Et si, un beau matin, vous vous réveilliez dans un lit spacieux qui n’est pas le vôtre, aux côtés d’une femme extraordinairement belle, en réalité… trop belle pour être votre conquête. Comment réagiriez-vous? Et si cette même femme, dont vous n’arrivez pas à vous rappeler le nom, la faute à ces vapeurs d’alcool qui vous sont montées à la tête la veille, est décédée durant la nuit alors que vous dormiez du sommeil du juste… Ah! Vous souriez moins là, n’est-ce pas?
C’est le réveil brutal auquel a eu droit le septuagénaire niçois Philippe Clerc, ce personnage haut en couleur – et au verbiage aux mêmes teintes! – dont le caractère fort et obstiné a été esquissé d’un tracé généreux par l’écrivain français Patrick Raynal, que j’ai découvert pour la toute première fois à travers cette enquête qui prend appui dans le sud de la France et qui s’intitule L’âge de la guerre (Albin Michel).
Avec son lot de phrases succinctes, de répliques incisives et son franc-parler populaire, qui ne manquera pas de faire sourciller le Québécois en vous, – personnellement, j’en aurais pris à plus petites doses, car ça rend son protagoniste un peu grossier et mal élevé! – vous reconnaîtrez çà et là l’aplomb d’un Jean-Christophe Grangé ou d’un Patrick Bauwen, pour ceux qui sont familiers avec les grandes pointures de l’Hexagone.
Patrick Raynal, avec ce dix-neuvième roman, n’est pas là pour faire de la poésie ni pour jouer dans la dentelle d’ailleurs, et c’est peut-être ce qui rend cette odyssée niçoise aussi dépaysante que décoiffante. Par contre, son sens du rythme et sa capacité à créer un suspense m’ont donné l’élan nécessaire pour me rendre jusqu’à la ligne d’arrivée.
Appréciation: ⭐⭐⭐
Je l’avoue, mes attentes étaient hautes envers ce nouvel opus du tandem Erik Axl Sund, dont le nom de plume est une contraction des noms Jerker Eriksson et Hakan Axlander Sundquist, ce duo d’écrivains suédois qui m’a tant charmé avec la trilogie Les visages de Victoria Bergman, parue chez Actes Sud entre 2013 et 2014, et Les corps de verre, où le détective Kevin Jonsson nous a été introduit.
Dans cette suite qui n’en est pas une – en vérité vous pouvez lire Une vie de poupée sans être familier.ère avec leur univers–,les auteurs, qui ont cette habitude d’offrir un récit aussi froid qu’un vent glacial nordique, nous font visiter la face cachée d’une Suède où se déroulent des événements abominables: enlèvements, prostitution, traite d’êtres humains, pédopornographie, et j’en passe.
Alors que le détective tente de traquer celui ou celle ayant tué par défenestration la jeune Tara, retrouvée morte au pied d’un immeuble, ce dernier est encore loin de se douter dans quel merdier il est en train de s’embarquer, alors que deux jeunes filles, Nova et Mercy, deviennent le sujet de l’heure depuis qu’elles se sont enfuies de leur foyer pour adolescentes. Comme Tara, ces dernières ont subi de graves agressions et semblent cacher un secret sombre et violent.
Erik Axl Sund n’a jamais porté de gants blancs, et ce n’est pas cette fois-ci que le tandem d’auteurs va changer ses habitudes. Leurs récits, que j’oserais comparer à ceux de Lars Kepler, sont toujours d’une rare intensité et d’une violence à donner le tournis, puisque ces choses-là, ou du moins ces actes barbares commis par des humains, existent réellement. Et c’est ce qu’ils mettent en mots dans leur fiction.
Si vous aimez les histoires qui mettent en scène des vies et des rêves brisés, vous êtes à la bonne enseigne.
C’est drôle, dans un sens, car il y a des années que je suis familier avec l’univers de Valentin Musso, pour avoir lu Le Murmure de l’Ogre, Sans faille et Une vraie famille, entre autres. Mais étrangement, je n’ai jamais mis le nez dans un roman de son frérot Guillaume Musso, pourtant lu dans le monde entier. C’est le monde à l’envers, me direz-vous! Mais que voulez-vous: j’ai toujours préféré faire les choses à l’envers, car c’est comme ça qu’on pimente une vie!
