, le lanceur Ares V, le Phoenix de Zefram Cochrane, le vaisseau à anneaux XCV-330, le NX-Alpha, le NX-01 de Jonathan Archer, l’USS Kelvin de ST 2009… Mais curieusement, cette rétrospective historique s’achève par le top-secret USS Vengeance de la Section 31 (voir plus bas)… qui semble donc être autant un secret de polichinelle dans Starfleet que l’alias "John Harrison" dans la communauté des trekkers durant la martellement publicitaire de ST ID.
Grand amour de jeunesse de Kirk et mère de son fils David dans l’univers originel (et plus précisément dans Star Trek II The Wrath Of Khan bien que possiblement évoquée "little blonde lab technician" dès le second pilote ST TOS 01x01 Where No Man Has Gone Before), Carol Marcus s’invite dans Star Trek Into Darkness sous les traits de l’actrice britannique Alice Eve. Mais lorsque Bibi Besch était hantée par son rôle de biologiste moléculaire civile (tandis que son personnage exprimait des réserves envers Starfleet), la nouvelle interprète est bien trop bimbo (et potiche) pour camper de façon convaincante une géniale Ph.D des sciences physiques (qui se révèle bizarrement être aussi une officier scientifique de Starfleet spécialisée en armement !).
Celle-ci se fait clandestinement affecter à l’Enterprise sous l’identité d’emprunt Carol Wallace (non de jeune fille de sa mère), afin d’échapper à la surveillance de son père qui n’est autre que l’amiral Marcus. Une mascarade et une affectation bidon que Spock ne mettra pas longtemps à découvrir. Rarement l’introduction d’un personnage du canon n’aura été aussi prétexte, et tous les ingrédients du soap sont dorénavant réunis, puisque la dulcinée prédestinée de Kirk n’est autre que la fille de celui qui lui a confié la plus invraisemblable des missions. Après le père (Pike), le sidekick (Spock), le méchant beau-père (Marcus), voici la copine putative (Carol). Syndrome des micro-univers : tout le monde se connait, et est toujours le père, le frère, le pote, ou l’amant de tout le monde.
A peine embarqué dans la navette à destination de l’Enterprise, Spock entreprend de persuader Kirk de l’immoralité et de l’illégalité de l’opération qui lui été confiée, aucun règlement de Starfleet n’autorisant en effet les exécutions sans procès. Observation pertinente certes, mais comment se fait-il que seul le demi-Vulcain se soit souvenu de ce qui aurait dû tenir de l’évidence pour n’importe quel officier de Starfleet digne de son uniforme… Belle démonstration supplémentaire – s’il en fallait une - de l’irresponsabilité de Baby-Kirk, dont les actions de capitaine ne semblent guidées que par les émotions autocentrées, telle la haine ou la colère d’avoir perdu un être cher. Et ça ne fait que commencer…
Néanmoins, la plaidoirie de Spock portera ses fruits (à son grand soulagement) puisque c’est par un communiqué officiel à tous les ponts de l’Enterprise que Kirk, tout en rappelant sa volonté d’éviter une guerre avec l’Empire klingon, annoncera son intention d’aller chercher lui-même Harrison dans la cité abandonnée de Qo’noS afin de le faire comparaître en justice. A cet effet, il utilisera une navette (non armée !) précédemment confisquée à Harry Mudd (durant ce que le film nomme le Mudd incident, une référence évidente au très médiocre comics prequel non canon Countdown To Darkness). Comment ne pas être frappé par la contradiction flagrante entre ces deux objectifs. Et si le script n’assume pas ladite contradiction (autrement que par la pauvre lantern pointée par Spock, à savoir les 91,6% de probabilité de se faire tuer par les Klingons), c’est qu’il est juste incohérent.
A bord de l’Enterprise, Scotty - toujours interprété par le bouffonnant Simon Pegg (bon sang, quelle affligeante erreur de casting !) et toujours flanqué de son petit "humanoïde de compagnie" (Keenser) - s’oppose catégoriquement à l’admission des 72 super-torpilles à photons expérimentales fournies par Marcus, au motif que leur contenu est classifié, inconnu de lui, et protégé par un écran inviolable. Scotty pousse même le bouchon jusqu’à donner sa démission (qui implique apparemment aussi celle de son "toutou bipède" Keenser) plutôt que d’obéir à l’ordre donné par Kirk de signer le bordereau de chargement. Serait-ce une audace scénaristique destinée à souligner l’intégrité professionnelle et l’intuition acérée de Scotty, voire à révéler la fragilité relationnelle de la fine équipe du reboot ? Malheureusement il n’en est rien, la suite du film montrera simplement que la victoire sur un ennemi supérieur en puissance exigeait la présence d’un allié dans le camp adverse, ce qui n’aurait pas été possible si Scotty était resté à bord de l’Enterprise. La construction scénaristique est donc tristement prévisible…
Privé de son ingénieur en chef, qui donc Kirk nomme-t-il pour remplacer Scotty ? Oh pas le subordonné de ce dernier dans la chaîne hiérarchique du gigantesque et très peuplé Enterprise rebooté ! Non, non, Chekov ! Chekov qui fait pourtant partie du personnel de la passerelle et qui ne possède aucune formation d’ingénieur (tout "génial" qu’il soit supposé être à en croire le film précédent). Manifestation aiguë du "syndrome micro-univers" : les postes clefs, fétichisés par les trekkers, ne peuvent se partager qu’entre VIP connues du public (on tient donc pour admises dans le Star Trek rebooté des pratiques qui, révélées de nos jours dans la presse, feraient hurler l’opinion). Le starfleet revisité par Bad Robot est strictement népotique, et en dehors de la dream team, il n’y a que des figurants…
Et pour accentuer encore le ridicule de la situation, comme si l’habit faisait le moine, il suffira que Chekov enfile l’uniforme rouge et se poste à l’usine à gaz (ou à bière) Budweiser... pour adopter aussitôt tous les tics surexcités de Scotty-Pegg !!! Le reboot se caricature ainsi lui-même. Et ce sera malheureusement loin d’être la seule fois...
Réapparition d’Uhura, déjà entrevue dans le teaser, et dont la principale fonction à bord du Star Trek rebooté est d’être la greluche attitrée de Spock : l’essentiel de ces lignes de dialogues (en anglais du moins) porteront sur sa relation contrariée avec Spock, sur ses attentes frustrées de couple, sur ses petites exigences de minaudière gâtée et chouineuse, que dis-je, de parfaite pétasse, oui ! Non contents de confondre les typos vulcaines avec les typos humaines, les scénaristes confondent visiblement aussi l’utopie trekkienne avec l’american way of life. Exit tout dépaysement futuriste, le public devrait kiffer : il sera en terrain familier, surtout que ces héritiers illégitimes de Georges Feydeau ont conservé un certain sens de l’humour, mais tellement gras et convenu qu’on parlera plutôt de "fun". En tout état de cause, dans le Star Trek 2.0, les paradigmes matérialistes et nombrilistes étatsuniens ont bel et bien remporté la partie.
Le seul moment où Uhura se rendra utile, c’est par sa connaissance – rouillée selon elle – de la langue klingonne, ce qui lui vaudra d’accompagner Kirk et Spock dans la navette de Mudd sur Qo’noS, et de tenter de parlementer – en Klingon – avec la patrouille klingonne l’ayant arraisonnée. Curieux lorsque l’on sait que dans l’univers originel, si Uhura était très polyglotte, elle ne connaissait néanmoins pas grand-chose au Klingon, et il lui fallait dans Star Trek VI The Undiscovered Country recourir à un dictionnaire en dur pour faire face aux échanges les plus élémentaires.
Une inexplicable fuite de liquide caloporteur oblige l’Enterprise à sortir de distorsion à 25 minutes de Qo’noS. Kirk confie le commandement de l’Enterprise à Sulu, et lui donne l’ordre de contacter Harrison pour exiger sa reddition sous la menace d’envoi des super-torpilles de Marcus. Ce qui offre à Bones l’opportunité de critiquer la décision de Kirk au moyen d’une nouvelle métaphore incongrue, ayant trait cette fois au poker (réduit à une caricature de ce qu’il était à l’origine, McCoy écope dans le reboot du rôle peu gratifiant de râleur de service). Puis Kirk, Spock, Uhura et l’officier de sécurité Hendorff (celui-là même qui traitait Kirk de "cupcake" dans ST 2009) s’embarquent à destination de Qo’noS dans le K’normian trading ship (la navette de Mudd) qui s’apparente étrangement à une version miniature du Faucon Millenium de Han Solo dans Star Wars. Tous les uniformes et les insignes de Starfleet sont retirés pour éviter une guerre avec les Klingons, dixit Kirk. Seulement quelques secondes après (en temps à l’écran), la navette arrive en orbite de Qo’noS (nommée Kronos à l’écran) et repère Harrison dans la province abandonnée, tandis que Sulu lui envoie depuis l’Enterprise un ultimatum de reddition très autoritaire tout en lui annonçant l’arrivée d’officiers de Starfleet chargés de l’arrêter et de le rapatrier. Curieusement, la lune Praxis est déjà éventrée (cela n’arrivera pourtant qu’en 2293, soit 34 ans après dans l’univers originel, l’arrivée de Nero semble avoir également chamboulé la chronologie klingonne).
Suite du portnawak stratégique... Quel intérêt cela a-t-il de se faire passer pour des civils sans relation avec les forces officielles de l’UFP si en parallèle, l’Enterprise émet en direction de Qo’noS un ultimatum de reddition et annonce officiellement l’arrivée d’officiers de Starfleet ? Les Klingons ne sont-ils pas capable de décoder un message menaçant envoyé vers une province de leur planète ? Et quelle est l’efficacité d’un tel ultimatum auquel Harrison ne peut de toute façon pas répondre ? Et puis Kirk croit-il que la planète-capitale de l’Empire klingon est une passoire au point de laisser venir et repartir sans autorisation des navettes de commerce interlopes ?
Quant à la destruction de Praxis, sa seule "fonction" dans le film est de constituer un inutile clin d’œil de plus à la tétralogie originelle, en l’occurrence à ST VI The Undiscovered Country, et comme d’habitude dans le reboot sans aucune considération pour les écarts d’époques. Mais ce faisant, c’est l’unique vecteur d’alliance entre les Klingons et l’UFP qui aura été stérilement gâché. Le contexte aurait normalement dû être propice à un rapprochement pacifique, mais visiblement, Spock-Nimoy se contrefout autant que de la possibilité d’effacer le xénocide de Vulcain. Allez, jouons un instant au "jeu fanboy du reboot" : c’est probablement la Section 31 - version Palpatine - qui a détruit Praxis. Mieux encore : en dépit de la référence visuelle ostentatoire, rien dans le script n’établit formellement qu’il s’agit de Praxis, il pourrait donc s’agir en théorie d’une autre lune de Qo’noS.
Durant les trois minutes de descente dans l’atmosphère de Qo’noS (qui visuellement évoque Bespin dans Star Wars Episode V : The Empire Strikes Back), ST Into Darkness délivre une scène qui, à la première lecture peut passer pour la mieux écrite du film, mais qui, après une analyse plus approfondie se révèle n’être qu’une infecte manipulation, à l’image du film lui-même. Dans le cadre d’une scène de ménage (à laquelle a été associée Kirk pour dispenser un effet comique), Uhura reproche à Spock de ne s’être pas soucié de leur relation intime lorsqu’il avait décidé de se sacrifier au nom de la Prime Directive sur Nibiru, et plus généralement de ne pas exprimer assez de sentiments ni se soucier d’elle. Spock se sent alors tenu de la détromper et de l’émouvoir en invoquant l’expérience déroutante de la fusion mentale avec Pike au moment de sa mort (colère, confusion, solitude, peur) lui ayant rappelé son effroi au centuple de la destruction de Vulcain. Et alors selon son aveu, c’est la crainte d’un tel désespoir qui l’a conduit à ne plus ressentir d’émotions.
