Le mythe de l’apprenti sorcier est plus que jamais à l’ordre du jour. Les médias fourmillent d’articles concernant les « robots-tueurs », les dangers de l’intelligence artificielle, ceux de la procréation médicalement assistée, sans oublier bien entendu l’énergie nucléaire, très peu polluante mais honnie par l’écologie politique. Les doutes actuels sur le progrès scientifique renvoient à une réflexion éternelle sur les rapports entre science et conscience. Mais bien entendu, certaines sensibilités religieuses exploitent l’incertitude pour faire renaître ou pour maintenir l’obscurantisme.
Science et conscience
Science et conscience ont toujours constitué deux lectures de notre univers. Son intelligence conduit inéluctablement l’homme à analyser son environnement et à s’étudier lui-même. Il acquiert ainsi des connaissances qu’il peut utiliser pour agir et pour améliorer son cadre de vie. Le parcours fabuleux des hominidés depuis des millions d’années ne laisse aucun doute à ce sujet : l’intelligence est une dynamique qui pousse l’être humain à comprendre et à exploiter l’univers qui l’entoure. Tant qu’il y aura des hommes, ce phénomène ne s’arrêtera pas car il est consubstantiel de l’humain. Vouloir arrêter le progrès scientifique, d’une manière générale le progrès de la connaissance, est donc attentatoire à l’essence même de l’humanité.
Pourtant, le langage de la conscience a toujours suscité des doutes chez l’être humain. La conscience a longtemps pris la forme de religions élaborant des dogmes. Ainsi, pour l’éducation de Gargantua, Rabelais voulait un équilibre entre le savoir et la croyance en certaines valeurs. Il affirmait que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » La conscience reposait alors essentiellement sur la définition du bien et du mal par la religion chrétienne. Jusqu’à une époque récente, ce sont les religions qui ont délimité le possible dans le domaine de la recherche. La domination politique d’une religion constituait un frein aux progrès de la science lorsque le dogme religieux était remis en cause par la raison. Le Moyen Âge en Occident représente ainsi une période d’environ un millénaire au cours de laquelle la religion chrétienne détient une suprématie éthique incontestée. Les progrès scientifiques sont alors très faibles et il faut attendre la Renaissance, à partir du XVe siècle, pour que la rationalité se libère peu à peu du carcan du dogme religieux. Il faudra plusieurs siècles pour y parvenir.
Le détournement de la conscience par le fondamentalisme
Le fondamentalisme islamique et ses dérives terroristes constituent aujourd’hui le phénomène le plus visible de résistance du religieux à la raison. Le monde arabe, l’Afghanistan, le Bangladesh sont totalement dominés politiquement par l’Islam, religion d’État. Le droit civil reste d’inspiration religieuse, ce qui conduit à un statut de subordination des femmes. De ce point de vue, ces sociétés apparaissent aujourd’hui au stade d’évolution de l’Europe avant la proclamation politique et l’instauration juridique de la liberté de conscience. Le fondamentalisme n’est qu’une interprétation littérale et archaïque d’un texte très ancien (le Coran) visant à interdire toute évolution vers la liberté.
Il est évidemment paradoxal de constater que le fondamentalisme n’hésite pas à employer les outils les plus contemporains créés par les sciences et les techniques pour maintenir des principes datant du VIIe siècle (le prophète Mahomet est mort en 632). Le pseudo État islamique utilise ainsi les armes et les moyens de communication les plus évolués, en particulier internet et les réseaux sociaux. Si l’on peut trouver une certaine cohérence entre le discours et les actes chez les Amish d’Amérique du nord, on reste sidéré par la capacité d’instrumentalisation du religieux dont font preuve les fondamentalistes musulmans. Un tel comportement ne peut conduire qu’à une conclusion : il ne s’agit pas de faire prévaloir des principes mais simplement de maintenir une domination politique sur des sociétés afin d’interdire la liberté. Bref, l’objectif est la dictature et la dictature soumet toujours les progrès de la connaissance aux impératifs des détenteurs du pouvoir.
Les limites imposées à la recherche par les intégrismes
Les intégrismes chrétien ou juif, s’ils n’ont pas dérivé vers le terrorisme, relèvent de la même logique : faire prévaloir un dogme et, au besoin, interdire toute évolution dans un domaine. Par exemple, l’opposition farouche à la procréation médicalement assistée (PMA) ou au clonage humain provient de principes fondamentaux à caractère religieux. Le clonage thérapeutique, consistant à « réparer » un organisme par le biais d’organes créés à partir de cellules souches, suscite moins d’opposition que le clonage reproductif consistant à « dupliquer » entièrement un organisme humain. Des expériences de clonage reproductif ont été faites sur des animaux (la brebis Dolly par exemple) mais cette pratique est interdite dans la plupart des pays pour l’espèce humaine. La recherche dans ce domaine est en réalité soumise à des prescriptions religieuses.