Avec cette récente histoire où une sexagénaire va commettre un crime odieux en assassinant un homme sans aucune préméditation et dans un acte d’une grande violence, je vous avoue que je n’ai pas boudé mon plaisir une fois de plus! Avec Qu’à jamais j’oublie, Valentin Musso m’a remis en tête The Sinner, une lecture déstabilisante qui m’a habité des mois durant et dont je me rappellerai longtemps. Mais là où j’admire sa perspicacité, c’est qu’il a réussi à me faire oublier l’autre pour me faire plonger tête première dans la sienne, qui m’a procuré bien des émotions et quelques sueurs froides, au fil des chapitres.
Avec une écriture élégante et soignée, ce nouveau thriller de Musso frappe fort, surtout que ce dernier a eu l’audace de déléguer l’enquête à un amateur, c’est-à-dire à Théo, le fils de Nina Kircher, celui qui n’a pas réellement connu sa génitrice, mais qui sera attiré par une soif de vérité dans le but d’innocenter celle qu’il n’arrive pas à traiter de… coupable.
Préparez-vous mentalement, car ce drame psychologique risque de vous laisser K.O. dans le ring une fois sa lecture terminée.
Ah, Keigo Higashino! J’ai tout lu de cet écrivain qui connaît un succès fulgurant au pays du soleil couchant. Il y a déjà trois ans que La lumière de la nuit accumulait la poussière dans ma bibliothèque, et non parce que je le boudais, mais avec ses 668 pages, il m’intimidait. Sauf que j’ai enfin trouvé le courage de me lancer.
L’histoire? Dans une bâtisse désaffectée, la dépouille d’un prêteur sur gages est retrouvée. L’autopsie démontre que l’homme a été poignardé, et tout porte à croire que l’assassinat a été commis par un de ses proches. Le policier Sasagaki, chargé de l’affaire, devra ronger son frein, car il fera chou blanc… Une fois retraité, l’envie le démangera de remettre son nez et de fouiller les vies des protagonistes. C’est que plusieurs personnes sont soupçonnées, mais sans preuve véritable. Notamment Nishimoto Fumiyo, la dernière femme à avoir vu M. Kirihara de son vécu, mais cette dernière décédera tragiquement, laissant orpheline sa fille Karasawa Yukiho.
C’est avec l’ambition d’un roman-feuilleton que Keigo Higashino nous invite à suivre les destinées d’une myriade de personnages, dont celles de Yukiho et Ryõji, le fils unique du prêteur sur gages, que nous verrons évoluer pour le meilleur ou pour le pire… Je vous laisse la surprise intacte!
Après avoir tourné la dernière page, j’ai compris pourquoi cette galerie de personnages, aux caractères aussi mystérieux qu’ambivalents, a pris vie au grand écran au sein de nombreuses adaptations cinématographiques au Japon. Higashino, qui maîtrise l’art du suspense comme personne, autant que celui de camoufler un mobile, offre ici un roman ambitieux et d’un grand réalisme pour qui aime se retrouver au centre d’une histoire complexe où s’enchevêtrent les destins de gens pas toujours blancs comme neige!
J’ai découvert un peu par hasard, alors que j’étais en vacances en France, cette maison d’édition établie à Paris et qui se spécialise dans la littérature de fiction japonaise. Moi-même grand fan de littérature nippone, je n’ai pas hésité une seule seconde avant de contacter Frank et Dominique, cofondateurs et complices dans la vie, pour une entrevue qu’ils m’ont accordée en 2020.
Grâce à eux, j’ai fait la découverte d’auteurs connus (Yûko Yuzuki et Seichô Matsumoto) et d’autres qui m’étaient jusqu’alors inconnus (Tetsuya Honda et Hika Harada notamment). Cette dernière, justement, se dit grande admiratrice d’Haruki Murakami, il ne m’en fallait donc guère plus pour me convaincre d’entrer par la grande porte dans son univers.
Une grande famille, on découvre Ai Kitazawa, une trentenaire fauchée par la vie et qui n’a d’autres choix que de revenir dans la maison familiale où vivent sa mère alcoolique et lubrique, et sa grand-mère, qui manque souvent de modestie. C’est dans cet environnement toxique qu’Ai évoluera, jusqu’au jour où sa mère, dans un accès de colère, poignarde sa grand-mère à la tête… Grâce à son amie d’enfance Miyoko avec laquelle elle a renoué son amitié, Ai échappera un tant soit peu aux esclandres familiaux. Mais elle découvrira qu’en réalité, l’herbe n’est pas plus verte chez le voisin, car sous les apparences, cette amie longtemps oubliée cache un secret à glacer le sang…
On va se le dire: il n’y a rien de mieux qu’un peu d’humour noir pour bien faire passer la pilule d’un roman où un terrible secret (à vous de le découvrir!) attend le moment parfait pour éclore au grand jour. Or, ce que j’ai le plus admiré chez Hika Harada, c’est la facilité avec laquelle elle a su humaniser des personnages en apparence «monstrueux» pour nous les rendre, malgré la violence de leurs actes, sympathiques à nos yeux.