Quel dommage ! Ces lignes de dialogues semblaient pourtant vouloir donner du poids à l’extermination de Vulcain que le film précédent avait traité avec une désinvolture insultante (en ignorant notamment les implications de ST TOS 02x19 The Immunity Syndrome). Mais finalement, la préoccupation de Spock n’est ici que bassement autocentrée. Le génocide d’une civilisation entière devient le substrat de l’auto-apitoiement et de l’amadouement d’autrui. Quant à la purge émotionnelle vulcaine, elle procèderait – selon Spock-Quinto – d’une fuite, d’une lâcheté, et non d’une élévation de conscience ou d’une maturité évolutionnaire. Une fois de plus, comme dans le film précédent, les scénaristes n’ont strictement rien compris à la philosophie vulcaine, qu’ils assimilent à une posture humaine égocentrique de confort. Et pour faire pleurer Margot, ils en viennent – consciemment ou non – à trahir les personnages et les systèmes de pensée.
Poursuivi par un intercepteur klingon de classe D4 (sorte d’oiseau de proie miniature à ciblage atmosphérique et dont la voilure est mobile), le vaisseau de Mudd plonge dans les profondeurs de la cité abandonnée de Qo’noS (où Harrison est censé avoir trouvé refuge). S’ensuit alors un dogfight dans les tréfonds de Coruscant (Star Wars, Episode II : Attack Of The Clones) et culminant par l’attaque de la Death Star (Star Wars, Episode IV : A New Hope)… permettant à Baby-Kirk de faire la démonstration de son adresse de pilote avec des engouffrements à très haute vitesse dans des fentes de la taille-même de sa navette… avant que celle-ci ne soit arraisonnée par trois D4 klingons (le tout dans un unique plan-séquence). Forte de ses compétences exo-linguistiques, Uhura sort courageusement de la navette pour tenter d’expliquer (en langue klingonne) les raisons de leur intrusion à une quinzaine de guerriers en casque, en masque, et en armure... comme sortis d’une réunion du Ku Klux Klan relookée par la saga Halloween (La nuit des masques) - un assemblage pour le moins surréaliste. Peu réceptifs à son argumentation, l’un des Klingons retire son masque - révélant des arrêtes frontales sur son visage - et empoigne Uhura pour l’égorger avec son poignard. Mais avant que Kirk n’intervienne avec son armement de fortune, Harrison sort de nulle part, et tel un badasse d’Assassin’s Creed III, élimine en quelques secondes tous les Klingons présents, sauvant au passage la vie de Uhura (et du détachement de l’Enterprise). S’ensuit un combat (à armes aussi bien énergétiques que blanches) auquel prennent part les humains contre plusieurs groupes d’assaut klingons aéroportés, mais finalement tous sont éliminés à leur tour, essentiellement par le "superman" Harrison (pour qui connait la nature de ce dernier, la référence à l’arc Augment de la série prequelle est évident, et tout particulièrement au teaser de ST ENT 04x04 Borderland). Celui-ci demande alors aux humains combien de torpilles à photons pointent dans sa direction, et lorsqu’il apprend qu’il y en a exactement 72, il se rend sans condition (ce nombre d’or étant manifestement l’argument déterminant !). Kirk procède à l’arrestation de Harrison, et au nom de l’assassinat de feu son ami Pike, lui assène un uppercut, mais sans réussir à l’ébranler. L’acharnement n’y changera rien, Harrison semble aussi invulnérable qu’un punchingball exutoire.
Loin, très loin de la beauté rustique et solennelle que Star Trek TNG et ST Enterprise avaient révélées, la surface de Qo’noS s’apparente ici à un Unicomplex borg, composée d’une infinité d’étages métalliques et géométriques superposés, dont l’inhumanité cauchemardesque est renforcée par le caractère très mecha des D4 Class (l’idée est probablement de transposer sur Qo’noS la ville ukrainienne fantôme de Pripiat, l’explosion de la lune - Praxis ou pas - ayant alors valeur de Tchernobyl). Quant aux Klingons, ils ne sont pas touchés par l’humanisation (comportementale et physiques) infligée à leur espèce durant le 23ème siècle de Star Trek TOS (causalité pourtant très antérieure à la divergence temporelle de 2233 puisque remontant à ST ENT 04x15 Affliction en 2154). Ce n’est toutefois pas en soi une incohérence puisqu’il n’a jamais été établi que le Klingon Augment Virus avait touché tous les Klingons (et il est en outre possible qu’ils s’en soient remis plus vite dans la timeline alternative). Plus curieux est en revanche le look et l’attitude de ces Klingons rebootés : des brutes primitives sorties de ST TNG 07x19 Genesis voire les Orques de The Lord Of The Rings ! De plus, difficile de croire que des Klingons puissent s’accommoder de dissimuler leurs traits derrière des casques frontaux, logiquement perçus comme une forme de lâcheté ou de déshonneur (Klingon Augment Virus au pas). ST 2009 nous avait sorti les "Romuliens skinheads tatoués", et maintenant ST ID nous inflige les "Klingons punks albinos percés" ! L’une des seules marques de "créativité" (si l’on peut dire) du reboot ne s’illustre pas par son inspiration ni son bon goût…
Toute cette virée sur Qo’noS est une débauche de spectacle pseudo-épique stérile, sacrifiant à la démagogie de voltiges virtuelles inaccessibles aux aptitudes humaines - raison pour laquelle ces jeux vidéo d’arcade irréalistes avaient toujours été absents de l’univers Star Trek historique.
Par ailleurs, pourquoi Uhura s’obstine-t-elle à parler klingon ? Les traducteurs universels n’existent-ils plus dans l’univers rebooté ? Les auteurs ignorent-ils que les UT n’avaient pas été utilisés dans Star Trek VI The Undiscovered Country uniquement parce que les héros tentaient de se faire passer pour des Klingons natifs ? Du Star Trek historique, les auteurs semblent ne connaître que les films pairs de la décalogie (entre le cliché et l’étude commerciale), et ils ne cessent d’en être prisonniers, sans pour autant réussir à les comprendre vraiment.
Quant à Harrison - qui révèlera bientôt son identité "réelle" (Khan évidemment !) - sa supériorité physique d’amélioré génétique semble largement surévaluée pour les effets de scène, car dans les pugilats de Star Trek TOS 01x24 Space Seed, il n’était pas totalement insensible aux coups portés par Kirk. Ce dernier était même parvenu tant bien que mal à le neutraliser sans phaser.
De retour sur l’Enterprise (apparemment on quitte Qo’noS sans la moindre encombre même après avoir massacré des dizaines de Klingons et avoir provoqué l’alerte générale), Kirk envoie un message à la Terre pour informer Starfleet Command de l’arrestation de Harrison (un message restant sans réponse). McCoy recueille un échantillon du sang de Harrison enfermé dans une cellule, mais pas derrière un champ de force (selon les usages des 23ème et 24ème siècle de la franchise), mais derrière une vitre traversable à volonté (le Starfleet rebooté du 23ème siècle possède-t-il déjà la technologie du 31ème siècle - cf. l’agent spatio-temporel Daniels dans ST ENT - permettant de traverser la matière solide ?).
A partir de ce point, Baby-Kirk n’est plus que la marionnette de son prisonnier… réussissant à le manipuler grossièrement pour le téléguider à volonté. Il devient alors évident que Harrison s’est laissé volontairement arrêter sur Qo’noS car cela servait ses intérêts, tout en se payant la tête du héros depuis sa prison (bien temporaire). Le procédé est une archi-resucée, des Arsène Lupin d’hier aux dernières déclinaisons de James Bond (Skyfall) et bien sûr de Batman de Christophe Nolan (que ST ID tente d’ailleurs parfois de singer sur le plan graphique). Et en dépit des avertissements répétés de son entourage (Spock et McCoy), Kirk s’obstine à ne rien voir, à la fois par fascination (que le feu exerce sur le singe) et par reconnaissance (Harrison lui a sauvé la vie, mais il n’est pas venu à l’esprit du héros que ce n’était pas forcément un acte de charité ou d’altruisme dont il serait comptable ou redevable). Preuve supplémentaire de l’immaturité crasse de Baby-Kirk… qui n’aurait jamais dû quitter les bancs de l’académie comme l’avait bien compris Starfleet au début du film (et en dépit de ce que tentent de nous démontrer – bien maladroitement – les auteurs).
Donc Harrison mène le bal. Il révèle bien vite à Kirk qu’il n’est autre l’ex-dictateur amélioré des Guerres eugéniques, Khan Noonien Singh, réveillé de sa longue stase cryogénique dans le SS Botany Bay par l’amiral Alexander Marcus peu après la destruction de Vulcain... qui aurait poussé Starfleet à accroître ses moyens de défense. Et sous la menace de mise à mort de ses 72 compagnons Augments (maintenus en stase), Marcus a obligé Khan a mettre son intelligence supérieure au service de la Section 31 (sous l’identité officielle de "John Harrison") pour développer de nouvelles armes de pointe, et sa sauvagerie (supérieure aussi) au service d’une prévisible guerre contre les Klingons. Mais clandestinement, Khan a dissimulé les 72 corps en stase dans les torpilles expérimentales que Marcus l’avait obligé à concevoir, et c’est alors qu’il s’est fait surprendre. Il dut prendre donc la fuite, seul, et convaincu que Marcus allait assassiner les siens. Mais parce que sa famille d’Améliorés représente tout pour lui (il leur versera même une larme), Khan s’est attaqué à la Section 31 de Londres et à l’état-major de Starfleet pour se venger de Marcus. Quant à ce dernier, c’est en pleine connaissance de cause qu’il aurait donné l’ordre à Kirk de bombarder Qo’noS de 72 fausses torpilles, tout en sabotant l’Enterprise pour qu’il se retrouve immobilisé dans la zone neutre afin de se faire détruire par les Klingons en représailles. Somme toute, Marcus aurait hypocritement envoyé Kirk et son équipage dans une mission suicide pour faire d’une pierre trois coup : massacrer tous les Augments, se débarrasser de l’incontrôlable Baby-Kirk, et déclencher la guerre avec les Klingons que l’amiral désirerait tant. Conclusion arrachée de force : la cause de Khan est juste, Kirk doit l’aider, tandis que Marcus est un va-t-en-guerre criminel qui a fait du chien fou Kirk son pigeon.
Wow ! Alors voilà le nœud de toute l’intrigue, l’argument narratif sur lequel repose ce blockbuster !? Ressort moins incohérent qu’il n’y parait de prime abord, mais malgré tout très confus dans sa formulation (une majorité de spectateurs – même anglophones de naissance - n’ont guère saisi le pourquoi du comment au premier visionnage), le tout demeure particulièrement capillotracté. On sent bien que les scénaristes ont poussivement bâti un château de carte très fragile.
Curieusement, Khan se présente lui et se semblables comme ayant été génétiquement créés pour apporter de la paix à un monde en guerre, puis exilé avec ses pairs dans l’espace par ingratitude comme de vulgaires criminels de droit commun... ce qui constitue un douteux retcon des Guerres eugéniques…
Il était évident depuis 2009 que Khan allait succéder à Nero dans la fonction utilitaire de super-méchant-faire-valoir-du-super-héros, puisque l’équipe de JJ Abrams s’est spécialisée dans les solutions les plus prévisibles, paresseuses, et démagogiques… dont la pire ne pouvait qu’être le retour du plus culte des antagonistes de Kirk. Mais le cast de Benedict Cumberbatch laissait tout de même espérer une surprise de dernière minutes, tant cet excellent acteur ultra-british & ultra-froid n’a strictement rien de commun avec le personnage sikh de Khan, défini par le très latino et très sanguin Ricardo Montalban. Hélas, Bad Robot n’a aucune vergogne. Qu’il s’agisse de phénotype et de morphologie (que les puritains ne viennent surtout pas prétendre hypocritement que la conformité physique n’a aucune importance, une œuvre audiovisuelle repose toujours sur l’incarnation avec tout ce que cela implique), de parole et d’accent (british), d’attitudes intérieure et extérieure... un abîme les sépare. Et une pareille usurpation d’identité ne peut s’expliquer par la seule divergence de timeline de 2233, puisque les Guerres eugéniques sont de deux siècles antérieures, et que Khan a été décongelé moins d’un an avant les événements de ST Into Darkness. Dans les deux timelines, Khan est supposé être identique. Un parti pris aussi boiteux, aussi artificiel (un mot qui revient souvent au sujet de ce film !) renforce finalement le sentiment que le reboot porte sur un univers entièrement distinct de l’original, et pas seulement sur une timeline alternative née de l’intrusion de Nero.
