Et soudain, ils enfilent leurs gants en caoutchouc. Tara et Mohammad, hôtesse et steward sur le Paris-Biarritz de Transavia, ont à peine terminé d’enchaîner une soixantaine de "merci, au revoir, bonne journée" à l’adresse des passagers débarquant dans la ville basque qu’ils se muent en pros du ménage express ! Epoussetage des miettes du petit déjeuner, ceintures recroisées, cartons de sécurité vérifiés… Les réflexes s'enchaînent sur les 189 sièges vert pétant du 737-800. "Cela permet de faire des économies sur le nettoyage et surtout de repartir en moins de trente-cinq minutes vers Paris", souffle Mohammad.
Ce jour-là, le Paris-Biarritz sera leur seul aller-retour. D’habitude, ils enchaînent sur un Paris-Barcelone, Marrakech ou Faro. Et leur emploi du temps n’est pas près de se calmer. Car Transavia est sur une rampe de lancement. Ben Smith, le patron d’Air France-KLM, a décidé de propulser cette "middle-cost" alliant qualité de service et prix environ 40% inférieurs à ceux d’Air France. Seul moyen à ses yeux pour tenter de sauver la rentabilité du groupe. Les résultats du troisième trimestre 2021 lui ont donné raison. Transavia a réalisé à elle seule 105 des 132 millions d’euros de résultat opérationnel courant de la compagnie franco-néerlandaise. "Dès que la demande est là, on retrouve le chemin de la rentabilité", clame la P-DG de Transavia, Nathalie Stubler, qui se félicite d’avoir doublé Vueling en France cette année pour passer deuxième derrière EasyJet, à égalité avec Ryanair.
Il faut dire que l’engouement pour ses vols à destination des pays méditerranéens a été fort cet été. A peine Emmanuel Macron avait-il donné son feu vert pour voyager en avril que les réservations ont décollé. "Le taux de remplissage moyen est passé de 10 à 80% en trois mois. Du jamais-vu ! D’habitude, nos avions se remplissent doucement de 40% à 90% sur les trois derniers mois avant un départ", explique le directeur général adjoint commercial et marketing de Transavia, Nicolas Henin. Bien sûr, la crise du Covid a, comme chez les autres, fait tanguer les appareils. Mais, plus surprenant, elle a aussi donné un coup d’accélérateur à la low cost française.
Pour comprendre, un peu d’histoire s’impose. Transavia France est née en 2007 sur le modèle de sa grande sœur Transavia Hollande, avec, notamment, un statut des pilotes moins-disant que celui d’Air France. Inacceptable pour le SNPL, la puissante corporation des pilotes, qui a du coup obligé Transavia à contingenter sa flotte à 14 avions. Le premier assouplissement à ce quota absurde n’est intervenu qu’en 2015 lorsque les pilotes ont pris conscience que, en restant sur la seule Air France, ils seraient bientôt assaillis par les nouveaux crocodiles low cost. "A trop se battre, on allait finir comme les dockers de Marseille", résume leur représentant actuel, Guillaume Gestas, plus conciliant que son prédécesseur. Son comité central a alors autorisé un premier saut à 40 avions, ce qui a eu pour effet de passer les comptes dans le vert dès 2017, puis un deuxième saut en 2019, cette fois sans limite. La flotte, passée à 48 avions en 2020, en comptera plus de 60 l’été prochain, et même 80 en 2025. "Grâce au Covid, qui a imposé un coup d’arrêt à toutes les low cost, Transavia a ainsi pu repartir sur un pied d’égalité avec ses concurrentes, voire avec un coup d’avance, vu l’ambition de Ben Smith", explique Didier Bréchemier, associé chez Roland Berger. Car cerise sur le gâteau, en 2020, le SNPL a aussi autorisé la compagnie à voler sur les destinations domestiques françaises, jusqu’ici réservées à Air France et à sa petite sœur Hop. Bien évidemment, les négociations ont été dures. Et les pilotes de Transavia sont désormais détachés d’Air France, avec les mêmes conditions salariales que dans la compagnie mère. Ils volent toutefois une centaine d'heures de plus par an, avec davantage de flexibilité.
