Lola, son pseudonyme sur l'écran d'accueil de Zoom, sonne comme un heureux présage. Lola, "LOL à L.A" ("éclats de rire à Los Angeles") ? Un programme en soi lorsque l'on s'entretient avec celle que ses "amis appellent Jen" (dixit son Instagram), réputée pour son sarcasme bon enfant, aussi chaleureuse dans la vie qu'à l'écran. À 10 h 30, heure de la côte Ouest, une voix légèrement rauque, inimitable, nous salue d'un bonjour ensoleillé.
À découvrirDepuis le début de la crise sanitaire, c'est dans sa villa de Bel Air, un temps partagée avec son deuxième ex-mari, l'acteur Justin Theroux, que l'héroïne de The Morning Show (Apple TV) organise ses interviews et shootings photo. Avec pour panorama la skyline de la ville qui a façonné son destin de star populaire, pour le meilleur et pour le pire. Ici, Jennifer Aniston se sent pleinement chez elle. Elle y a passé le confinement avec ses chiens - Clyde, Sophie et Lord Chesterfield, qu'elle surnomme affectueusement "sa famille de fourrure" - et un cercle "d'amis proches".
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En vidéo, le teaser de la nouvelle série "The Morning Show"
Les termes "famille" et "amis" reviennent souvent dans la conversation. Et pas seulement parce qu'à l'instar de ses cinq comparses de Friends ("sa seconde famille"), la star sait devoir sa carrière, sa fortune et sa notoriété à la sitcom phénomène des années 1990. "C'est l'histoire d'une alchimie unique, non reproductible", avance-t-elle pour justifier le culte que la série inspire toujours, dix-sept ans après la diffusion de son ultime épisode, en 2004. Friends, c'est l'étincelle miraculeuse qui a transformé la vie de Jennifer Aniston en un conte de fées. Du jour au lendemain, l'obscure actrice de théâtre, serveuse à mi-temps, abonnée aux auditions ratées et aux nanars obscurs (Leprechaun, en 1993) s'est muée en un phénomène.
Pendant les dix ans de la série, elle n'a fait qu'un avec son alter ego, Rachel Green. Son charme de "jolie fille d'à côté", ses tenues pointues, son carré plongeant (la fameuse "coupe Rachel") l'ont propulsée "petite fiancée de l'Amérique". Lorsque la star de Friends a épousé la star de Hollywood, Brad Pitt, en 2000, la frénésie médiatique s'est déchaînée, trouvant son acmé au moment de leur divorce retentissant, cinq ans plus tard, après que la route de l'acteur a croisé celle d'Angelina Jolie. Un autre feuilleton s'est alors mis en place, aux rebondissements orchestrés par les tabloïds, où Jennifer Aniston s'est d'abord vue attribuer le rôle de victime sacrificielle, puis, selon les périodes, celui de la triste divorcée sans enfant ou de la célibattante assumée… Et cela même si elle cumule les succès au box-office (La Rupture, en 2006, Marley et moi, en 2009, Murder Mystery, record d'audience sur Netflix en 2021).
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Aujourd'hui, on sent la quinqua libérée (délivrée). Avec The Morning Show, plongée haletante dans les coulisses d'un média de grande écoute rongé par un scandale #MeToo, c'est ce passé - et passif - que Jennifer Aniston bouscule. Incarner Alex, coprésentatrice de la matinale la plus regardée des États-Unis, en pleine crise existentielle, s'est avéré "thérapeutique", explique-t-elle. Sur la corde raide, l'actrice y déploie une palette d'émotions inédites, entre explosions rageuses et désespoir poignant. En un mot : une performance remarquable. Et profitable, au-delà du cachet de 2 millions de dollars qu'elle aurait touché par épisode.
