On a beau avoir pour amant.e la personne la plus attirante du monde, au bout d’un certain nombre de nuits ensemble, on commence à bien, bien se connaître — au sens biblique du terme. On répète les mêmes gestes, les mêmes positions, on sait ce qui fonctionne… ça ronronne. Alors, il y a un moment où je me dis : réveillons-nous, soyons inventive.
Il y a quelques années, après six mois d’idylle avec un homme chaud et doux, j’ai voulu proposer deux trois trucs pour nous secouer un peu les puces. Je lui ai exposé mes idées : aller dans un sex-club gay à Berlin, où j’avais assisté en 2016 à une performance de fisting sous une douche de techno minimale hurlante… Bof, m’a-t-il dit, en se rongeant l’ongle du pouce. Quid d’un atelier de groupe à Montreuil pour apprendre la méditation orgasmique ? Il a attaqué le deuxième pouce, sa paupière supérieure gauche tressautait imperceptiblement.
À lire >> Nos fails du sexe : quand ça fait un bout de temps que je n’ai plus envie
Heureusement, cet homme était chaud, doux ET créatif. Il m’a fait une contre-proposition : baisons en extérieur. Je dois avouer que ça, je ne l'avais jamais fait. Pas par manque d’envie ! Mais parce que j’avais peur qu’on me voie, je n’avais aucune envie d’imposer ma sexualité à quelqu’un qui passerait par là et qui n’aurait rien demandé. J’ai exposé mes limites à cet homme, on s’est dit qu’on attendrait le bon moment.
On était seuls au monde
Après les fêtes, on est allés à Bréhat. Bretagne… janvier… rien ne laissait présager que le bon moment pourrait nous pendre au nez. Et bien méfiez-vous, la Bretagne réserve bien des surprises. On est arrivés tôt le matin, il n’y avait pas un chat, le soleil doré donnait envie de faire des câlins aux rochers, c’était le paradis. On a pris une chambre dans le seul hôtel de l’île qui était ouvert, et on est partis marcher. Arrivés au bout du bout de l’ouest, l’île a déroulé sous nos pieds émerveillés un tapis d’herbe épaisse, moussue. On était seuls au monde. On s’est allongés, c’était moelleux, comme un cocon, il fallait juste faire un peu attention aux crottes de moutons. On s’est embrassés longtemps, caressés sous les pulls en laine, il n’y avait pas un souffle de vent, j’ai remonté mon t-shirt, le sien… mais le temps que je me décide à ouvrir le premier bouton de son jean, un randonneur est apparu à l’horizon. Le premier de la journée. On a repris la marche. Lui avait une gaule infernale, moi j’étais telle l’épagneul breton, à l’affût de l’endroit où on pourrait continuer de se caresser.
Deux heures plus tard, au détour d’une falaise, je repère une grotte en contrebas. Elle est tournée vers la mer, du sentier, on n’en voit pas l’intérieur. L’homme et moi crapahutons pour y accéder ; elle est parfaite, au sec, et la vue sur l’océan est grandiose. On baisse nos jeans, il bande dur. Moi en revanche, j’ai envie, mais je ne mouille pas du tout. On continue de se chauffer doucement, ça va venir. Mais... est-ce le fait d’être le cul à l’air, en chaussures de rando ? Les minutes passent et je reste très — trop — consciente du moment. Je ne suis pas transportée. Quand même, l’idée de jouir face à la marée montante me tient. Je m’aide avec de la salive. Je suis debout, le dos contre la roche, mon pantalon aux genoux, l’homme m’embrasse et essaie de me pénétrer… Sans succès. On n’arrive pas à trouver le bon angle. On a beau s’y reprendre, se contorsionner, rien à faire, ça ne veut pas. On rigole un bon coup, changement de stratégie : il se pose sur un rocher, et moi je me pose sur lui. Je le sens enfin entrer en moi, je m’assois lentement. Je regarde la mer, je commence à être dedans… Quelques va et viens, et il m’arrête, contrit. Le rocher est en train de mettre ses fesses à vif.
Je me noyais dans mes angoisses de performance
Sur le moment, en regagnant le sentier, j’étais déçue. J’aurais bien aimé que cette première fois en plein air soit l’occasion de ressentir un peu plus de sensations. Des sensations génitales. Je me suis dit qu’il fallait sans doute un certain talent, que je n’avais pas, ou du moins un lâcher-prise, pour réussir à mouiller vite, à jouir rapidement ? Après tout, peut-être n’étais-je qu’une amante de salon ? Pendant qu’on regagnait le port, de phares en moutons, je me noyais dans mes angoisses de performance… exactement comme à 19 ans, quand j’allais sur des sites de porno mainstream dans l’espoir de devenir « un bon coup », et qu’après être tombée sur gorges profondes et double pénétrations anales, je refermais l’ordinateur, en me disant que je n’y arriverais jamais. (Je n’y suis d’ailleurs, heureusement, jamais arrivée, parce qu’à vingt ans, j’ai eu la chance de tomber sur « Osez découvrir le point G », un bouquin d’Ovidie, et j’ai compris que c’était à mon plaisir que je ferais bien de commencer par m’intéresser.)
En arrivant à l’hôtel, je me suis rappelé que quand, au lit, je ne jouissais pas… la fois suivante était explosive, deux fois plus forte que d’habitude. Je n’avais pas eu beaucoup de plaisir génital dans la grotte, mais c’est comme si j’avais pris mon orgasme à emporter. Et puis, on s’était bien marré. Même si ce n’était pas le coup de notre vie, on avait vécu un beau moment d’intimité sexuelle, drôle et complice. Cette mission sexe en plein air avait excité notre libido pendant toute une demie journée. Et j’avais eu des sensations ! Ses mains sur mon corps, l’air du large sur mon sexe, l’odeur de ma salive, de la mer et de sa peau qui se mélangeaient.
On a continué d’avoir l’esprit aventurier, avec cet homme chaud et doux. Et on a continué de vivre des fails bien cuisants. Le dernier, dans un jacuzzi, trop chaud. Ça aurait été notre première fois à tous les deux dans un jacuzzi, mais de la sueur nous coulait dans les yeux, on avait la peau couleur homard et une seule envie : sortir et boire un grand verre d’eau fraîche. Ce qu’on a fait.
Et je n’ai même pas angoissée.