Seulement, il est bien connu que lorsque les scénaristes manquent de cohérence et d’imagination, c’est aux fanboys les plus épris qu’il appartient d’en prodiguer... au centuple. Et les plus motivés d’entre eux ne manqueront probablement pas de se convaincre que la différence physique de Khan 2.0 résulterait d’une opération de chirurgie esthétique (à des fins d’incognito) imposée par le Section 31 (appelée à devenir un pur MacGuffin dans le reboot), ou encore d’une mystérieuse radiation mutagène émanant du "trou noir de pulp" (par lequel est arrivé Nero dans ST 2009) et ayant frappé de plein fouet le SS Botany Bay, ou tant qu’à faire d’une répercussion de la nouvelle timeline (née en 2233) sur les services spatiotemporels de Starfleet des 29ème et 31ème siècles (croisés respectivement dans ST Voyager et dans ST Enterprise) qui auraient alors (volontairement ou non) altéré rétroactivement les Guerres eugéniques (et leurs protagonistes) du 20/21ème siècle. Mais eh... rien n’est plus subjectif et modulable que la suspension d’incrédulité selon les capacités d’autosuggestion (ou la mauvaise foi) de tout un chacun.
S’il est tout à fait concevable - et même logique - que la destruction de Vulcain ait fragilisé voire fait paniquer la Fédération, conduisant alors la Section 31 à multiplier ses efforts sécuritaires et prophylactiques, il demeure en revanche absurde que celle-ci ait poussé l’irresponsabilité jusqu’à embaucher (qui plus est sous la contrainte) une incontrôlable relique des Guerres eugéniques (20/21ème siècle) pour lui faire développer en moins d’un an des technologies de pointe du 23ème, et plus risible encore, pour prétendre en exploiter la sauvagerie !!! Se familiariser rapidement avec les manuels d’instruction des vaisseaux de Starfleet (comme l’avait fait Khan dans ST TOS 01x24 Space Seed) n’implique en rien une compréhension suffisante des sciences du futur pour créer sur commande et en quelques mois des technologies nouvelles. Pour mémoire, les Augments n’ont jamais rien inventé dans le Star Trek originel, d’autant plus que Khan état présenté à juste titre dans Star Trek II The Wrath Of Khan (La colère de Khan) comme ayant une intelligence strictement bidimensionnelle, donc non-créative. Quant à vouloir tirer rationnellement profit de la "sauvagerie" (obtenue en outre par la contrainte), cela revient littéralement à se soumettre à elle et à se laisser éconduire, ce qui contredit frontalement les méthodes échiquéennes de la Section 31 (ne prendre aucun risque susceptible de mettre en péril l’UFP et ses valeurs).
Pire encore, la vocation même de la Section 31 est de prévenir les guerres par n’importe quel moyen (même amoral - comme forcer d’opportunes alliances), non les provoquer ou les précipiter (soit l’objectif inverse). Sous couvert de prise en compte des conséquences (il serait temps !) de la destruction de Vulcain, les scénaristes témoignent une fois de plus de leur méconnaissance trekkienne... en osant confondre ainsi la Section 31 avec les faucons de Starfleet (amiral Cartwright & co) de ST VI The Undiscovered Country !!!
Enfin, si les 72 Augments en stase furent le levier ayant permis à l’Amiral Marcus de contrôler Khan, quel sens cela aurait-il eu de les assassiner, tout en sachant le surpuissant Khan 2.0 capable de créer en quelque jours des technologies du 36ème siècle et libre d’organiser des attentats vengeurs ? Et comment Khan a-t-il pu tenir ses coreligionnaires pour perdus alors qu’il avait suffisamment de moyen d’action au sein de la Section 31 pour les dissimuler tous dans les torpilles top-secrètes de l’amiral Marcus ? Et si Khan était à ce point soucieux de la survie de sa "famille", comment a-t-il pu les cacher à l’endroit précis où ils avaient le plus de chance d’être tués à tout moment (dérisoire était la probabilité que Kirk n’utilise pas ces torpilles en exécutant la mission confiée par Marcus). Lui qui maîtrisait le transworp beam, n’avait-il pas tout le loisir d’évacuer dans un autre système solaire ses compagnons, plutôt que de multiplier les attentats stériles ?
Bref, le ressort central du film se révèle particulièrement bancal pour ne pas dire abracadabrant. Les agissements de Khan 2.0 et de Marcus ne sont ainsi guère plus crédibles que ceux de Nero dans ST 2009. Quant à la "Section 31 nouvelle", elle ne sort pas de Star Trek mais des délires fantasmagoriques sur la CIA (et le SD-6) de la pathétique série Alias des mêmes auteurs (à l’instar de la red matter de ST 2009 procédant du Mueller device de Milo Rambaldi).
Bien entendu, d’aucuns seront grisés par ce worst case scenario réunissant de façon très improbable les ingrédients les plus liminaux dans un cocktail ultra-pompier :
Une poignée de militaires terriens semblent avoir confisqué dans l’indifférence générale l’autorité civile de l’United Federation of Planets pourtant supposée être composée de dizaines (voire de centaines) de civilisations extraterrestres. ST 2009 avait établi que l’UFP = Starfleet plantant ainsi les germes du fascisme, et maintenant l’insignifiance de l’UFP est devenue telle que ST ID ne daigne même plus l’évoquer !
Le faucon conspirateur est carrément le chef d’état-major de Starfleet, dirigeant lui-même la Section 31 (suprême incohérence dans la concentration des pouvoirs !) qu’il détourne totalement de sa vocation, tentant d’exploiter la supériorité eugénique de Khan, et prêt à sacrifier l’élite de Starfleet (et le vaisseau fleuron de la flotte, l’USS Enterprise) pour déclencher une guerre avec les plus destructeurs ennemis de la Fédération (les Klingons) !
Ben voyons ! C’est "réaliste" à faire passer George W. Bush et son administration pour des cadors. La société trekkienne rebooté est décidément aussi branlante que l’originale était solide…
Obéissant avec féauté à Khan, Baby-Kirk contacte – depuis l’espace klingon et directement avec son communicateur – Scotty qui se soûle dans une boîte de nuit californienne (cool, dans le 23ème siècle rebooté, les communicateurs personnels permettent visiblement de se parler instantanément de n’importe où dans le cosmos, sans être tributaires des vaisseaux ou des relais, en somme à la façon des ansibles dans Ender’s Game (La Stratégie Ender) d’Orson Scott Card !) pour lui transmettre des coordonnées spatiales aux abords de Jupiter. Scotty est chargé par Kirk d’y faire une reconnaissance clandestine, et est réembauché dans Starfleet à cette occasion (piètre parodie de la fin de Star Trek TOS 02x09 The Apple). Parvenu en navette en orbite de Jupiter, il y découvre un énorme cube métallique – s’apparentant morphologiquement à ceux des Borgs – mais qui s’avère être une base de construction secrète de la section 31 ! Mais comment une pareille technostructure a-t-elle pu passer inaperçue des nombreux vaisseaux humains et aliens traversant le système solaire ? Et comment conserver le secret lorsque tant de gens sont impliqués ?
Profitant d’un incessant trafic (y a vraiment du monde !), Scotty pénètre clandestinement dans le cube (on entre à la section 31 comme dans un moulin !), et il y découvre l’arme secrète de Marcus : l’USS Vengeance (quelle dénomination subtile !), appartenant à la nouvelle Dreadnought-class (littéralement "cuirassé"), de couleur sombre (ça accentue l’angoisse), deux fois plus gros que l’USS Enterprise (qui pourtant est déjà énorme dans l’univers rebooté), trois fois plus rapide, incomparablement mieux armé, mais doté d’un équipage très réduit (une quinzaine de personne, on se demande du coup à quoi servent les 400 équipiers ou plus de l’USS Enterprise ?), et sosie massif de l’Enterprise E (des trois derniers films de ST TNG). C’est un vaisseau exclusivement de guerre, tel l’USS Defiant NX-74205 plus d’un siècle après, si ce n’est que dans Star Trek DS9, il était rappelé – conformément aux invulnérables (et pourtant très compacts) vaisseaux Tholiens des 22ème et 23ème siècles – que la rapidité et la puissance de feu n’est pas une affaire de taille (le cuirassé Défiant est ainsi l’un des plus petits vaisseaux de Starfleet). Mais comme chacun l’a compris depuis 2009, avec JJ Abrams, c’est toujours le jeu de "celui qui a la plus grosse"…
En parallèle, Carol Marcus – qui s’était embarquée sur l’Enterprise dans le dos de son père uniquement pour percer le mystère des 72 torpilles à photons expérimentales – procède à l’ouverture de l’une d’elle pour vérifier leur "chargement" réel (à savoir les compagnons Augments de Khan, tous en stase). Opération dangereuse et incertaine qui sera réalisée sur un planétoïde voisin (dont la surface ressemble comme par hasard à celle de la planète Sha Ka Ree dans Star Trek V The Final Frontier), avec l’assistance de Bones (dont la main se retrouvera piégée dans la torpille que Carol désamorcera in extremis). Cette séquence vaudra à la belle Alice Eve un striptease putassier (fortement médiatisé depuis les premières bandes-annonces de ST Into Darkness) devant les yeux gourmands de Baby-Kirk, mais dans le cadre pourtant bien anodin d’un changement d’uniforme. Ce sera aussi l’occasion pour le film d’asséner un nouveau clin d’œil forcé à la série originale lorsque Bones révélera avoir récemment fait accoucher par césarienne des octuplés gorns (une fois, de plus, le reboot a la fatuité de réussir tout mieux et plus vite, puisque dans l’univers originel, le premier contact avec les Gorns ne se fera que huit ans après et se passera fort mal) !
Conformément aux prédictions de Khan 2.0, l’amiral Marcus sort de distorsion avec son imposant engin. C’est littéralement le Scimitar versus l’Enterprise E, directement décalqués de Star Trek Nemesis. En réponse à Marcus qui reproche d’avoir désobéi à ses ordres en capturant vivant Harrison, Kirk lui montre ostensiblement qu’il a établi le dialogue avec le prisonnier et qu’il n’est pas dupe de la manipulation (illégalité des "exécutions" sans procès, USS Enterprise délibérément encalminée dans la zone neutre klingonne, fausses torpilles chargées d’Augments, volonté de déclencher une guerre avec les Klingons…). Marcus prend la peine de plaider sa cause (Khan s’est joué de Kirk, lui et ses Améliorés sont des criminels de guerre méritant d’être éliminés…). Refusant malgré tout d’obtempérer à son ordre impérieux de lui livrer Khan (car le règlement de Starfleet impose qu’il soit jugé), Kirk met le cap vers la Terre à distorsion (Chekov ayant tant bien que mal réparé les moteurs) tout en lançant un SOS à Starfleet. Mais l’USS Vengeance réussi à rattraper l’Enterprise tel un prédateur aquatique (réussissant ainsi ce dont l’USS Excelsior – doté d’une transdistorsion expérimentale (The Great Experiment) – avait été privé dans ST III The Search For Spock du fait du sabotage de Scotty)… puis lui tire dessus à distorsion l’expulsant ainsi du subespace, et provoquant la mort de nombreux équipiers (la scène est spectaculaire, mais c’est encore un copié-collé de ST Nemesis). Les deux vaisseaux se retrouvent alors en orbite de la Lune terrestre (le voyage zone neutre klingonne –> système solaire aura été particulièrement bref, en gros une minute chrono, le micro-univers rebooté est de plus en plus petit, cela frise le cauchemar de ST TNG 04x05 Remember Me). Connaissant la puissance de l’USS Vengeance (confirmant que c’est un secret de polichinelle) et devinant les objectifs meurtriers de son père, Carol lui révèle sa présence à bord de l’Enterprise (alors fortement endommagé et privé de toute défense). Mais sa courageuse initiative (« il faudra passer sur le corps de ta fille si tu veux détruire l’Enterprise ») fait long feu puisque Marcus n’a aucun mal à la téléporter aussitôt sur l’USS Vengeance. Kirk s’humilie alors publiquement en suppliant littéralement l’amiral de laisser la vie sauve à son équipage qui ne faisait que suivre ses ordres, mais Marcus lui rétorque cyniquement qu’il n’a jamais eu l’intention d’épargner qui que ce soit. Impuissant et désespéré, présentant ses excuses à ses subordonnés, Kirk apparaît alors plus que jamais comme l’idiot utile d’un "combat de Titans" qui le dépasse, ayant transformé son équipage en témoins gênants à abattre.