La série, qu'elle coproduit avec son amie Reese Witherspoon, lui offre ainsi la reconnaissance qu'elle attendait : la saison 1 lui a valu les meilleures critiques de sa carrière, un prix d'interprétation - le respecté SAG Award, de la guilde des acteurs - et une nomination aux Emmy Awards… mais aussi le rappel que ses rares incursions dramatiques au cinéma - The Good Girl (2003), Cake (2015) - ont été sous-estimées. La saison 2, disponible depuis le 17 septembre sur Apple TV, prolonge cet élan. À travers le portrait qu'elle livre de cette star des médias que l'on pense connaître "juste parce qu'on la voit à la télé tous les jours", bientôt mise sur la touche en raison de son âge, c'est aussi son histoire qu'elle nous raconte pour la première fois : "Parce que j'étais prête", dit-elle. Pour (enfin) passer à autre chose ?
J'ai travaillé trop dur sur ma vie et ma carrière pour être réduite à un être humain triste et sans enfantCar si l'inconscient collectif semble parfois l'avoir figée au début du XXIe siècle, ce serait vite oublier que Jennifer Aniston ne cesse de réécrire son histoire. La lycéenne boulotte et complexée a chèrement conquis son titre de reine des red carpets, silhouette finement fit, teint éternellement glowy et crinière lumineuse. Elle s'est aussi muée en une productrice avisée. Et l'ex-New-Yorkaise névrosée incarne désormais l'archétype de la Californienne new age, férue de psychothérapie, recentrée par le yoga et la méditation - "essentiels à mon équilibre émotionnel", confie-t-elle. La quinqua multiplie les contrats d'égérie healthy et vient même de lancer LolaVie, sa marque de produits capillaires écoresponsables et végans.
Et son statut amoureux, alors ? La star continue d'envoyer valser les archétypes patriarcaux. "J'ai travaillé trop dur sur ma vie et ma carrière pour être réduite à un être humain triste et sans enfant", a-t-elle déclaré. À 52 ans, toujours célibataire et toujours sans enfant, Jennifer est résolument à l'aube d'un nouveau chapitre de sa vie. Cette "amie" dont on aime toujours prendre des nouvelles nous en a données lors d'un entretien exclusif d'une rare sincérité.
Madame Figaro.-Comment Reese Witherspoon, votre co-star et productrice, vous a-t-elle convaincue de revenir à la télévision dansThe Morning Show ?
Jennifer Aniston. -Combien de fois dans une vie reçoit-on des scénarios avec deux rôles principaux de femmes puissantes ? Depuis que nous avions joué des sœurs dans Friends, nous voulions retravailler ensemble. Reese avait repéré ce script adapté d'une enquête sur l'univers impitoyable des matinales américaines, aux audiences phénoménales. Le livre de Brian Stelter, Top of the Morning, datait de 2013, mais le timing était providentiel car l'actualité était brûlante : des scandales #MeToo explosaient aussi dans ce milieu (Matt Lauer, la star du Today Show, sur NBC, a, depuis, été évincé pour agression sexuelle, NDLR) .
Dans la première saison, il s'agissait de gérer la crise provoquée par le renvoi pour harcèlement du présentateur de la matinale la plus regardée du pays. Alex, votre personnage, finissait par dénoncer elle-même les agissements de ses dirigeants, quittant l'antenne avec fracas. Où la mène cette saison 2 ?
Rongée par la culpabilité, elle s'est retirée à la campagne et travaille à ses mémoires. Obligée d'affronter ses propres démons, ses propres manquements, ses regrets. The Morning Show continue d'explorer toutes les zones d'ombre de #MeToo et de la course à l'audience. Du côté des victimes, des agresseurs, des complices, lâches et moins lâches… J'aime cette approche sans concessions, qui ne manque pas pour autant de nuances.
Vous avez déclaré que c'était le rôle le plus difficile de votre carrière…
Il est d'une grande densité, éprouvant. C'est l'un de mes projets les plus gratifiants aussi. La showrunneuse Kerry Ehrin m'a confié un personnage qui n'est pas "aimable" et, avouons-le, plutôt dingue. Narcissique, abrasive, prête à tout pour sauver sa peau… Comme moi, Alex vit sous le microscope des médias, des paparazzis et du public. Une célébrité qui doit assumer sa quasi-absence de vie privée et qui n'en reste pas moins humaine. Mais la comparaison s'arrête là. Si j'ai la larme facile, je pense mieux contrôler mes émotions qu'elle, heureusement ! Alex est la version hystérique de nombreuses personnalités de ce métier, à qui l'on n'aurait pas appris à se contenir ou qui n'y parviendraient plus.
