Régulièrement, l’organisme Euro NCAP, qui teste la sécurité passive des nouveaux modèles automobiles mis sur le marché, publie les résultats de ses derniers crash-tests. Ceux de la session du 8 décembre sont peu flatteurs pour Renault, puisque deux modèles du constructeur français reçoivent un bonnet d’âne. La nouvelle Dacia Spring d’une part, ne récolte qu’une étoile, et la Renault Zoé d’autre part, avec zéro étoile, se place dans le triste palmarès des quelques rares modèles à disposer du plus mauvais score.
Dans le cas de la Dacia Spring, le résultat était attendu. Du fait de sa conception bon marché, la citadine électrique de la marque roumaine ne pouvait espérer mieux. Ce modèle est dérivé de la Renault Kwid ultra low-cost, destinée à des marchés émergents où les réglementations sur la sécurité passive ne sont pas aussi exigeantes qu’en Europe. Le cahier des charges stipulait que l’auto devait se contenter de respecter la réglementation en vigueur (moins exigeante que les critères Euro NCAP, qui est un institut indépendant, avec ses propres protocoles de mesure). La structure a donc été simplement renforcée pour satisfaire le législateur européen. Contacté par Challenges, Renault rappelle qu'Euro NCAP est un organisme indépendant qui dispose de ses propres critères, mais ne décide en aucun cas de l'homologation des véhicules : "Renault réaffirme que ZOE E-TECH Electric est un véhicule sûr, qui répond à toutes les normes de sécurité réglementaires. Ces normes sont en constante évolution et deviennent de plus en plus strictes dans tous les domaines, notamment en matière de sécurité. Renault améliore donc continuellement son offre afin de se conformer aux réglementations applicables là où ses véhicules sont vendus."
La Spring obtient 55 % en protection adulte, soit 21,1 points, 52 % en protection enfant soit 25,5 points et 39 % en protection piéton soit 21,3 points, alors que les aides à la conduite sont limitées au minimum (30 % soit 4,9 points). Bref, Dacia n’a pas le moins du monde cherché à obtenir une performance sur les tests EuroNCAP. L’unique étoile décernée a même été obtenue de justesse. Pour comparaison, la Fiat 500e d'un gabarit équivalent obtient quatre étoiles lors de la même session de tests, avec des notes respectives de 76 %, 80 %, 67 % et 67 %, . Les BMW iX, Genesis G70 et GV70, Mercedes-Benz EQS, Nissan Qashqai, Skoda Fabia et Volkswagen Caddy ont quant à eux décroché cinq étoiles.
Interrogées pas nos confrères d’Automobile Propre sur le sujet, lors de la présentation de ce modèle il y a quelques mois, les équipes de la marque se sont bornées à souligner la présence de six airbags, de l’ESP (obligatoire par la réglementation européenne) et de l’aide au freinage d’urgence. Des garde-fous qui, à notre sens, ne suffisent pas à compenser la très mauvaise adhérence des pneus chinois Linglong, qui équipent d'office la petite Dacia électrique. Mais si Euro NCAP teste les aides à la conduite, à commencer par l’ESP, l'institut ne fait par contre aucun test de tenue de route. Il s’agit pourtant là d’un élément primordial de la sécurité d’une voiture.
Une Renault Zoé injustement saquée?
Le résultat de la Renault Zoé est plus surprenant. Rappelons en effet que la citadine électrique profitait encore de cinq étoiles, soit le meilleur score possible aux tests Euro NCAP, la veille de la publication des nouveaux résultats. Comment a-t-elle pu passer du jour au lendemain de 5 étoiles à 0 étoile, alors même qu’elle n’a pas subi d’évolution technologique structurelle? Cela s’explique par la notation Euro NCAP aujourd'hui plus sévère, en particulier au niveau des assistances à la conduite. Alors que la Zoé, à son lancement en 2013, était créditée d’une note de 85 % (soit 8 points) sur ce critère, les exigences de l’organisme ont évolué. Le test de 2021 fait état d’une note de 14 % seulement (2,3 points).