Grande est donc l’inconséquence psychologique et scénaristique de ST Into Darkness ! Baby-Kirk était prêt à déclencher une guerre avec les Klingons juste par ire et par égo, d’abord en "vendant" une chasse à l’homme à Marcus, puis en devenant le parfait pigeon de celle-ci, et enfin en organisant une opération d’intrusion grossière et suicidaire sur Qo’noS. Ce gamin n’est-il finalement pas encore plus irresponsable que dans ST 2009 ?
Mais le chef d’état major n’est lui-même pas en reste. Même hors de toute considération morale, le radicalisme de Marcus apparaît très over-the-top au regard du nombre de témoins (la Terre elle-même !) dont souffrira la destruction du vaisseau amiral de Starfleet, pourtant désarmé et inoffensif à ce moment-là. Etrange également que nul autre vaisseau ne soit venu assister l’Enterprise au cœur même du crucial et ultrafréquenté secteur 001 (alors qu’un signal de détresse avait pourtant été envoyé peu avant en distorsion).
Le salut viendra de Scotty qui – embarqué clandestinement - aura réussi à saboter le système d’armement de l’USS Vengeance juste avant que celui-ci n’anéantisse l’Enterprise. Informé de ce répit inespéré (mais de courte durée) par Scotty via son communicateur sans que Marcus ne le détecte (oui, toujours le "syndrome ansible" du Cycle d’Ender, mais où l’exception serait devenue le lieu commun !), Kirk décide de s’allier temporairement à Khan (au motif que "les ennemis de mes ennemis seraient mes amis", un proverbe arabe que Spock ne manquera pas de railler avec impertinence – un des rares moments d’humour réussi dans le film) pour aborder le cuirassé à l’ancienne, à la façon d’un corsaire, enfin plus exactement via un space-diving en combinaison spatiale pulsée (une référence explicite sera faite au saut orbital dans ST 2009, mais il s’agit là bien davantage d’un nouvel emprunt à ST Nemesis lorsque Data se projette de l’Enterprise E vers le Scimitar). L’opération est impressionnante, surtout que les deux scaphandriers se propulsent à une vitesse bien trop élevée pour éviter les nombreux déchets (probablement issus de l’attaque de l’Enterprise par le Vengeance) qui jonchent le trajet. Khan, lui, est tellement Augment que sa supériorité s’étend à sa combinaison, invulnérable aux obstacles qu’il percute (Khan 1.0 était génétiquement amélioré, Khan 2.0 serait-il un mutant ?), au contraire de Kirk dont le casque se lézarde au point d’y perdre son système de guidage visuel. Et c’est une nouvelle fois à Khan que Kirk devra de parvenir sain et sauf jusqu’à l’USS Vengeance et traverser l’étroite écoutille de sas que Scotty est parvenu à discrètement ouvrir (au tout dernier moment). S’ensuit une prise d’assaut de la passerelle du vaisseau de guerre, émaillée de quelques combats chorégraphiés, facilités par la force surhumaine de Khan et un équipage réduit au minimum (pratique les vaisseaux de tailles cyclopéennes avec personne dedans !). C’est une course de vitesse, car l’USS Vengeance est en passe de recouvrer sa puissance de feu... Traversé par un – tardif – éclair de lucidité, Kirk devine qu’il est utilisé par Khan… et contre toute attente, il prend alors l’initiative de la trahison en ordonnant à Scotty d’assommer Khan au phaser aussitôt la passerelle maîtrisée (trahir avant d’être trahi en somme). Après avoir neutralisé tout le monde (y compris Khan), Kirk met en joue Marcus et tente de le placer en arrêt. Mais celui-ci refuse d’obtempérer au motif qu’il serait le seul à pouvoir protéger la Fédération de la guerre que Kirk avait assurément provoquée en violant l’espace klingon. Ce qui vaut à Alexander Marcus de sortir une tirade sécuritaire qui est un pur plagiat de celle du colonel Nathan Jessup dans A Few Good Men (Des hommes d’honneur) de Rob Reiner (1992). Kirk s’apprête alors à assommer l’amiral au phaser (avec la bénédiction de sa fille Carol)… Mais Khan revient à lui plut tôt que prévu, et prend de vitesse tout le monde à main nue : il assomme Scotty et Kirk, casse les jambes de Carol, et de ses mains surpuissantes d’Augment broie le crâne de l’amiral Marcus. Pur pompage du Blade Runner de Ridley Scott lorsque Roy Batty assassine Eldon Tyrell (le fondateur de Tyrell Corporation et l’inventeur des Réplicants, la parallèle est évident).
Bon OK, Khan 2.0 est le plus fort, le plus rapide, et le plus intelligent. Malgré tout, l’amiral Marcus est le Monsieur NRA du 23ème siècle, le mieux placé pour connaître son adversaire (qu’il a réveillé, employé et fait chanter), et lorsqu’il a appris que Khan avait abordé l’USS Vengeance, il n’ignorait ni ses méthodes si ses intentions. Dès lors comment se fait-il que Marcus ne se soit pas armé d’un ou de plusieurs phasers de pointe ? Ok, il se serait fait surprendre par la première vague (Kirk, Scotty, et Khan). Mais à la seconde, il aurait largement eu le temps de phaser une fois pour toute Khan, du moins s’il avait mis son phaser en position "désintégration" (et Augment ou simple humain, tout le monde est à égalité devant la désintégration !). C’est à croire que les phasers du 23ème siècle rebooté ne savent plus désintégrer...
Pendant ce temps-là à bord de l’Enterprise… Bones injecte le sang de Khan dans un Tribble mort (tué probablement durant l’attaque du vaisseau) pour en mesurer les capacités régénératives (curieux ça, habituellement, de tels tests se font sur des organismes malades mais vivants, et non décédés…). On découvre sur la passerelle un officier interfacé en réseau (avec implants corticaux dignes du cyberpunk le plus trash) et qui répond au doux nom de "Science Officer 0718" (serait-ce un androïde pleinement sentient un siècle avant Data, ou bien la version décimale des Bynars rencontrés - un siècle après également - dans ST TNG 01x15 11001001 ?). De son côté, convaincu que l’alliance de fortune entre Kirk et Khan est une très mauvaise idée, Spock-Quinto décide de questionner par subspace Spock-Nimoy établi sur New-Vulcain (vraisemblablement la planète vers laquelle le Yoda du reboot a guidé les 10 000 rescapés de son défunt monde, mais ST Into Darkness n’aura même pas la décence de s’intéresser à leur sort, pas même à les évoquer - normal ce ne sont que des anonymes dont le reboot se fout totalement). Leonard Nimoy apparaît alors en grande pompe sur le grand écran de l’Enterprise tel un messie. Un vrai cameo d’appel (et d’adoubement) qui cristallise à lui tout seul le foutage de gueule cultivé par le reboot : lorsque d’un air docte, Spock-le-vieux dit à Spock-le-jeune : « As you know I have made a vow never to give you information that could potentially alter your destiny. Your path is yours to walk and yours alone. That being said, Khan Noonien Singh is the most dangerous adversary the Enterprise ever faced. He is brilliant, ruthless and he will not hesitate to kill every single one of you. », autant dire qu’il enfile les apories les plus insolentes au nom du "fun". Spock-Nimoy a vraiment beau jeu de refuser toute assistance, alors qu’il n’a cessé d’intervenir depuis son arrivée, à commencer par la technologie de transwarp beam maintenant tombée entre les mains de la Section 31, de Marcus, et de Khan 2.0. Et finalement, après avoir fait sa sainte-nitouche du haut de sa prétendue-sagesse, il révèle sans sourciller des informations sur Khan 1.0 (qui feront la différence dans les minutes qui suivront). Qu’importe n’est-ce pas, tant que la façon d’amener tout ça sonne "fun"... Mais par contre, la seule intervention que Spock-Nimoy se devait moralement d’accomplir (i.e. restaurer la timeline telle qu’elle était avant l’intrusion génocidaire de Nero), il s’en est commodément gardé (auto-préservation du reboot abramsien oblige).
Puisqu’il pouvait si aisément communiquer avec l’extérieur, il est navrant que Spock-Quinto n’ait pas songé à solliciter l’assistance de la flotte de Starfleet, sachant que les vaisseaux étaient forcément nombreux dans le voisinage immédiat de la Terre (capitale de l’UFP), et que l’Enterprise était toujours en exécrable posture face à l’USS Vengeance (un vaisseau qui n’est pas supposé officiellement appartenir à Starfleet). Ah oui, c’est vrai, dans le reboot, seuls les personnages en titre sauvent le jour…
Comprenant alors qu’il ne s’agit plus que d’une question de temps pour que Khan trahisse Kirk, Spock décide de extraire des 72 torpilles à photon leurs occupants en stase pour les remplacer par de l’explosif. Un piège dans lequel l’Augment Khan est visiblement trop bête pour ne pas tomber. Et ça ne rate pas, puisque juste après avoir massacré l’amiral Alexander Marcus, Khan contacte Spock pour exiger un échange d’équipage moyennant un abaissement des boucliers (ses compagnons améliorés contre Kirk, Scotty, et Carol). Apparemment, nul ne se soucie de l’équipage de l’USS Vengeance restant entre les mains de Khan (bah ! ils ne méritent probablement pas de vivre ayant servi sous les ordres de Marcus). Après avoir téléporté lui-même sur l’USS Vengeance les 72 torpilles (mais sans découvrir la supercherie, très curieux étant donné les scans qui précèdent - par définition - toute téléportation !), Khan tient parole en renvoyant les trois otages humains sur l’Enterprise (mais dans une cellule)… seulement il tente juste après de détruire le vaisseau adverse (l’armement du Vengeance ayant été réactivé). Malgré plusieurs tirs endommageant (et immobilisant) l’Enterprise, Khan ne réussira pas à achever sa sinistre besogne, car les 72 torpilles explosent, neutralisant le cuirassé à son tour.
Ensuite, eh bien ensuite, c’est l’apothéose du grand n’importe quoi. L’USS Enterprise qui était en orbite de la Lune se retrouve soudain et sans raison aucune à tomber comme une pierre vers la Terre !!! Exit les trois Lois de Kepler, exit les points de Lagrange, exit la satellisation (vitesse relative orbitale) qui interdit toute chute verticale dans l’atmosphère, exit la considérable distance Terre-Lune pour un objet balistique… pourvu que le spectacle déchire. La force gravitationnelle semble avoir perdu le nord et sa boussole s’affole, elle en bat la chamade, précipitant les occupants de l’Enterprise dans toutes les directions, mais surtout vers celles qui donnent le plus le vertige (là où il y a du vide quoi). L’ordre d’évacuation donné par Spock s’avère donc impraticable. Et dire qu’en orbite, ainsi qu’en chute libre atmosphérique, la gravité est subjectivement nulle, ce qui signifie qu’au pire (en cas de panne de la gravité artificielle par exemple), les personnages auraient dû flotter dans le vaisseau (bien entendu, sans partie de bobsleigh et d’acrobatie sur les passerelles suspendues de l’Enterprise, c’eut été bien moins "fun").