Dans une scène d'anthologie, Alex pique une crise dans sa limousine, avant une soirée de gala, pour en sortir tout sourire devant les flashs des photographes. Plus tard, son mari lui rappelle que la presse people l'a déjà déclarée "dix fois enceinte" à tort. L'impression d'un jeu de miroirs révélateur de votre propre vie est saisissante… Un choix délibéré ?
Oui, The Morning Show s'est avéré cathartique. Revivre à l'écran des pans de ma réalité, montrer ce que l'on ressent à ma place… La série a été en partie écrite par l'une de mes plus vieilles amies et partenaire de ma société de production, Kristin Hahn. J'étais en confiance pour sciemment intégrer ces aspects intimes de mon expérience professionnelle et personnelle.
La scène de la limousine ? Je ne connais pas un acteur ou une actrice à Hollywood qui ne l'a pas vécue avant un tapis rouge. N'avoir qu'une envie - hurler ou se cacher - au lieu d'affronter les caméras, les regards inquisiteurs… Mais je songe aussi à des scènes d'une honnêteté crue, qui ont trouvé écho chez tout le monde. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de parents qui sont venus me parler du moment où Alex hurle à sa fille étudiante, qu'elle estime injuste et ingrate, "d'aller se faire f…", soulagés d'avouer qu'ils avaient vécu la même chose !
Longtemps tabou à Hollywood, l'âgisme doublé de sexisme dont souffre votre personnage est de plus en plus dénoncé. Avez-vous ressenti cette volonté de mise en retraite anticipée de la part des dirigeants de studios ?
Personne ne m'imposera une date d'expiration. Je reste seule décisionnaire de l'issue de ma carrière. À mon âge (52 ans, NDLR), je n'ai jamais autant travaillé à des projets inspirants, écrits, produits et réalisés par des femmes, qui parlent de femmes qui "sortent du cadre". J'ai commencé à en développer dès 2006 avec ma société de production Echo Films, comme Dumplin' (Netflix), sur la fille plus size mais épanouie d'une ancienne reine de beauté, ou bien First Ladies (Netflix), dans lequel j'incarnerai la moitié du premier couple lesbien à la Maison-Blanche. J'apprécie pleinement ces nouvelles opportunités, moi qui ai tendance à tout faire sur le tard. Je ne pense pas que les femmes doivent gouverner le monde, mais il est temps que l'on nous considère comme les égales des hommes. Que l'on comprenne enfin que la moitié de l'humanité s'avère aussi importante que l'autre. Les femmes dont on raconte les histoires, dont on rappelle qu'elles sont intéressantes, ne disparaissent pas à 35 ans. Et j'ai l'impression que c'est le cas pour de plus en plus d'actrices de ma génération.
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Avez-vous été victime de harcèlement vous-même ?
Pas du genre à me retrouver enfermée dans une chambre d'hôtel avec Harvey Weinstein, Dieu merci. Je n'ai jamais ressenti cette menace, terrible, de me faire agresser ou exploiter. Mais être la cible d'une drague lourde, bien sûr. Des messieurs de la génération "d'avant", à qui on n'avait pas appris à bien se comporter… Ils se sont plus ridiculisés qu'autre chose, sachant qu'il m'en faut pas mal pour me sentir offensée.
L'attention médiatique, les rumeurs qui s'enflamment en quelques clics… Comment cette pression ne vous atteint-elle pas ?
Déjà, je sais qui je suis. Ce qui se dit ou se publie à mon sujet ne me fait jamais douter de moi ni de mes décisions. Être entourée de "famille d'amies", les mêmes depuis mon arrivée à Los Angeles, à 20 ans, m'a permis de ne pas perdre pied. Un groupe de copines qui se dit tout, avec des rituels rassurants. On ne s'épargne rien, mais on se soutient. Et ma meilleure défense, dès que l'on publie une intox me concernant, est de l'ignorer.
