Samedi, 10h30, le parking du Parc des expositions du Kram est bourré de voitures. Les halls sont pleins de visiteurs. Plus de 115 artisans de différentes régions du pays exposent leurs produits artisanaux. Du tissage au cuivre, de la broderie à l’habit traditionnel passant par la tapisserie… un grand choix est offert aux clients. Plusieurs artisans sont assis devant leurs stands. Les opérations de vente ne sont pas nombreuses. Les commerçants bavardent entre eux, écoutent la radio, boivent un café, répondent aux questions des visiteurs qui s’arrêtent pour examiner les articles mais sans acheter. Malgré tout, ces artisans espèrent toujours réaliser une belle opération de vente. En s’approchant des stands, on découvre des étalages bourrés d’articles de différentes couleurs. Certains artisans n’ont pas perdu l’espoir de réaliser un bon chiffre d’affaires. Ils continuent d’accueillir les visiteurs avec un grand sourire. Ils expliquent aux clients la valeur typique de leurs articles et l’originalité de chaque pièce exposée.
Zine Taamali, la soixantaine, ancien cadre de l’Office national de l’artisanat ,spécialiste dans le domaine du tapis et tissage originaire de Béja, nous a parlé de son métier avec un ton furieux et navré. Il nous a montré avec fierté ses articles: tapis halfa, margoum, klim, sans oublier d’évoquer la question de la rareté de la main-d’œuvre dans le secteur de l’artisanat. «Rien n’est plus comme avant dans cette filière. Tout a été bousculé», murmure-t-il, amer et il poursuit : «Depuis une dizaine d’années, le secteur souffre de plusieurs problématiques notamment de main-d’œuvre spécialisée, matières premières, commercialisation… Personnellement, je pense sérieusement à abandonner ce métier de tissage et changer de carrière pour faire vivre ma famille.
A quelques mètres du stand de Zine Taamali, nous rencontrons Noureddine Benhmida, artisan de tapis de Jerba Houmt Souk. Il exerce ce métier depuis 50 ans. Il en parle avec une grande fierté. C’est auprès de son père et de son grand-père qu’il a appris à mettre les nœuds et à broder. Aujourd’hui, il continue à produire de beaux articles en utilisant les techniques traditionnelles de tissage. Des méthodes qui résistent malgré les nouvelles tendances et l’industrialisation du tissage». A l’île de Jerba, l’artisanat est une activité ancestrale transmise de père en fils. Nous avons une culture originale et un savoir-faire propre à ces activités. Cette culture est très riche et prometteuse. Mais, malheureusement aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus apprendre ce métier,synonyme de patience et de rigueur. De nos jours, tout a changé, garçons et filles continuent leurs études universitaires. Le secteur souffre d’une main-d’œuvre bien formée», explique Noureddine.
Notre interlocuteur et en dépit des changements continue à défendre son métier et se battre pour la continuité de ce secteur et spécialement les tapis amazighs. Ces tapis qui nécessitent beaucoup de temps et un grand savoir-faire pour être confectionnés coûtent très cher. Le prix d’un tapis d’une dimension moyenne est de 1.500 dt.
De son côté, Warda Saidi artisane de Tajerouine, 32 ans de carrière, parle sur un ton maussade de la concurrence entre petits et grands artisans. «C’est un vrai problème pour moi. Je vends le mètre à 60d alors que les artisans de renommée commercialisent le mètre carré confectionné entre 250 et 300 dinars. De plus, comme petite artisane et femme rurale, je rencontre de grandes difficultés pour l’acquisition des matières premières qui deviennent rares et chères. Je m’approvisionne en laine de Ksar Hlal», confie la dame.
L’artisane parle de la nécessité de contrôler le secteur et de surveiller de près les intermédiaires, les circuits de distribution de matières premières et de commercialiser des produits finis. Pour elle, il faut sanctionner les intrus qui peuvent nuire au métier. «L’avenir semble incertain et les problèmes ont de graves conséquences sur le plan social. Nous n’avons plus de quoi vivre, ni de quoi payer nos factures. Cette situation traîne depuis la révolution sans aucune amélioration. On entend souvent dans les médias qu’on a pris des décisions pour résoudre les problèmes du secteur de l’artisan, mais rien n’a changé. De mal en pire, les ventes sont en chute libre et les articles issus de la contre-façon inondent les marchés et les foires», conclut Mme Warda.
Elevage et pelleterie :
le lapin du Sahel
Partageant son inquiétude, Sassi Bechir est un créateur d’articles divers en peau de lapin, de mouton et de chèvre. Un agriculteur d’origine du Sahel qui a commencé ce travail dans les années 80 avec l’élevage du lapin. Son idée était de donner une valeur à la peau du lapin. Dans les années 90, il a adopté une nouvelle technique pour offrir une seconde vie à la peau de lapin, puis celles de la chèvre et de la vache. Actuellement, il produit et commercialise des sacs à main,des peluches, des articles en cuir et en fourrure. La matière première est la peau des animaux de la ferme. Les prix de ces produits varient entre 20d et 900d. Malgré que le secteur est prometteur et innovant, les artisans ont des problèmes de financement». Malheureusement, avec la chute du dinar, les prix de produits de traitement de la peau animale qui viennent essentiellement de l’étranger ne cessent d’augmenter. Il faut penser sérieusement à produire ces substances en Tunisie pour réduire les coûts de production», souligne Béchir.
Fatma Samet ou Fattouma comme ses proches l’appellent est la gérante et la fondatrice de la société Kerkenatiss, spécialisée en habillement traditionnel et tissus artisanaux.
L’artisane fabrique ces articles avec des filaments naturels. Elle utilise les techniques traditionnelles de sa région natale.
Dans la confection de chaque pièce, la dame donne de son âme. Elle s’intéresse aux petits détails. Elle cherche, toujours, la perfection ce qui explique les prix de ses habits exposés. Le mètre de tissu est vendu à 80d.
A travers cette broderie, Fattouma a des raisons d’ordre surtout culturel et sociologique. Elle s’investit dans les valeurs culturelles de Kerkennah. Son objectif est de mettre en valeur le savoir-faire artisanal de l’archipel. Elle a mis en exergue cet héritage artisanal qui peut être à l’origine d’un essor économique d’une île qui souffre de plusieurs problèmes. «C’est ma propre bataille comme femme kerkenienne pour la promotion de mon île», a-t-elle confié.