C’est d’ailleurs l’occasion pour ST Into Darkness de recycler la private joke sur les ceintures de sécurité automatiques des fauteuils de la passerelle, et qui faisaient partie des scènes coupées de ST Nemesis car dûment rejetées par Rick Berman au motif que cela décrédibilisait rétroactivement les partis pris originels de la franchise (évidemment le reboot n’a pas eu ce scrupule, c’est même exactement l’inverse, puisque Bad Robot se construit toujours sur le dos du Star Trek historique).
La passerelle de l’Enterprise a donc perdu tout contrôle, les moteurs ne répondent plus et même la gesticulation babillarde de Scotty-Pegg (et de son épigone Chekov-Yelchin) est impuissante : le crash à la surface est imminent. Mais que fait donc le contrôle orbital terrestre ? Déjà que Starfleet aurait dû depuis longtemps intervenir pour assister l’USS Enterprise en orbite de la Lune sous la menace du vaisseau des ténèbres non répertorié, voilà qu’il ne tente même pas de téléporter un équipage qui se crache sur la Terre. C’est à croire que ces événements se déroulent de nos jours et non au 23ème siècle en orbite de la planète-capitale de puissante UFP...
Mais bon, il fallait bien bricoler une situation désespérée pour introniser Baby. Une seule solution : mourir, pour que renaisse l’Élu dans son corps glorieux (façon Gandalf dans la Moria). Et lorsque l’imagination et la créativité viennent à manquer, pourquoi ne pas plagier l’un des moments les plus cultes de Star Trek aux yeux des non-trekkers ? A savoir la fin du seul film de la franchise que JJ Abrams et ses scénaristes connaissent vraiment : Star Trek II The Wrath Of Khan ! Donc en douce, après avoir assommé Scotty (qui s’y opposait bien sûr, mieux vaut que tout le monde meure plutôt qu’un seul), Kirk pénètre sans combinaison dans le warp core, une espèce de structure gigantesque pleine de trucs et de machins indéchiffrables (la déco bordélique habituelle des superstructures abramsiennes quoi !) s’apparentant à une version brouillonne et pas sèche des sphères gravitationnelles du Delphic Expanse dans ST Enterprise. Et alors, après avoir rampé sur les boyaux (!?) du réacteur, à gros coups de latte (on n’est pas waries pour rien !), Kirk rétablit le flux énergétique. Dès lors, les moteurs repartent et l’Enterprise est sauvée. Y a juste un hic : à trop vouloir copier la fin de Star Trek II The Wrath Of Khan - où l’Enterprise avait effectivement besoin de réactiver le warp core pour s’éloigner à distorsion (warp) de l’explosion de la torpille Genesis - ST Into Darkness se prend les pieds dans le tapis : en chute libre atmosphérique, la distorsion n’est d’aucune utilité, ce sont les propulseurs (thrusters) voire l’impulsion qu’il faut réactiver, ce qui n’a rien à voir du tout avec le fonctionnement (ou non) du warp core (gérant la distorsion, c’est à dire le FTL trekkien). Enfin qu’importe, ces détails n’intéressent que les geeks, les autres se contenteront bien du distributeur d’adrénaline. D’autant plus qu’à défaut de respect des sciences réelles et/ou trekkiennes, ST ID est parti en quête de caution médiatique en tournant les scènes du warp core dans le National Ignition Facility (superlaser à confinement inertiel) du célèbre Lawrence Livermore National Laboratory en Californie (laboratoire de recherche en armement nucléaire du département d’énergie des USA)... moyennant toutefois un détournement et un maquillage visuel dans le style des usines à bière Budweiser.
L’Enterprise s’arrache à la gravitation terrestre et émerge des nuages comme le Nautilus. Spock est alors convaincu que le chef ingénieur s’est une fois de plus surpassé … Mais c’est avec un air d’enterrement que Scotty le convoque en urgence à la salle des machines : Kirk gît derrière une vitre de haute sécurité. Bref, vous connaissez par cœur l’histoire, il suffit juste d’inverser les rôles. Spock veut ouvrir le sas du compartiment irradié, mais Scotty l’en empêche pour ne pas contaminer tout le vaisseau. S’ensuit une longue scène d’adieu, où toutes les phrases cultes de La colère de Khan sont très consciencieusement reproduite (sur l’amitié, etc…), tout comme les gestes d’ailleurs (les Vulcan salutes se superposant à travers la vitre et tout ça), le tout assorti de clins d’œil à l’autre réalité ("je sais que vous auriez fait la même chose…"). Baby-Kirk meurt les yeux ouverts, comme le vrai dans ST Generations. Il aura fallu ce sacrifice pour que Spock-Quinto comprenne enfin le sens de l’amitié. Et il chiale, tout demi-Vulcain qu’il soit, pensez-donc un ami de 20 ans (oups non, seulement d’un an, et encore !). Et il souffre. Et sa colère le dévore. Et c’est donc avec le plus grand naturel qu’il lâche le cultissime "KHAAAAAAAN" du Kirk originel, parodié jusqu’à la moelle par la culture populaire américaine et le web (à l’exemple du Nostagia Critic de Doug Walker). La scène d’agonie & d’adieu est longue, son silence très inhabituel chez JJ, et la musique particulièrement grandiloquente (faut bien émouvoir le chaland). Mais l’effet tombe à plat, car c’est une somptueuse arnaque (nous y reviendrons plus bas). Ironiquement, chaque personnage aura pleuré à tour de rôle dans ST ID, c’est probablement ainsi que JJ Abrams définit "l’authenticité" émotionnelle.
Maintenant, c’est devenu une affaire personnelle, Spock a bien l’intention de faire la peau à Khan (visiblement, plus rien ne distingue le fils de Sarek d’un humain, et encore pas le meilleur spécimen). Ça tombe bien, l’USS Vengeance s’est délibérément payé un crash spectaculaire sur Alcatraz (serait-ce une manière pour JJ Abrams de régler ses comptes avec l’humiliant échec de sa série éponyme ?), la baie, puis les immeubles de San Francisco (les scènes les plus connues des bandes-annonces), histoire d’infliger au quartier général de Starfleet un maximum de dégâts. Somme toute, une transposition tapageuse des vols AA 11 et UA 175 percutant les Twin Towers du World Trade Center. Paradoxalement, le crash de l’Enterprise D sur Veridian III dans Star Trek Generations est moins spectaculaire, mais beaucoup plus crédible et convaincant. Bien entendu, Khan réussit à survivre indemne, et il s’extrait de l’épave en sautant sans dommage de plus de 30 m de haut (dans ST ID, les Augments sont les héros de Marvel et de DC !) puis se fond dans la ville. Se téléportant à proximité de Khan, Spock entame une traque punitive au pas de course, au travers des avenues motorisés, des gratte-ciels écrasants, et des plateformes volantes. Il faut dire que dans l’univers rebooté, San Francisco n’est plus la cité à visage humain que la franchise célébrait, celle d’un monde où la technologie était le plus souvent invisible, intégrée à l’écosystème, en harmonie avec la nature. Non, dans le micro-univers, San Francisco est devenue une mégalopole ultra-mécanisée, évoquant The Colony dans le Total Recall (2012) de Len Wiseman, voire le Los Angeles de Blade Runner mais côté jour. JJ Abrams devait probablement craindre que la Terre du futur trekkien originel ne fasse pas assez futuriste aux yeux des consommateurs de blockbusters…
Au fait, si l’USS Enterprise a les moyens de suivre la progression de Khan au sol et d’y téléporter à proximité Spock (et Uhura), pourquoi ne téléporte-t-on pas directement Khan dans une cellule du vaisseau ? Chekov a beau invoquer d’improbables interférences (jamais dans la franchise, la téléportation n’avait fonctionné dans un seul sens, ce qui affecte une dématérialisations affecte forcément au moins autant une matérialisation), la véritable raison est qu’il faut faire durer le spectacle coûte que coûte, et plus important, offrir une baston épique entre un Augment et un Vulcain. Ben oui, ça n’avait pas été fait dans la franchise historique, et ça situe tout de suite le niveau d’ambition et de créativité de ST Into Darkness.
La force des Vulcains n’est pas loin de "matcher" celle des humains génétiquement améliorés (sans toutefois l’atteindre : 3x versus 5x). Certes, ceux du reboot semblent être insensibles au Vulcan nerve pinch (qui marchait pourtant très bien dans ST TOS 01x24 Space Seed). Mais bon, la "sainte colère" est du côté de Spock. Et celui-ci finit donc par terrasser le dragon après un interminable combat – comme il se doit – au-dessus du vide (copié-collé d’une célèbre scène de Star wars : Episode II - L’attaque des clones, mais ici en version "organique"). Le compte de Khan aurait pu être réglé en une seconde avec un phaser en mode désintégration (cf. l’arc Augment de la quatrième saison de ST Enterprise), mais il faut bien donner au public des duels ritualisés ou exutoires, même lorsqu’ils n’ont contextuellement aucun sens.
C’est finalement la téléportation d’Uhura dans l’arène (volante) qui vaudra à la vie de Khan 2.0 d’être épargnée (au fait, pourquoi Uhura ? Un officier de la sécurité n’aurait-il pas été plus indiqué pour prêter éventuellement main forte à Spock ? Ah oui, c’est vrai, club VIP-only !). Uhura interrompt donc le massacre car le sang de Khan est demandé ! En effet, le plus impensable, le plus inimaginable des twists du siècle tétanise littéralement les spectateurs : le Tribble mort est revenu à la vie, et McCoy a découvert que le sang de Khan (donc des Augments) dispose de plaquettes magiques qui en font un sérum de résurrection, il le nomme d’ailleurs super-blood (bien vu !). Bien curieux tout de même que ce Saint Graal de l’humanité n’ait jamais été découvert pendant et après les Guerres eugéniques, pas même par l’omnisciente Section 31 ! Qu’importe, le coup de théâtre n’est est que plus grand, et il mérite même son nom de baptême : "le coup du Tribble". Bon, le sang de n’importe quel autre Amélioré en stase aurait pu tout aussi bien faire l’affaire, mais c’est celui de Khan que Bones voulait absolument pour ressusciter Kirk (il fallait bien ça pour sortir Spock-Sylar de sa fureur vengeresse).
Emergeant d’un black out hanté par les échos de son passé (bribes de propos de Pike et autres extraits issus de ST 2009), c’est deux semaines après que Kirk ressuscite, d’emblée intègre de corps et d’esprit (nulle considération sur la mort d’ailleurs, Bones et lui se mettent immédiatement à blaguer, "l’esprit fun" est vraiment immortel, et c’est bien là le principal). Il avait fallu trois films complets au Star Trek historique et un sacré parcours initiatique pour ramener tant bien que mal Spock à la vie, JJ Abrams est évidemment beaucoup plus fort, quelques secondes de films auront suffi pour gagner la résurrection Kirk. C’est beau l’efficacité.
Khan, lui, a été replacé en stase avec ses 72 compagnons Augments (pour un retour au prochain opus ?). Qu’il s’agisse d’humanisme trekkien (s’exprimant depuis Gene Roddenberry et Gene L Coon par le souci des héros à préserver la vie des ennemis) ou de tentative de rédemption (pour l’exécution en commando de Ben Laden dans l’actualité récente), ils sont tous deux tristement absents de l’équation... qui dissimule un réel utilitarisme, presque vampirique. Mais qu’importe la motivation lorsque la vie est sauve, n’est-ce pas ? A l’exemple de Khan 2.0 qui, pour avoir voulu assassiner Baby-Kirk par deux fois, lui aura paradoxalement sauvé la vie trois fois (deux par stratégie, la dernière bien malgré lui).