Chez Renault, on rappelle que c'est la plus mauvaise note sur les quatre critères (protection adulte, protection enfant, protection piétons et aides à la conduite) qui est retenue comme note globale pour la voiture. Voilà pourquoi la Zoé obtient zéro étoile: toute note en-dessous de 30 % entraîne automatiquement zéro étoile, et c'est le cas au chapitre des aides à la conduite. C’est d’autant plus paradoxal que, lors de sa dernière évolution, la citadine au Losange a vu sa dotation s’enrichir, avec l’apparition de l’aide au maintien de voie, du freinage d’urgence automatique, du système de reconnaissance des panneaux et de l’avertisseur d’angle mort (certes en option sur certaines versions). Bref, la Zoé a progressé, mais sa notation baisse. Renault assure que les ajouts de ces équipements ont été faits en étudiant l'accidentologie des modèles de Zoé en circulation, et correspond donc à des cas concrets. Selon le constructeur, la note finale ne saurait présager des performances de la voiture dans tous les critères : "L'évolution de la ZOE actuelle a été décidée en 2017 en adaptant les équipements de sécurité passive à l'accidentologie réelle et en mettant à jour la voiture avec des équipements (ADAS) de pointe tels que le freinage d'urgence avancé (AEB) avec détection des piétons et des cyclistes, l'alerte de franchissement de ligne et l'assistance au maintien dans la voie, utilisant un radar et une caméra."
En images : essai Renault ZoéLa Zoé a également perdu des points en protection adultes, avec une note de 43 % (16,4 points). La faute en revient principalement au choc latéral contre un poteau, avec un protocole de test Euro NCAP qui a évolué depuis 2013. Désormais, le poteau est d'un diamètre inférieur ce qui rend le choc plus sévère. La modification de la forme de l'airbag latéral en 2019, qui protège moins bien la tête, n'arrange pas l'affaire. Pour que la citadine électrique ait une performance décente face aux nouvelles règles de ce test, il aurait fallu installer un airbag rideau. Cela aurait induit un investissement trop important pour un modèle en fin de carrière. La Zoé obtient des notes de 52 % en protection enfant (25,9 points) et 54 % en protection piétons (22,2 points).
Non, la Renault Zoé n’est pas devenue dangereuse du jour au lendemain
Ce camouflet infligé à la Renault Zoé signifie-t-il que ce modèle est devenu dangereux du jour au lendemain? Certainement pas ! Cela met surtout en exergue le fait que la notation Euro NCAP est discutable, et que les protocoles de test évoluent brutalement. Par le passé, les Fiat Panda et Punto en ont également fait les frais, passant de 5 étoiles à 0 étoiles respectivement en 2018 et 2017. Mais si ces quelques modèles ont eu la malchance d’être de nouveau testés après plusieurs années de carrière, on peut estimer qu’il en serait de même pour la plupart des modèles commercialisés, qui n’ont pas été conçus avec les dernier protocoles Euro NCAP au coeur de leur cahier des charges. En somme, nombreux sont les modèles encore en vente aujourd’hui, âgés de quatre ou cinq ans, qui pourraient voir leur note dégringoler du jour au lendemain en cas de nouveau test. Ce qui tend à prouver que l’immense majorité des notes affichées sur le site Euro NCAP sont caduques. Surtout, avec les évolutions régulières des protocoles, elles ne sont absolument pas comparables d’un modèle à l’autre. Voilà qui s’avère problématique, pour un organisme qui veut délivrer une information fiable et claire aux consommateurs.