Pourtant, Transavia propose des vols Paris-Minorque dès 44 euros ou des Nantes-Ajaccio dès 34 euros. Comment fait-elle pour être rentable avec de tels prix ? Elle coche d’abord de nombreuses cases du modèle low cost ! Sa flotte n’est par exemple composée que d'avions strictement identiques. Jusqu’ici c’étaient des Boeing 737-800. Elle va dans les prochains mois basculer vers des Airbus A320, moins polluants de 15% et moins chers. Les avantages de cette monoflotte sont nombreux : prix d'achat ou de location groupé, économie sur les coûts de maintenance ou sur le stock de pièces détachées. Sans parler des économies réalisées sur la formation des 500 pilotes : pour avoir les qualifications sur un nouvel appareil, ils doivent se former trois mois et pour environ 50.000 euros.
Autre point fort, contrairement à Air France, qui fonctionne principalement en hub avec des avions qui s’attendent les uns les autres pour embarquer des passagers en transit, parfois pendant plus d’une heure, les 737 de Transavia ne volent que de point à point. Dès 6 heures, ils partent d’Orly ou d’une des trois bases régionales et réalisent en moyenne trois rotations dans la journée et douze heures trente de vol ! Un même avion effectue par exemple deux Paris-Montpellier avant d'enchaîner sur un Paris-Lisbonne. Idéal pour optimiser le prix journalier de sa location.
Bien sûr, tous les coûts salariaux sont tirés vers le bas. Les 1.500 PNC (personnels navigants commerciaux) sont payés au Smic et uniquement à l’heure travaillée. Ils enchaînent facilement les 65 heures par semaine, voire frôlent les 90 heures l’été (avec 12 jours de repos obligatoire par mois), quand les allers-retours vers Ibiza ou Marrakech sont en surchauffe. Et en plus de jouer les fées du logis à chaque demi-tour, ces hôtesses et stewards, plutôt jeunes, doivent aussi être de redoutables commerciaux puisqu’ils sont intéressés à hauteur de 2,5% sur chaque vente de produits de restauration ou de duty free. "On écoule beaucoup de cigarettes sur le Maghreb, des parfums et du porto vers le Portugal et beaucoup d’alcool sur Ibiza, détaille Mohammad. Il faut avoir la tchatche mais on peut arrondir nos fins de mois de plus de 200 euros grâce à ça." Autre avantage pour la compagnie, plus de 35% des effectifs sont en contrats saisonniers ou en CDD, ce qui assure une plus grande flexibilité, bien utile en temps de Covid. Au total, Transavia économise, selon nos informations, près de 40% sur les PNC par rapport à Air France. Et elle réalise à peu près le même gain sur le personnel au sol, sous-traité à 100% à la fois en France et dans les pays de destination, où la main-d'œuvre est moins bien payée.
Enfin, tout est simplifié et millimétré pour économiser chaque centime. A la fois dans l’avion et en aéroport. Il n’y a par exemple ni salon d’attente ni bureau commercial. Ce sont aussi parfois les mêmes personnels qui assurent votre enregistrement puis votre embarquement. Si l’on vous demande d’arriver plus de deux heures avant un vol domestique à l’aéroport, ce n’est donc pas seulement pour la sécurité !
Résultat de toute cette machinerie bien huilée, le coût, calculé dans l’aérien par "siège au kilomètre offert", s’élève à environ 6 centimes d’euros chez Transavia. Soit bien moins que les 9 centimes d’Air France ou les plus de 13 de Hop. Mais c’est plus que les 5,5 d’EasyJet, sa première concurrente en France, et plus que les 3 centimes de Ryanair ou Wizz Air, qui, elles, flirtent avec l'illégalité sur les conditions sociales et rognent sur tout jusqu’à l’os.
