C’est l’une des principales revendications de la Russie dans la crise ukrainienne : l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) doit cesser de s’élargir à l’Est et fermer définitivement la porte à Kiev.
Le Kremlin a reçu cette semaine une fin de non-recevoir à cette demande dans une lettre remise par l’ambassadeur américain au ministère russe des Affaires étrangères.
Si la confrontation actuelle entre la Russie et les Occidentaux repose sur de nombreux griefs, le récit d’une trahison occidentale occupe une place de choix dans la rhétorique de Moscou depuis plusieurs décennies.
Dans un discours très offensif de 2007 lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, Vladimir Poutine avait notamment accusé l’Occident de rompre ses "garanties" en élargissant l’Otan jusqu’aux portes de la Russie – les pays baltes notamment ont rejoint l'Alliance en 2004. "Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie [le pendant soviétique de l’Otan] ? Où sont ces déclarations aujourd’hui ? Personne ne s’en souvient", avait déclaré le chef du Kremlin.
De fait, l’Otan n’a cessé de regarder vers l’Est depuis la chute de l’URSS, passant de 16 à 30 pays en intégrant ces deux dernières décennies essentiellement des membres de l’ancien bloc soviétique. Pour autant, les Occidentaux ont-ils trahi une quelconque promesse ?
L’origine du mythe de la trahison
Pour comprendre le fondement du ressentiment russe, il faut remonter au 9 février 1990 et à un entretien entre le secrétaire d’État américain, James Baker, et le dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. La discussion porte sur le statut de l’Allemagne réunifiée. Il est alors convenu que l’Otan ne s’étendra pas au territoire de la RDA, une promesse répétée dans un discours du secrétaire général de l’Otan le 17 mai à Bruxelles.
Finalement, un accord sera trouvé en septembre avec la Russie pour permettre aux troupes de l’Otan de stationner au-delà du "Rideau de fer". Mais cet accord ne concerne que l’Allemagne réunifiée. Un élargissement plus à l’Est reste de toute façon inconcevable dans le contexte de l’époque.
"L’URSS existe toujours et les pays d’Europe de l’Est font encore partie des structures soviétiques, notamment du pacte de Varsovie qui ne sera officiellement dissous qu’en juillet 1991", précise Amélie Zima, docteure en science politique rattachée au Centre Thucydide (Panthéon-Assas). "On ne peut pas parler de trahison, car se prépare un enchaînement d’événements difficilement prévisibles qui fera entrer l’Europe dans une nouvelle configuration de sécurité."
En somme, au moment où les Occidentaux offrent les "garanties" dont parle Vladimir Poutine, personne ne peut alors prédire l’effondrement de l’URSS et les bouleversements historiques à venir.
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"Par ailleurs, ces promesses ont été faites à l’oral et n’ont jamais été consignées dans un traité", rappelle Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. "Le tournant de l’élargissement viendra beaucoup plus tard, en 1995, et à la demande des pays de l’Europe de l’Est."
Cette année-là, l’Otan publie une étude sur son élargissement avant d’entamer, deux ans plus tard, des pourparlers d’adhésion avec la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, qui deviendront membres en 1999. L’accueil de ces nouveaux membres a longtemps suscité le débat au sein de l’Otan, battant ainsi en brèche le mythe russe d’une trahison orchestrée par les Occidentaux. "Même au sein de l’administration américaine, certains pensaient que l’Otan n’avait pas à s’élargir car cela pouvait la rendre moins efficace, diluer ses compétences et devenir un fardeau financier", explique Amélie Zima.
Et maintenant, l’Ukraine ?
Depuis de nombreuses années, la question de l’élargissement de l’Otan alimente les tensions entre les États-Unis et leurs alliés d'un côté et la Russie de l'autre. En août 2008, les ambitions atlantistes de la Géorgie, qui n'ont jusqu'à présent pas abouti, ont motivé en partie la guerre éclair menée par Moscou. Quant au bouclier antimissile de l’alliance, inauguré en 2016 en Roumanie, membre de l'Otan depuis 2004, il est considéré comme une menace par le Kremlin.
Face aux inquiétudes russes, les gouvernements occidentaux ne cessent de marteler la vocation défensive de l’alliance politico-militaire créée en 1949.
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"Les Russes ont du mal à accepter l’élargissement de l’Otan mais ils oublient qu’ils ont signé un document appelé l’Acte fondateur Otan-Russie en 1997 à travers lequel ils deviennent des partenaires et s’engagent à garantir un espace de paix et de sécurité dans la zone euro-atlantique ainsi que l’intégrité territoriale de tous les États", pointe Amélie Zima.
Aujourd’hui, Moscou réactive sa rhétorique de la trahison dans la crise ukrainienne en faisant de l’adhésion de Kiev à l’Otan une nouvelle ligne rouge à ne pas franchir.
L’Ukraine a actuellement le statut de "pays partenaire", ce qui signifie qu'elle pourrait être autorisée un jour à rejoindre l'Alliance. En réalité, Kiev a encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir y prétendre.
"L’une des grandes règles de l’Alliance est que les pays accueillis doivent avoir résolu tous leurs problèmes frontaliers pour ne pas intégrer un facteur de crise au sein de l’Organisation. Autant dire qu’avec le conflit en Crimée, on voit mal l’Ukraine rejoindre l’Otan", assure Olivier Kempf.
"L’Ukraine n’est pas dans le schéma de pré-adhésion car il y des problèmes de réformes de l’armée, de l’État, de corruption. Même les Américains n’y sont pas favorables", glisse Amélie Zima.
En revanche, des pays membres de l’Otan soutiennent militairement l’Ukraine sur la base d’accords bilatéraux.
Joe Biden a répété jeudi à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky que les États-Unis et leurs alliés répondraient "résolument" en cas d'invasion russe. Mais une intervention militaire de l’Otan en Ukraine est exclue.
"L’Otan peut soutenir l’Ukraine mais dans la limite des textes et ne pourra donc pas engager l’article 5 [qui prévoit une intervention en cas d’attaque d’un pays membre] au profit de l’Ukraine", rappelle Olivier Kempf. "Tout le monde le sait. Poutine le sait. Et c’est bien pour cela qu’il en joue" dans son bras de fer avec les États-Unis.
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