Un an s’écoule. Apparemment, la virée en plein territoire klingon fut sans conséquence, puisqu’aucune guerre n’est à déplorer (sauf si elle fut aussi téléphonée que les Star Trek de JJ Abrams). Kirk rend solennellement hommage à son mentor Pike lors d’une cérémonie officielle ultra-américanisé (avec le grand discours, le pliage du drapeau, les uniformes à épaulettes et casquettes, les Blue Angels, et tout ça… bref rien à voir avec Star Trek), où il annoncera le lancement de la première mission de cinq ans de l’USS Enterprise (serait-ce une nouvelle promesse politique – donc non respectée - d’exploration… exactement comme il y a quatre ans ?), et où il révèlera avoir enfin compris la célèbre devise trekkienne « To boldly go where no man has gone before » (il était temps, six ans après être entré à Starfleet Academy !). Sauf que le métonymique "no man" a été subrepticement remplacé par un très conformiste "no one" (politiquement correct oblige) ! Le "club des sept" est de nouveau réuni, mais cette fois vient s’y ajouter Carol Marcus (histoire que tous les ados soient maqués la prochaine fois).
Ironiquement, c’est par la voie du narrateur (Baby-Kirk) que JJ Abrams et ses scénaristes avouent s’être complètement égaré en faisant deux (quatre) heures de popcorn movie, soit un HS total ! Faut-il diagnostiquer une crise de lucidité inconsciente... ou la lantern la plus éhontée de l’Histoire du cinéma ?
Quelques mots sur les partis pris artistiques et le production design du film (qui sont généralement les seuls points à intéresser les critiques de presse) :
La mise en scène est en elle-même très soignée, avec un sens certain du mouvement (perpétuel), et une assez bonne lisibilité des scènes d’action complexes. Moins de shaky camera et de lens flare que dans le premier opus - IMAX & 3D (quoique post-convertie) obligent - mais toujours une saturation picturale baroque flirtant avec un kaléidoscope hypnotique voire psychédélique. Le professionnalisme et la compétence technique de JJ Abrams ne font aucun doute, même si les lamentables scénaristes (Orci, Kurtzman, Lindelof) avec lesquels il est acoquiné le pousse sans cesse davantage à empiler mécaniquement les morceaux de bravoure tel un Michael Bay (tout particulièrement dans Transformers écrit par les mêmes cancres) qu’a bâtir amoureusement des récits à la façon de Steven Spielberg (auquel JJ Abrams est pourtant supposé succéder au dire des médias alignés).
Même si elle est entrecoupée de morceaux tiers bien trop contemporains pour sonner trekkien (comme le Fatboy Slim Remix des Beastie Boys), la BO de Michael Giacchino demeure expressive et élégante, sans toutefois avoir la grâce et l’inspiration des Goldsmith (père et fils). Même si John Harrisson et Qo’noS (entre autres) bénéficient de leurs propres thèmes, il est malgré tout permis de regretter la conservation intacte les partitions des génériques d’ouverture et de clôture de ST 2009 dont la fixité émule les génériques de séries télévisées (d’où sont supposés venir aussi bien Star Trek que JJ Abrams).
Les effets spéciaux, réalisés une nouvelle fois par ILM, sont vraiment le state of the art du moment. Très convaincants de bout en bout.
JJ Abrams a beau faire de l’organique (par opposition au numérique des green screens) sa signature, les décors de Scott Chambliss sont toujours aussi peu fonctionnels : la salle des machines est une folklorique usine à gaz oscillant entre la brasserie industrielle Budweiser et désormais le NIF du LLNL, la passerelle du vaisseau est un agrégat d’alcôves aux couleurs des Apple Store...
Les scènes abusent du gigantisme créé sur fond vert : la taille des hangars à navette et des salles des machines est telle que les vaisseaux de Starfleet devraient faire des kilomètres de long (alors que l’USS Enterprise rebooté est supposé faire 725 m de long), impliquant donc de sérieux problèmes d’échelle entre l’intérieur et l’extérieur (des Tardis sans le savoir ?).
Le langage, le parlé, le phrasé du reboot est totalement contemporain et yankee (british pour certains interprètes). La franchise avait pourtant cultivé une forme d’anglais optimisé, mesuré, universel, et sans marquage régional, tel que supposé être produit par les traducteurs universels (UT). ST Into Darkness pousse même le racolage et la vulgarité jusqu’à placer dans la bouche des personnages de très peu trekkiens "bastard" et "manhunt" (discours sécuritaire de Marcus à tous les capitaines durant la réunion à Starfleet HQ) ou encore "son of a bitch (fils de pute)" (Baby-Kirk dans sa communication officielle à l’équipage de l’USS Enterprise durant le voyage Terre-Qo’noS).
La figuration (conceptuelle ou visuelle) des technologies demeure toujours aussi irrespectueuse des hypothèses trekkiennes : les boucliers énergétiques des vaisseaux ne servent strictement à rien, puisque la coque des vaisseaux est systématiquement endommagée (voire transpercée) à la moindre attaque ou au moindre choc ; il devient possible de passer en warp (distorsion) ou d’en sortir à proximité des planètes (alors que ce n’était jamais le cas dans le Star Trek historique en accord avec les puits gravitationnels de la relativité générale) ; le subespace s’apparente toujours visuellement à l’hyperspace de l’univers Stargate ; les systèmes solaires de la galaxie sont à quelques minutes de distorsion les uns des autres (la Terre, Vulcain, et Qo’noS seraient-ils désormais dans le même système solaire... à moins que le cosmos lui-même ne soit devenu minuscule ?) ; le passage en distorsion laisse derrière les vaisseaux deux contrails alias trainées de condensation (probablement destinés à renforcer la stéréoscopie de la post-conversion 3D) ; la téléportation est toujours tourbillonnante (dommage que cette caractéristique n’ait pas été réservée à la seule téléportation transwarp puisque jamais représentée auparavant dans la franchise) ; les phasers à main demeurent pulsés (quel sens pour une arme à rayon ?) et réussissent à paraître moins puissants que les phases pistols de ST Enterprise un siècle avant ; et bien sûr les stardates demeurent inexplicablement grégoriennes.
Difficile pour un trekker de ne pas se sentir insulté par cette fin du film, qui vire plagiat ou remake faux cul de ST II The Wrath Of Khan. Faux cul oui, car ST Into Darkness tente de faire croire qu’il renouvelle le propos originel par un vulgaire jeu de permutations et de symétries (un artifice récurrent dans les productions Bad Robot). Suffit-il d’inverser certains rôles et certaines répliques, de tuer ceux qui avaient survécu et inversement, pour sonner "neuf " ? Est-ce faire vraiment honneur à cette " liberté" que l’équipe de JJ Abrams revendiquait fièrement pour justifier la table rase de quarante années de canon ? Si les timelines alternatives ne servent qu’à ça, il s’agit de l’une des pires escroqueries narratives qui soient ! De toute évidence, la vraie motivation de Bad Robot était la fainéantise et l’inculture, émanant d’auteurs qui ne cherchaient ni à connaître, ni à comprendre, ni à aimer Star Trek. A l’opposé, la créativité, la vraie, prospère à la faveur des canons, comme l’avait fort bien souligné Nicholas Meyer. Car la contrainte pousse à se renouveler lorsque l’incurie conduit à copier.
Même s’il n’est peut-être pas le meilleur des films de la franchise, ST II The Wrath Of Khan demeure une réussite et une référence. Car il s’agit d’un authentique film de science-fiction qui s’abreuve de questionnements philosophiques sans imposer de réponses stéréotypées. Il célèbre le pouvoir à la fois créateur et destructeur, démiurgique et prométhéen des sciences (notamment en extrapolant l’avenir lointain du terraformage avec la fascinant projet Genesis). Tellement prométhéen d’ailleurs et assumé comme tel (le pouvoir réputé divin de création de vie) qu’il choqua en son temps une frange du public américain. Mais c’est aussi un film qui rend justice au poids indélébile du vécu, allant des erreurs inexpiables (James T. Kirk, Clark Terrell...) aux amitiés (ou inimitiés) véritables nées de l’ancienneté. L’erreur humaine – sans malice ni manipulation - en est le thème central, celui dont tout le drame découle (y compris la haine vengeresse de Khan), faisant de ST II The Wrath Of Khan - malgré les apparences et sa réputation - un film sans véritable "méchant", donc profondément trekkien.
Sur ce, viennent Orci, Kurtzman, et Lindelof. Leur idée est simple : tout le monde connait les moments clefs de ST II The Wrath Of Khan, il suffit donc de les reprendre, mais en les altérant et en les permutant un peu, histoire de faire genre. Et tout le monde applaudira l’illusion de renouvellement. Soit l’éternelle "recette miracle" de Bad Robot depuis plus de dix ans, réitérée ad nauseam. Malheureusement, ce que les tacherons de Bad Robot n’ont pas compris, c’est que ce n’est pas Star Trek qui procédait de ses moments cultes, mais les moments cultes qui procédaient de Star Trek (non, non, ce n’est pas une nouvelle querelle du Filioque !). En d’autres termes, le culte est né de la vérité et de l’innovation que Star Trek véhiculait, aussi bien à propos de ses thèmes que de ses personnages. Sortir le culte de son contexte, pour le réassembler par morceaux dans un ordre différent, c’est au pire le monstre de Frankenstein qui pue la charogne, au mieux un patchwork, un medley, une compil, une parodie. JJ Abrams n’a pas cherché à faire du Star Trek, il a juste voulu en avoir le nom. Il n’a pas cherché à redonner vie à Khan, il a juste voulu les punchlines afférentes. Il n’a pas cherché à reconstituer les authentiques relations qui existaient entre les protagonistes de la série originale (y compris Khan), il a juste voulu profiter de leurs bénéfices visibles à l’écran.
ST II The Wrath Of Khan avait été construit sur l’existence d’un passif entre Kirk et Khan, quinze ans avant, un passif qui n’était pas une abstraction ni un artifice inventé de toute pièce. C’est pour ça que cela sonnait authentique, c’est pour ça que c’est devenu culte. Dans ST Into Darkness, Khan est un bad guy prétexte sorti du chapeau au début du film, bidon car uniquement constitué d’emprunts, et dont la relation avec les héros ne possède strictement aucune profondeur (ni historicité). Il est juste question de les manipuler les uns après les autres, et tout particulièrement Baby-Kirk, dont la niaiserie est insondable.
Même chose pour les adieux de Fontainebleau entre Baby-Kirk et Spock : ils sont aussi dénués de vérité émotionnelle que pourraient l’être des singeries de wannabes. Parce que leur relation n’a pas été bâtie sur quinze ans (en externaliste) et vingt ans (en internaliste) d’amitié commune forgé par l’expérience du service, du front, et du feu. Ils se sont juste fait parachuter dans un blockbuster, ne se connaissent que depuis quelques mois, et ne s’apprécient que modérément (pas plus tard que la veille, l’un poignardait l’autre dans le dos). Et même la mort est dépourvue de pesanteur, puisque celle-ci est annulée aussitôt par la "potion de Lazare" (avec une turbo-résurrection qui n’est même pas subordonnée aux épreuves par lesquelles les personnages durent passer entre le second et le quatrième film de la décalogie originelle).