Car si elle économise sur tout ce qui ne se voit pas, Transavia en revanche refuse de transiger sur la qualité de service. "C’est ce qui nous permet de nous différencier", affirme le directeur marketing Nicolas Henin. Ce qui explique les prix souvent 30% supérieurs à ceux d’une Ryanair. Dès la réservation, l’ergonomie du site est fluide, il n’y a pas de pop-up commerciaux intempestifs ou de dizaines de pages à ouvrir avant de pouvoir finaliser sa réservation"C’est un des meilleurs sites de compagnie aérienne", reconnaît Axel Guidicelli, le P-DG du site de vente de billets Ulysse. Bien sûr, comme chez les concurrents, les options qui visent à augmenter le prix final existent, notamment une grande gradualité du supplément bagage en soute en fonction de son poids. Mais, alors que les concurrents regorgent de coûts cachés – Ryanair fait payer son Paris-Beauvais en bus aller-retour 34 euros, EasyJet n’offre plus la valise cabine, etc. –, chez Transavia, le prix du billet, d’en moyenne 100 euros selon nos estimations, ne s'accroît que de 20 euros toutes options confondues, y compris la restauration à bord.
A l’intérieur, les rangées de sièges verts ne laissent que peu de place aux grandes jambes mais l'accueil est chaleureux. "J’ai la liberté d’offrir un café à un passager insatisfait ou fidèle", explique une hôtesse de l’air. "L’ambiance globale est bien meilleure que chez Air France, notamment parce que la majorité de nos clients partent en vacances", souffle un pilote qui vient de choisir Transavia après douze ans chez Air France. Sans surprise, le "net promoteur score" atteint 8,9 /10 pour le service clients, ce qui fait grimper la low cost sur la première marche du podium des principaux palmarès.
Les clients sont aussi rassurés par la caution de la maison mère. Lorsqu’un avion rencontre un problème technique, ils ont parfois la bonne surprise d’embarquer dans un avion Air France. Pendant la crise du Covid, ils ont tous été remboursés en temps et en heure, ce qui n’était pas souvent pas le cas chez les autres low cost. Fort de cet appui et de l’autorisation de voler sur le réseau domestique, Transavia multiplie les vols intérieurs depuis Orly mais aussi les transversales comme Nantes-Toulon ou Brest-Ajaccio. De quoi séduire une nouvelle clientèle d’affaires. "Les professionnels occupent environ 20% de nos vols domestiques, qui eux-mêmes pèsent 15% de notre trafic", détaille Nathalie Stubler. Pour eux, les tarifs Plus et Max proposent non seulement des miles, mais aussi des points d’expérience, les fameux XP, pour faire évoluer leur carte Flying Blue. "Ce sont les seuls à offrir le même programme commercial que leur maison mère, un vrai plus !", observe Yan Derocles, analyste chez Oddo. D’autant que Transavia vient aussi d’entrer dans les contrats d’Air France réservés aux grandes entreprises. "Malin car le cadre satisfait de sa navette quotidienne pense à Transavia pour son week-end à Rome", estime Didier Bréchemier.
Autre atout séduction pour une clientèle de CSP+, Transavia a pris d’assaut la forteresse Orly. C’est le plus gros marché de point à point de France, qui draine les plus riches Parisiens du sud et de l’ouest. Or cet aéroport est capé à 250.000 mouvements par an. Difficile d’y obtenir des créneaux de décollage et d'atterrissage. Mais Transavia vient de récupérer une vingtaine d’allers-retours à Hop et 14 à Aigle Azur. Elle s’arroge ainsi à elle seule environ 25% de l'aéroport. Elle peut donc multiplier les destinations – 95 depuis Orly cette année sur les 160 de son catalogue – mais aussi proposer de nouveaux services comme le Smart Connect. Grâce à cette option d’une vingtaine d’euros, un businessman ou une famille peut voyager de Toulon à Tunis via Orly avec une prise en charge complète (hôtel, restaurant, nouveau vol) en cas de connexion ratée. "Notre partenaire Dohop gère cette assurance et nous gagnons en satisfaction client et en nombre de vols vendus" se félicite Nicolas Henin.