Le clivage éthique sur le sujet oppose en effet les croyants et les athées ou agnostiques. Les premiers considèrent que leur dieu est le créateur initial et que l’intervention humaine sur la créature divine ne peut être que limitée. Le clonage reproductif est inenvisageable car il y a une limite éthique à ne jamais franchir. En la franchissant on pénètre dans un domaine réservé à la divinité. Pour un non-croyant, le pragmatisme l’emporte : il est impossible d’imaginer ce que seront les connaissances humaines dans l’avenir à long terme et, s’il faut avancer avec prudence, il n’existe aucune raison de fixer une frontière au-delà de laquelle l’homme n’a pas droit de cité. L’humanité ne s’est d’ailleurs jamais soumise aux dogmes religieux lorsqu’ils entravaient son évolution. Les sociétés humaines n’ont jamais accepté qu’une axiomatique religieuse assez simpliste les empêche de poursuivre leur chemin. Il en ira de même dans le domaine de la bioéthique : l’expérience accumulée permettra de discerner le futur possible.
Un destin choisi ?
Au-delà de la liberté individuelle, apparaît ainsi aujourd’hui une liberté collective de l’humanité. Les capacités atteintes par les sciences et techniques permettent d’imaginer un avenir de l’humanité totalement distinct de l’évolutionnisme darwinien qui nous a conduits là où nous sommes. Le déterminisme de l’évolution des espèces pourrait être remplacé par des choix collectifs. Le destin choisi remplacerait le destin subi. Des questions fondamentales se posent déjà. Faut-il développer l’intelligence artificielle ? Peut-on modifier le génome humain ? Le mode de reproduction de l’espèce humaine doit-il rester indéfiniment celui des mammifères ou évoluer vers autre chose ? La gestation extra-utérine est-elle notre avenir ? La sexualisation de l’espèce humaine se poursuivra-t-elle ? Ce ne sont là que quelques exemples des multiples interrogations apparaissant aujourd’hui du fait de la rapidité des progrès scientifiques.
Y a-t-il une hiérarchie entre science et conscience ?
La tendance des sociétés actuelles consiste presque toujours à placer la conscience au-dessus de la science. La conscience reste largement sous l’emprise des préceptes religieux anciens même dans les pays les plus avancés. Le facteur politique joue à cet égard un rôle déterminant. L’opinion publique est sensible aux métarécits religieux car leur simplicité les rend accessibles à tous. La rémanence du religieux dans l’opinion joue donc un rôle important edémocratie car l’élection conduit tout politicien à tenir le plus grand compte de l’état de l’opinion. Dans les dictatures, la question est vite réglée puisqu’il s’agit avant tout d’imposer une domination : religion ou idéologie permettent alors de la justifier.
L’instauration de comités d’éthique représentatifs de l’ensemble des sensibilités constitue un progrès significatif dans les démocraties. En France, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) « a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » (loi du 6 août 2004). Dans la mesure où de nombreux scientifiques participent à ce comité, aux côtés de philosophes, de juristes, etc., nous quittons la suprématie traditionnelle accordée à la religion dans le domaine de la conscience. En réalité, les avis de tels comités constituent une réflexion pragmatique permettant de discerner le souhaitable parmi les immenses possibilités ouvertes par les progrès de la connaissance. La liberté humaine est alors préservée, elle n’est plus soumise à une soi-disant volonté divine créée de toute pièce par quelques humains dominateurs. Il n’y a plus de hiérarchie très nette entre une conscience dogmatique et une science soumise, mais un dialogue, un questionnement permanent conduisant à des solutions évolutives en fonction des acquis de la recherche.
Conclusion
Si les comités d’éthique demeurent des organismes consultatifs, ils n’en sont pas moins l’embryon d’une évolution majeure de la conscience humaine. Dominée historiquement par des dogmes religieux intangibles, celle-ci commence à évoluer vers un dépassement du religieux qui suppose pragmatisme, dialogue, tolérance. La science n’est plus en lutte avec la conscience mais devient une source de propositions permettant à l’homme de prendre son destin en main. L’obscurantisme traditionnel recule lentement et notre liberté collective de construire l’avenir apparaît peu à peu.