Et pourtant Bad Robot est passé à côté d’une opportunité historique : s’approprier Khan, le faire évoluer différemment, pourfendre l’innéisme qui n’a rien de trekkien (comme avec le remarquable Shinzon dans ST Nemesis), transformer Khan en véritable allié, montrer par contraste que c’est la négligence de Kirk envers le destin tragique de Ceti Alpha V qui avait créé sa propre Némésis... Mais pour un tel parti pris, eût-il encore fallu du courage, de l’audace, et un minimum d’efforts, eût-il fallu également couper le cordon ombilical du confort intellectuel plagieur, afin de moins copier pour mieux révéler. Et à défaut de pouvoir embaucher un comédien qui s’apparente un tant soit peu à Ricardo Montalban (non un problème de qualité d’interprétation mais basiquement d’adéquation, pour ce qui est tout de même supposé constituer un tronc commun entre les deux timelines), il y avait 72 possibilités pour mettre en vedette un autre Amélioré, et montrer ainsi qu’ils n’étaient pas tous des clones… C’est justement pour interpréter un autre visage oublié des Guerres eugéniques que Benedict Cumberbatch alias John Harrison aurait été idoine. Or cet exceptionnel acteur (Sherlock, Parade’s End…), disposant d’une si large palette de composition, a atrocement été gâché par ST Into Darkness. Car plus que quiconque, il aurait mérité de camper des rôles ambivalents, tout en nuances de gris, faisant exploser le carcan bienpensant & puéril du manichéisme, à l’image des meilleures figures trekkiennes, tels Garak ou Gul Dukat dans Star Trek DS9.
Hélas, mille fois hélas, rien de tel dans Into Darkness. Son manichéisme total et absolu, plus exacerbé que jamais avance le visage à peine masqué derrière le flamboyant magnétisme de Cumberbatch : Khan 2.0 est aussi primaire, aussi monodimensionnel, et finalement aussi imbécile que Nero ! Les deux veulent massacrer et détruire juste pour venger leur "famille", sauf que dans les deux cas, la vengeance est tout aussi absurde : Romulus n’est pas encore détruite au 23ème siècle (ST 2009)… et les 72 Augments n’ont pas été tués par Marcus (ST ID). Alors que leur pseudo-Star Trek est totalement bad-guy-oriented, les piètres Orci, Kurtzman, & Lindelof ont réussi l’exploit de ne pas avoir développé un seul bad guy crédible (référence à l’écriture et/ou à l’adéquation, pas à l’interprétation). Le comble.
Et cette paupérisation - limite zombification - de Khan a quelque chose de sacrilège, parce que ST II The Wrath Of Khan est un film sacré dans la pop culture américaine (quand bien même il n’aurait pas eu le budget d’une superproduction). Il aura réussi à fédérer autour de nombreuses générations de spectateurs, durant des décennies et aujourd’hui encore. Il fut provocateur et novateur… tout au contraire de ST Into Darkness à la traine et à la remorque des modes (comme toutes les productions Bad Robot).
Par soucis d’équité, c’est sur l’équipe de scénaristes qu’il faudrait faire peser l’opprobre d’une pareille impéritie. La mise en scène ne souffre d’aucune carence de professionnalisme ni d’efficacité, tout au plus d’un manque de personnalité et d’originalité. C’est avant tout le scénario (constitué de l’histoire, des dialogues, et même parfois du storyboard) qui est à blâmer. Seulement JJ Abrams fait partie de la poignée de réalisateurs hollywoodiens protéiformes qui se payent le luxe de choisir leurs scripts… et leurs scénaristes. Or lorsqu’il est question de JJ Abrams, les pieds nickelés Roberto Orci, Alex Kurtzman, et Damon Lindelof ne sont jamais bien loin. L’esprit de Star Trek Into Darkness tout comme le produit fini représente donc une responsabilité collective, celle de la nébuleuse indivisible Bad Robot.
Into Darkness est sursaturé d’emprunts, de citations, de références et de clins d’œil non seulement à la doxa la plus mainstream, mais surtout aux moments les plus cultes de la franchise Star Trek (comprendre par-là "ce qu’il n’est pas nécessaire d’être fan pour connaître"), davantage encore que ne l’avait été le premier opus. Les deux principales vicitimes du pillage en règle : ST II The Wrath Of Khan et ST Nemesis !
Ce racket est d’ailleurs tellement systématique qu’Into Darkness ne possède quasiment aucune idée, aucun concept, aucune ligne de dialogue, aucune scène qui lui appartienne en propre : tantôt hommage tarte à la crème, tantôt réappropriation décomplexée, tantôt plagiat inassumé. A l’instar de tout pot-pourri sans caractérisation propre, plus encore lorsque le grand-spectacle est devenu sa propre finalité, le produit final déborde donc des cinq piliers distincts de défauts susceptibles d’affliger n’importe quelle œuvre audiovisuelle : l’incohérence ; l’embrouillement ; la facilité ; l’irrespect ; le pompage ! Mais paradoxalement, ce besoin obsessionnel de convaincre le spectateur qu’il regarde bien un Star Trek et non une (mauvaise) imitation (ou une tringle à rideau) est peut-être - d’entre tous - le vecteur le plus à même de faire douter de l’identité réelle du film. Car une œuvre originale (quand bien même séquelle d’une longue saga) crée ses propres moments cultes, au lieu de se contenter de les piquer à ses prédécesseurs pour mieux enfumer les spectateurs... et "acheter" les fans !
Comme ST 2009, ST ID s’apparente plus que jamais à une liturgie orthodoxe dont les officiants connaissant les gestes mais dont ils ne comprennent pas le sens. Pas un "Star Trek véritable", mais un "Star Trek wannabe". C’est au fond l’histoire d’un reboot qui ne s’assume pas, et qui à vouloir utiliser les codes du prequel s’avère être un remake hypocrite, à la frontière du pastiche.
A force de matraquer le public d’invocations vaines de la Prime Directive, d’innerver le film d’aphorismes vulcains arrachés à la décalogie originelle (et réduits à des gimmicks)… le reboot pourrait bien finir par trivialiser et finalement galvauder auprès du grand public ce qui faisait le sel de la franchise, et dans une large mesure la gratification, la récompense de la méritoire immersion dans 726 épisodes et dix films. Le Star Trek originel prenait la mesure d’un véritable chemin de vie, et c’est au crépuscule de son existence que Spock découvrait les limites de la logique, c’est au terme de vingt ans d’amitié commune que Kirk fut dévasté par la mort de Spock, et ce n’est qu’à l’issue d’un lent processus de recherche et d’évolution que l’humanité parvint à réduire la durée de ses trajets spatiaux. Mais dans le reboot, c’est "tout, tout de suite". Dès le 23ème siècle, les androïdes ou les humanoïdes interfacés semblent monnaie courante dans Starfleet (alors qu’ils devaient n’être qu’exceptionnels un siècle après)(1), les vaisseaux deviennent peut-être même plus gros et plus puissants qu’à la fin du 24ème, tous les systèmes solaires sont à quelques minutes de distorsion les uns des autres, la téléportation interplanétaire (voire à portée illimitée) se normalise (rendant potentiellement obsolète les vaisseaux spatiaux !), Spock-Quinto prétend accomplir en moins d’un an le parcours d’une vie entière de Spock-Nimoy, les amitiés de vingt ans se construisent en quelque jours, etc…
Effet pervers de la culture du zapping et du digest, le public (et donc l’industrie) n’a dorénavant plus d’yeux que pour le pace, c’est-à-dire la réaction produite et non plus la réflexion induite, ne s’adressant plus à l’esprit mais aux tripes. Les péroraisons des longs cheminements intellectuels se métamorphosent en slogans directement assimilables sans digestion, car ils ne résultent plus d’un effort et d’une évolution personnelle, mais d’une culture de l’impatience et de l’instantané, produisant à la chaine des "prêts à consommer".
(1)A signaler d’ailleurs que dans le Star Trek historique, c’était davantage un choix philosophique (humaniste) que technique de ne pas interfacer les humanoïdes de l’UFP avec les IA, ni de créer (ou d’utiliser) des serviteurs robotiques (rendant de ce fait Data unique). Mais avec le reboot, tout ça est dorénavant obsolète : on mélange joyeusement et sans complexe les 22ème, 23ème et 24ème siècles, les policiers sont devenus des robots, certains officiers de Starfleet sont interfacés avec des unités centrales (façon Bynars ou Borgs), la Terre lorgne vers Coruscant, l’UFP est contrôlée par les militaires de Starfleet, la Section 31 est devenue belliciste et putschiste... Into Darkness en effet, mais non par les intrigues et les bad guys comme se l’imaginent les scénaristes, ains en réalité par les hypothèses de départ, la sociologie, et les psychologies dans leur ensemble.
Le micro-univers abramsien n’a d’autre raison d’être que de glorifier sept super-héros. Même lorsque quelques soubresauts de réalisme se rappellent aux personnages au détour de rares scènes en apparence moins mal écrites que les autres (le limogeage de Baby par Starfleet Command, le témoignage de la fusion mentale de Spock à l’instant du trépas de Pike…), toute la construction narrative n’a d’autre objectif que de rétrocéder à Kirk la place à laquelle il est (pré)destiné. Et les scénaristes ont beau avoir fait monter les enchères par rapport à l’opus précédent… jusqu’à imposer à Kirk le sacrifice de sa vie (pour dix minutes) – à la façon d’un écho à la fois symétrique et anticipatif de celui de Spock dans l’univers originel vingt ans après – le déterminisme cosmique n’en est que plus appuyé, et donc plus artificiel encore. A croire que désormais les lois naturelles se sont jointes au hasard pour servir le grand dessein de l’univers : l’intronisation en gloire des personnages. Même les super-vilains de service, respectivement l’amiral Marcus et Khan/Harrison nourrissent de leur actions criminelles l’irrésistible ascension de Kirk et la consolidation de sa Justice League.
L’équipe de Bad Robot semble confondre les codes et les implications d’un prequel avec celles d’un reboot. Dans un prequel (à l’exemple de la remarquable série Enterprise), le futur est tenu de s’accomplir puisque l’objectif est d’en relater l’origine (mais autant que possible d’une plus complexe ou paradoxale façon qu’on ne l’imaginait ou le fantasmait).
A l’inverse, un reboot est supposé façonner un univers alternatif pour s’affranchir d’un futur connu, afin d’en proposer une variation, une uchronie… ce qui pourrait en soi représenter une nouvelle direction exploratoire. Or force est de constater que JJ Abrams est incapable de couper de cordon ombilical avec la timeline originelle. Mais ce qui représente un accomplissement naturel et nécessaire dans un prequel se transforme en prédestination superhéroïque dans un reboot. Lorsqu’aucun bouleversement chronologique ou contextuel ne parvient à contrarier la destinée d’une poignée de personnages appelés à sauver éternellement le jour, et constituant littéralement un point d’invariance entre tous les multivers. Il s’agit là de la forme la plus radicale de super-héroïsme, lorsque le personnage ne devient pas super-héros par ses exploits ou ses superpouvoirs, mais par son seul acte de naissance, aristocratique et messianique. Somme toute, l’innéisme ultime de l’Élu ! Mais ce qui est peut-être acceptable dans les univers de fantasy ne l’est en aucune façon dans le très méritocratique (et agnostique) Star Trek.
Probablement en adéquation avec le nouveau public qu’il tente désormais de draguer, le second volet du reboot réaffirme son paradigme infantile, au mieux adulescent. Les personnages sont tous préoccupés par leur bien-être et leur mal-être égocentrique, ils cultivent les rebellions sans cause, pour la seule posture ("je m’aime et je suis l’élu", "les règles c’est pour les autres…"), et ne sont mus que par leurs sentiments d’appartenance individuels : Thomas Harewood est prêt à faire exploser 42 innocents (dont lui-même) pour sauver sa fille, Khan à tuer tout le monde pour sauver ses 72 compagnons améliorés, Marcus à massacrer toute l’Enterprise pour préserver son organigramme, Nero à faire imploser des planètes en mémoire de son peuple (pourtant indemne) et de son épouse (même pas née), Baby-Kirk à conduire une chasse à l’homme pour venger Pike, Spock (demi-Vulcain pourtant) à faire la peau à Khan 2.0 pour venger Kirk... et les auteurs à subordonner tout l’univers à la préservation des égoïstes relations d’amitiés entre les sept baby-héros. De la maturité trekkienne, faite originellement d’idéaux, de structures, et d’universalité, il ne reste que des cercles communautaires voire communautaristes (tous prétendument ennoblis par l’emploi du qualificatif "famille") plongés dans un perpétuel affrontement au parfum de vendetta… En somme comme l’humanité contemporaine (et passée) dans ce qu’elle a de pire !