Si la Renault Zoé a été de nouveau testée, cela tient à une des règles Euro NCAP, comme nous l’explique sous couvert d’anonymat un ingénieur d’un grand groupe français. "Lorsqu’une voiture a été testée par Euro NCAP, l’organisme s’engage à ne pas la tester de nouveau pendant sept ans, s’il n’y a pas de modification sur sa structure". Lancée en 2013, la Zoé avait donc atteint cet âge. Et si Renault aimait à présenter la dernière mouture lancée en 2019 comme une nouvelle génération, il ne s’agissait en réalité que d’un restylage, sans évolution majeure sur la structure, ce qui explique qu'elle n'a pas été testée par l'organisme alors. "Après ce laps de temps, l’organisme peut de nouveau demander à tester l’auto". C’est ce qui est arrivé à la Zoé, mais aussi précédemment aux Fiat Panda et Punto. La période de sept ans correspond à la durée de vie moyenne d’un modèle automobile. Avec cette règle, les modèles à longue carrière sont donc pénalisés.
Un organisme pas si indépendant
Depuis ses débuts, Euro NCAP clame son statut d’organisme indépendant. Ce qui était vrai au tout début, au milieu des années 1990, l’est de moins en moins aujourd’hui. "Euro NCAP met en place des évolutions régulières de son protocole de test", reprend notre source. "Tous les deux ans, avec des évolutions plutôt mineures, tous les six ans, avec des changements majeurs. A chaque fois, les modifications du protocole sont discutées avec les constructeurs. Même si c’est Euro NCAP qui a le dernier mot".
Une des dernières évolutions en date concerne le choc frontal. Il était autrefois réalisé contre une barrière déformable, à une vitesse de 64 km/h. Désormais, la vitesse a été diminuée à 50 km/h, mais la barrière est mobile, et se déplace à une vitesse de 50 km/h pour simuler un choc entre deux voitures, ce qui correspond aux données d’accidentologie mais se montre également bien plus sévère pour la structure du véhicule. A chaque fois, ces nouveaux tests sont connus en amont par les constructeurs, qui adaptent la conception de leurs modèles. Voilà qui explique pourquoi les derniers modèles sortis brillent dans les tests, alors que les modèles plus anciens comme la Renault Zoé affichent des résultats décevants: ils n’ont simplement pas été conçus pour.
Si Euro NCAP s’est proclamé indépendant, c’est parce que l’organisme a débuté en achetant lui-même les voitures chez les concessionnaires. Le site internet de l’organisme précise que "Si un modèle de voiture est déjà en vente, Euro NCAP l’achète habituellement au concessionnaire, de la même manière que les clients". Mais quelques lignes plus loin, une nuance de taille apparaît. "Il est important de publier les résultats le plus tôt possible dans le cycle de vie d’un véhicule afin que la majorité des clients puisse faire un choix en toute connaissance de cause. Cela signifie qu’Euro NCAP effectuera parfois des tests sur des voitures qui ne sont pas encore disponibles chez les concessionnaires. Dans ce cas, Euro NCAP choisit des voitures dans la production récente. Euro NCAP peut se rendre dans l’usine de construction pour choisir des voitures au hasard où des numéros d’identification du véhicule peuvent être choisis de manière aléatoire dans une liste fournie par le constructeur".
Des voitures fournies et préparées par les constructeurs
Dans les faits, les constructeurs ont très vite compris l’argument commercial d’une bonne notation Euro NCAP, et ils ont donc intérêt à ce que les résultats soient publiés le plus tôt possible. Cela impose une collaboration des constructeurs, qui fournissent les voitures à l’organisme. "Il y a plusieurs manières de déclencher un test", reprend notre source. "Les constructeurs peuvent choisir de faire tester leur propre véhicule. Dans ce cas, ce sont eux qui fournissent les voitures, mais également qui paient la procédure de test en laboratoire. Euro NCAP choisit les voitures parmi un lot produit à une date et un créneau horaire annoncé à l’avance. Inutile de dire que la fabrication et les contrôles de ces modèles sont particulièrement soignés".