Et cela, c’est grâce à la réflexion sociale que l’auteure soulève par le biais de sa forme artistique de prédilection, le roman.
Il y a de ces personnages en littérature qui ont de la personnalité, et pas nécessairement parce qu’ils sont charismatiques ou geignards, mais parce que leur aplomb, leur sens de l’autodérision et leurs propos incendiaires (qui, dans certaines circonstances, peut leur rendre service, disons-le), font d’eux des grandes gueules attachantes au final. C’est ainsi que je décrirais Sean Duffy, cet inspecteur au sein de la police royale d’Ulster, que j’ai découvert avec ce troisième volet – entièrement indépendant des précédents, cela dit – de la série «Sean Duffy».
Dans Ne me cherche pas demain, l’auteur irlandais Adrian McKinty nous invite au cœur d’une intrigue pas piquée des vers qui se déroule à Belfast, durant l’année 1983. Dès le lever du rideau, on apprend que Sean Duffy, un gamer infatigable, mais un travailleur forcené (quand il s’y met) est licencié. Au revoir la fierté! C’est qu’il aurait emmerdé le FBI et la chiure d’oiseau lui serait retombée sur la tête…) Ça arrive, ces choses-là. Heureusement pour lui, son expérience du terrain lui permettra d’intégrer en catimini l’équipe du MI5, venue solliciter ses services dans le but de mettre la main au collet de Dermot McCann, l’un des anciens camarades de classe de Duffy, devenu le suspect numéro un dans la tentative d’assassinat sur la première ministre britannique, Margaret Thatcher. J’arrête ici, de peur de vous dévoiler le punch!
Même si j’ai trouvé que la traque aux terroristes avançait peut-être un peu trop en douceur par moments, c’est définitivement la personnalité frondeuse de l’inspecteur Sean Duffy, ainsi que ses dialogues incisifs, qui rendent cette intrigue autant agréable à lire. C’est définitivement l’homme de la situation pour mener de front deux enquêtes et pour sauver l’une des personnalités les plus influentes de la Grande-Bretagne… rien que ça!
Quoi de mieux que de terminer ce dossier de lectures à donner froid dans le dos avec un roman plus léger où l’absurdité et l’humour sont au rendez-vous, histoire de rendre ce récit de règlements de compte plus souple à lire?
Bien sûr, le nom de Pierre Lemaitre m’était connu, vu son succès en France, mais je n’avais jamais eu l’occasion de lire un de ses livres. Or, c’est avec Le serpent majuscule, publié chez Albin Michel, que j’ai enfin pu effectuer ma première immersion dans son univers, avec un roman ayant sommeillé des années dans le fond d’un tiroir. C’est que l’auteur, à l’époque, n’a pas ressenti l’impulsion nécessaire pour voir cette histoire aux mains de ses lecteurs. Et même si ce n’est pas un roman inoubliable, mais plutôt un bon divertissement, on se plaît à s’attacher à cette Mathilde, 63 ans, dont le talent premier est d’assassiner de sang-froid des cibles précises. En gros, vous l’aurez deviné: c’est une tueuse à gages qui a de l’expérience, et vous ne voulez pas croiser son chemin!
J’ai éprouvé un plaisir évident, peut-être pas autant qu’à l’époque où j’ai découvert Le silence des pélicans de J.L. Blanchard, à suivre les aventures de cette sexagénaire, maître d’un Dalmatien appelé Ludo, et qui ne semble pas avoir d’autres ambitions que de se laisser aller plutôt que de soigner son apparence. Or, ici, je n’ai pas ri aux éclats, on se plaît davantage à sourire devant l’absurdité des situations, mais au moins, Pierre Lemaitre m’a donné l’élan nécessaire pour lire avec délectation cette histoire qui aurait pu demeurer aux oubliettes. Et je n’ai pas regretté… car la scène finale est, disons-le, spectaculaire et assez satisfaisante merci.
Mais… pourquoi Le serpent majuscule? Je me pose toujours la question. J’aime les métaphores, de même que toute la charge poétique qui en découle, mais celle-ci m’est restée obscure, et ce, même après les explications de l’auteur. Pour moi, un titre doit être évocateur, ou du moins titiller la curiosité, ici il m’a laissé pantois. Au moins, la finale aura rassasié mon manque!