Encore faut-il savoir s’ajuster en permanence à la demande. Et Transavia fait preuve de beaucoup d’agilité. En matière de prix bien sûr. Les Açores, via Ponta Delgada, seront atteignables pour seulement 77 euros l’été prochain car il s’agit d’une ouverture de ligne et il faut attirer de nouveaux clients. A l'inverse, un retour de Grèce le 31 août risque de grimper au-delà des 400 euros. Son agilité est encore plus importante en matière de programmation des vols. Actuellement, la dizaine de programmateurs au premier étage du siège d'Orly ne chôment pas. Ils faisaient déjà évoluer les destinations en fonction des saisons. Désormais ils tentent d’anticiper les folles fluctuations liées au Covid. Deux semaines avant le week-end de l’Ascension, par exemple, ils ont affrété huit vols au lieu de trois sur le Toulon-Orly. "On a vu que les Parisiens rêvaient de s’évader après le confinement et, bingo, on a tout rempli", se félicite Nicolas Henin. Pendant l’été ils ont redirigé avec le même succès beaucoup de vols à destination du Maghreb, où la situation sanitaire était incertaine, vers les îles et les destinations de plage. La cinquième vague vient les heurter à nouveau. En décembre, la fermeture brutale du Maroc a été un coup dur. Mais, tous les spécialistes en sont persuadés, dès que le feu vert des autorités sera à nouveau donné, la compagnie profitera vite de ses nouveaux atouts. Tara et Mohammad n’ont pas fini d’enfiler leurs gants.
Au sol et à bord, tout est pensé pour faire des économies
L’embarquement est anticipé. Les passagers sont dirigés au plus près de l’avion, même s’il n’est pas prêt, afin de ne pas perdre une minute et d’assurer ses trois rotations dans la journée.
Un nouveau logiciel antigaspi est en test pour optimiser les approvisionnements en sandwichs, madeleines et produits frais. Il devrait permettre de réduire les pertes de plus de 50%.
La soute est à l’ancienne. Pas besoin de monte-charge électrique, les bagages peuvent être chargés à la main. Pratique dans les pays méditerranéens, où la main-d’œuvre, sous-traitée sur place, est bon marché. La nouvelle flotte d’Airbus A320 consommera 15% de kérosène en moins.
L’atterrissage du 737-800, un avion plutôt "robuste" selon l’expression des pilotes, est possible sur tous les types de pistes, de celles, immenses, d’Istanbul ou de Tel Aviv, à celles, minuscules, de Kalamata ou de Mykonos.
Tous les sièges sont identiques. Il n’y a pas de classe business. Et les rares avantages se paient cher : 21 euros pour le premier rang, 14 euros pour avoir un peu plus d’espace pour les jambes, etc.
La moquette a été allégée, passant de 153 à 90 kilos. Un poids en moins qui permet d’économiser 6,9 litres de carburant sur chaque vol, soit plus de 300.000 litres par an !
Un site de réservation des billets parmi les plus réussis
Acheter un billet discount sur une compagnie low cost est souvent une épreuve. C’est notamment le cas chez Ryanair, la plus radicale de toutes, dont le site est truffé d’offres commerciales agressives et de pop-up. Transavia a pris l’exact contre-pied avec une ergonomie à la Airbnb, très didactique, pour que l’expérience client soit la plus fluide possible. "C’est un des plus clairs parmi toutes les compagnies que nous avons étudiées pour concevoir notre site de réservation simplifié", nous confie le P-DG de la start-up Ulysse, Axel Guidicelli.