Le test sur un modèle peut également être demandé par un concurrent, qui serait curieux de connaître le résultat d’un modèle rival. Dans ce cas, c’est le concurrent en question qui paie les voitures et la batterie de tests, mais le moyen de fournir les voitures demeure inchangé. Enfin, plus rarement, Euro NCAP prend à sa charge les tests sur certains modèles de son choix. "Mais les tests coûtent cher et ils sont parfois moins poussés dans ce dernier cas", nous explique notre source. "Pour avoir une notation complète, Euro NCAP peut dans ce cas extrapoler les résultats en partant d’autres modèles similaires, ce qui n’est pas le cas lors des tests financés par les constructeurs".
Un organisme en perte de légitimité
Dire que les tests Euro NCAP n'ont pas fait progresser la sécurité automobile serait un mensonge. A sa création en 1997, Euro NCAP se contentait de deux tests: un choc à 64 km/h contre une barrière déformable avec un recouvrement de 40 % et un choc latéral à 50 km/h, avec un chariot d'une masse équivalente au véhicule testé. Ces contraintes, bien plus élevées que celles des normes d'homologation, ont fait apparaître des faiblesses importantes lors des premières batteries de résultats, au point de contraindre certains constructeurs à retirer leurs modèles du marché. Euro NCAP a ainsi sonné le glas de la Rover Série 100, dérivée de l’Austin Metro lancée en 1980 et dont les résultats étaient effrayants. Le conducteur avait alors bien peu de chances de se tirer vivant d’un choc frontal.
Dès 2001, la Renault Laguna II fut la première auto à décrocher le Graal des cinq étoiles, note maximale qui ne s'appliquait alors qu'à la protection des adultes. Avec ce résultat, la notation Euro NCAP a franchi un premier cap, celui de la maturité. Sa première mission, celle de montrer du doigt les voitures dangereuses pour les éliminer, était accomplie: les constructeurs prenaient en compte dès la conception ce critère. Dès lors, l'organisme n'a eu de cesse de compléter son protocole et de sévériser la notation en ajoutant de nouveaux critères. Ainsi est apparu le choc latéral contre un poteau (à 29 km/h), le choc piéton (à 40 km/h) et, plus discutable, un bonus de deux points pour la présence d'une alerte de non bouclage de ceinture. C'est ainsi qu'en 2002, la Mercedes-Benz Classe C W203 a rejoint la Laguna au "club des cinq étoiles", par la seule grâce d'un bip sonore. Pourtant, le modèle n'avait absolument rien de différent par rapport à celui crashé en 2001…
C'est toutefois le 1er janvier 2009 qu'est apparue la principale révolution dans la notation. La note finale, toujours avec un maximum de cinq étoiles, est depuis cette date une pondération de quatre critères: protection adulte, protection enfant, protection piéton et assistances de sécurité. Le but de l'opération? Officiellement d'inciter les constructeurs à ne plus se focaliser sur la protection des occupants mais également à s'intéresser aux piétons. On peut légitimement supposer que Euro NCAP a voulu par ce nouveau barème creuser les écarts entre des concurrents de plus en plus nombreux à décrocher les cinq étoiles, remettant en cause l'utilité des tests. Mais les constructeurs ne cessent de progresser, au point que les cinq étoiles sont devenues la norme. Alors l’organisme ne cesse de changer ses protocoles et barèmes, pour justifier son existence. A quoi servirait Euro NCAP, si tous les modèles avaient la note maximale? Certes, cela sert d’aiguillon pour faire progresser la sécurité automobile, mais le cas de la Zoé prouve que la notation de l’organisme est tout sauf fiable est lisible. Les évolutions incessantes d’un protocole de test mis au point avec la complicité des constructeurs assurent à tous les modèles neufs ou presque d’excellents résultats, sans qu’il soit possible de comparer les modèles d’une année sur l’autre. A trop frayer avec les constructeurs dont il dépend pour sa survie, Euro NCAP échoue dans sa mission première, celle d’informer le consommateur avec une notation claire permettant de comparer les modèles entre eux.