Dernier exemple en date ?
Suite à l'émission sur les retrouvailles de Friends, dans lequel David Schwimmer (qui interprète Ross Geller, NDLR) et moi avons avoué avoir eu un coup de cœur l'un pour l'autre au début de la série, j'ai "appris" que nous étions en couple en ce moment (Rires.) Je n'arrêtais pas de recevoir des messages cryptiques, du genre "Je croyais que vous faisiez une pause !" (réplique culte de Ross dans Friends, NDLR), suivis de "LOL"… Aucune idée de ce dont on me parlait ! Au fil des années, j'ai appris à laisser les fausses infos s'éteindre d'elles-mêmes. Car c'est le cas, à chaque fois.
Dix-sept ans après la fin deFriends, la cote d'amour et la nostalgie que la série suscite n'ont jamais faibli. Comment expliquez-vous son statut à part dans l'histoire de la télévision et dans le cœur des fans du monde entier ?
Cet intérêt émeut encore toute l'équipe. Friends, nous l'avons vécu dans notre ADN, mais son succès continue de nous intriguer. C'était il y a si longtemps ! La sitcom représente les années 1990 pour nous tous. Elle a permis au public de se sentir connecté à cette période de leur vie, mais aussi entre eux. Nous ne saurons jamais à quelle magie on le doit, au-delà d'une jolie alchimie entre six comédiens. Mais je pense que la série illustre un esprit de communauté et la nostalgie d'un type de communication aujourd'hui disparus. Parce que tout le monde est rivé à son téléphone, à échanger des SMS au lieu de se parler. On se cache trop, hélas, derrière nos écrans.
En vidéo, la bande-annonce de l'épisode réunion de "Friends"
On comprend mieux vos réticences à rejoindre Instagram… Vous avez pourtant fini par créer votre compte fin 2019, et battu un record : un million d'abonnés en cinq heures et seize minutes ! Pourquoi avoir autant attendu ?
Par méfiance. J'en mesurais les avantages, comme celui de faire passer des messages qui me tiennent à cœur ou le côté fun des réseaux sociaux, mais aussi les dégâts que ceux-ci peuvent causer. Je m'inquiète toujours de leurs effets néfastes sur l'estime de soi chez les préados et les ados, à une période de sa vie où l'on se construit tout en étant en quête de popularité. Je pense aux parents : si mon enfant n'a pas le droit de conduire avant 16 ans ou de boire avant 21 (âges légaux aux États-Unis, NDLR) parce que ses capacités ne sont pas assez développées, pourquoi a-t-il accès à une pratique susceptible de le phagocyter corps et âme ? Cela me pose toujours question, mais je me suis lancée aussi pour mieux comprendre le phénomène.
Depuis des années, on vous sait férue de yoga, de méditation transcendantale, attentive à votre santé physique comme psychique… Une incursion dans le créneau très prisé du développement personnel vous tente-t-elle ?
J'y songe, sérieusement ! En 2019, j'ai lancé une série de "salons", intitulés Jen Talks ("les conférences de Jen"). Tous les deux mois, j'invitais une trentaine d'amis à la maison à venir écouter des experts et à débattre avec eux : l'ex-correspondante de CNN à la Maison-Blanche, Jessica Yellin, est venue parler de politique ; Jay Shetty, un ancien moine, a évoqué son expérience spirituelle ; un généticien de Havard, le professeur David Sinclair, nous a donné des conseils en longévité… Ces discussions m'ont inspirée : pourquoi ne pas lancer une série, un podcast ? Partager des clés accessibles à tous, pour mieux vivre "le nouveau normal" ou "le monde d'après" cette crise… La graine est plantée, je la laisse germer.
"The Morning Show", de Jay Carson, avec Jennifer Aniston, Reese Witherspoon, Steve Carrell… Saisons 1 et 2 disponibles en streaming sur Apple TV.