Star Trek Into Darkness réussit à se faire passer pour plus équilibré, plus profond que son prédécesseur Star Trek 2009. Et pourquoi ça ? Eh bien parce que chaque scène d’action qui déménage est entrecoupée…. non d’une scène de recueillement ou de réflexion comme en était si coutumier le "Star Trek historique" (1964-2005), mais d’une scène de pur soap opera où les couples nous infligent leurs scènes de ménage et leurs gluantes réconciliations, où les potes s’envoient des piques et/ou se déclarent leurs sentiments d’amitié à la vie à la mort, et où les ennemis se manipulent les uns les autres et/ou clament tout le mal qu’ils vont se faire. Le tout avec une légèreté "fun" chargée de désamorcer les éventuel excès de gravité, histoire que surtout nul ne soupçonne le Star Trek 2.0 de se prendre autant au sérieux que son prédécesseur 1.0, réputé ringard. Mais "l’esprit fun" est juste le dernier avatar du pompiérisme qui s’affuble du costume de l’avant-garde,
Et de Into Darkness, il n’en a au bout du compte que le titre (du moins à l’échelle du reboot)… à l’instar du label Star Trek lui-même. Car même s’il prétend délivrer un plaidoyer à l’usage des bobos contre les inventions démoniaques que les humains fabriqueraient eux-mêmes pour se protéger au nom du greater good (Khan 2.0 sera fatalement perçu par certains comme la créature s’échappant du labo de l’apprenti sorcier Marcus, voire une allégorie de Ben Laden prétendument "fabriqué" et armé par la CIA), même s’il joue à fond la carte paranoïaque (ultra-tendance) du péril venu de l’intérieur (et tant qu’à faire de son sommet) pour flatter un public cynique qui ne croit pas (ou ne croit plus) à la possibilité de l’idéal trekkien, et même s’il culmine visuellement par des destructions immobilières massives à Londres et surtout à San Francisco (tout est dans les bandes-annonces) à l’attention d’un public traumatisé par le 9/11 et en quête d’une conjuration imaginaire que le réel (Zero Dark Thirty) ne saurait lui offrir(2)... Star Trek Into Darkness vend un topos illusoirement en prise avec le présent (via une relecture simpliste & conformiste), faisant finalement bien pâle figure en comparaison de ce qu’avait mis en scène (sans toutefois l’assumer) Star Trek 2009 : l’extermination de toute la civilisation vulcaine si emblématique de la franchise depuis 1964, soit six milliards d’innocents plongés dans un "trou noir de pulp", et dont le génocide n’avait pourtant jamais été subjectivement entaché d’une quelconque connotation dramatique au motif que les sept baby-héros étaient saufs et réunis. Du coup, par son titre profondément injustifié, Star Trek Into Darkness enfonce ce clou, celui de l’indécence et de la xénophobie : voudrait-on nous faire croire que les propensions paranoïaques et manipulatoires du chef d’état-major de la flotte, et la mort de plusieurs milliers d’humains à San Francisco seraient des vecteurs plus "dark" que l’holocauste programmé de plusieurs milliards d’extraterrestres ?
Ce sentiment de racisme humanocentré - où seul l’être humain (allégoriquement l’homme occidental) compterait vraiment - est également renforcé par la soudaine clémence (quand bien même utilitariste) dont a bénéficié le terroriste humain (quoique génétiquement amélioré) Khan 2.0 à la fin de Star Trek Into Darkness… lorsque le Romulien Nero fut massacré sans pitié avec tout son équipage au terme de ST 2009.
Et comme pour renforcer le malaise tonal, de nombreux spectateurs superficiels continueront à percevoir le dernier film méritant le label "Star Trek", à savoir Nemesis (2002), comme plus "dark" que les deux blockbusters du reboot réunis. Mais cela tient au fait que le vrai Star Trek prenait toujours la mesure des drames qu’il mettait en scène, des plus cosmiques aux plus intimes. Il suffisait que la fatalité frappe quelques anonymes (et pas seulement les héros en titre) pour que les ténèbres s’invitent par la grande porte. Car tous les sentients - humains ou pas, VIP ou anonymes – étaient logés à la même enseigne, et la forme était toujours à l’avenant du fond. Chaque mort (Kirk dans ST Generations, Data dans ST Nemesis, sans parler des séries télévisées...) sonnait juste, car il ne s’agissait jamais d’un instrument de pathos à l’attention des cœurs d’artichaut, mais au contraire d’un reflet authentique des tragédies funèbres du monde réel. Hélas depuis 2009, cette honnêteté intellectuelle n’est plus de mise : le reboot témoigne de la manipulation que la forme exerce aujourd’hui sur le fond, où il suffit d’une ambiance "fun", de quelques traits d’humour hollywoodiens, et de personnages "cool" pour prétendre masquer le poids du malheur...
Mais cela s’inscrit bien dans la superficialité intrinsèque du "Star Trek 2.0" : rien n’y a vraiment d’importance, son micro-univers vidéo-ludique est sans conséquences et sans pesanteur ! L’extermination d’espèces entières est largement dépourvue d’impact systémique (si ce n’est de plonger un amiral dans un trip sécuritaire), les trahisons envers la Prime Directive et les irresponsabilité envers ses charges d’officier demeurent toutes sans conséquences car la survie et la glorification des héros sont garanties par contrat, les bad guy – sortis de nulle part ou singeant (bien mal) des personnages cultes – s’avèrent tous virtuellement interchangeables, et la baraka ou l’escroquerie de quelques coups d’éclats est supposée toujours racheter un perpétuel irrespect des lois naturelles et des lois physiques.
De l’encyclopédique et ontologique Star Trek, SF de prospection, d’exploration, et d’introspection, il ne reste désormais plus qu’un MMORPG pour mioches mal élevés se prenant pour les rois du bac à sable.
(2)Si Into Darkness est un (faux) Star Trek à l’usage de la société américaine traumatisée par le 9/11, il est alors frappé de redondance aiguë, affligée en sus du conspirationnisme pathologique et inconséquent de la navrante série Alias (de Bad Robot aussi). Depuis dix ans, tout Hollywood tente d’exorciser les angoisses occidentales envers un monde aux contours plus interlopes et fluctuants que durant la Guerre froide… tandis que Star Trek est supposée être une Histoire du futur à la chronologie et à l’évolution totalement indépendante de la nôtre (et résultant d’une troisième guerre mondiale ultra-dévastatrice et restant encore à venir). Bien entendu, la franchise a parfois sacrifié à la SF pédagogique & fonctionnaliste de la transposition (seule raison d’être de la SF aux yeux des intellos les plus snobs), mais elle proposait alors sa propre lecture de l’actualité, et non une simple resucée des truismes idéologiquement corrects en vogue. A l’exemple de la troisième saison de la série Enterprise, qui sous couvert d’obole au Moloch de l’incantation antiterroriste, en avait proposé une variante aussi originale que dérangeante : ni un renégat caricatural venant de l’intérieur, ni un ancien allié trahi en quête de revanche, ni un épouvantail extérieur sorti de nulle part, mais une insondable guerre temporelle questionnant les fondements même de la causalité à travers les siècles.
Le plus beau compliment que d’aucuns pourraient faire à ST Into Darkness, c’est en essayant d’y voir une fanfic… de 190 millions de dollars... puisque gorgée jusqu’à la nausée de tous les codes apparents du genre, fétichisée jusqu’à l’empaillement de gimmicks et d’in-jokes, mais aussi peu créative qu’une séance de karaoké. Hélas, aux antipodes de toute fan-production, ST Into Darkness rampe plutôt dans les bas-fonds d’Asylum - scénaristiquement parlant. JJ Abrams et ses grimauds revendiquent fièrement leur non-appartenance à la communauté des trekkers, et leur appréhension de Star Trek est comparable à la façon dont le gamin omnipotent Trelane (dans ST TOS 01x18 The Squire Of Gothos) "comprenait" l’humanité. Mais à vouloir désespérément plaire au plus grand nombre, leur long métrage se retrouve vidé de toute substance, dépourvu des valeurs et de la profondeur d’un Star Trek méritant ce nom. ST Into Darkness n’en est que le REMIX saisonnier par "DJ Abrams" : réarrangement anachronique des morceaux les plus saillants de la franchise sur un rythme techno d’enfer... pour chauffer la salle et allumer le public. Confondant 300 ans dans le futur avec 40 ans dans le passé et inhérence trekkienne avec éléments de déco, l’usurpation est digne d’un changeling et le leurre n’est qu’une contrefaçon : un Star Trek-in-name-only !
Le plus dérangeant probablement, c’est de se dire que l’incursion de JJ Abrams dans l’univers Star Trek n’aura finalement servi que sa propre ascension professionnelle : à savoir "démontrer" aux Majors (et à Kathleen Kennedy) qu’il était capable de faire du Star Wars. Mais que l’univers de SF de Roddenberry-Berman soit devenu un simple marchepied jetable, un trivial tremplin lobbyiste, une vulgaire rampe de lancement carriériste... pour entrer dans l’univers de fantasy de George Lucas (né pourtant treize ans après), cela a de quoi laisser aux trekkers un goût particulièrement amer...
Le sentiment de mépris de Bad Robot envers les trekkers n’a jamais été aussi palpable, aussi exhibitionniste, et aussi décomplexé que lorsque Spock-Quinto mime l’icônique "KHAAAAAAAAAAN" de Kirk-Shatner. A ce moment-là, j’ai instinctivement eu l’impression d’être le singe du zoo à qui Bad Robot lançait des cacahuètes. JJ Abrams & co croient-ils vraiment qu’ils rassasieront les trekkers par la voie du vol qualifié rimant avec cannibalisme ? Il s’agit-là d’un dédain prétentieux et hautain qui jouit de se savoir pris pour du respect par la composante la plus naïve (ou complaisante) du public.
En cherchant à voler ou imiter les moments cultes plutôt que les gagner, les construire, ou les mériter... Abrams, Orci, Kurtzman, et Lindelof ont juste prouvé n’être que de vulgaires charognards qui font du fric en dépouillant quatre décennies de Star Trek de ses abats les plus juteux. Mais ils ne réussiront pas à tromper le public bien longtemps, comme le confirme déjà le refroidissement de la météorologie critique, nettement moins enthousiaste aux USA en 2013 qu’en 2009. Le rideau de fumée s’estompe, et le cordon sanitaire de l’unanimité politiquement correcte est en passe de rompre.
Bad Robot ne prend pas seulement les trekkers pour des crétins, mais désormais aussi pour des camés, des junkies de la plus basse extraction, dénués de toute exigence, qu’on racle dans les fonds de ruelles, et qui sont prêts à se shooter à n’importe quelle dope frelatée, pourvu qu’elle porte le logo "Star Trek" et que l’effet de manque soit savamment entretenu.
JJ Abrams et ses plumitifs ne sont pas des conteurs, mais au mieux des barnums, des bateleurs, des joueurs de bonneteau. Au contraire de ceux dont ils pillent les travaux, ils ne s’attardent pas à contempler un firmament dont ils n’ont du reste cure. Ils se contentent de se tourner vers des astres de circonstance, dont ils savent pertinemment qu’ils n’occuperont plus, demain, la même position dans les cieux, voire auront cessé d’y briller. Hérauts interchangeables d’un Galactus qui aurait pour nom Paramount, ils sont des piétineurs de rêves, des éteigneurs d’étoiles, à la manière du Crawling Chaos de Lovecraft qui ne laisse rien au terme de son festin cosmique.
(Merci au film de fournir son propre auto-spoof)
Yves Raducka
Cliquer pour la critique de l’opus précédent Star Trek 2009
Cliquer pour le compte-rendu du "débat Star Trek" au Comic-Con Paris 2013