C’est un raz-de-marée de plumes sur les comptes Instagram des modeuses, les tapis rouges, et même la grande distribution. La tendance des plumes impose de plus en plus sa poétique légéreté. Mais elle a un prix parfois cruel, que paient trop d’animaux.
De nombreuses célébrités toutes de plumes vêtues
Cette tendance mode était particulièrement frappante sur le tapis rouge de la 10e édition du LACMA Art+Film à Los Angeles le 6 novembre 2021. Cet événement du cinéma, sponsorisé par Gucci ce soir-là, a vu de nombreuses célébrités arborer des vêtements à plumes imaginés par la maison italienne.
La championne de tennis, Serena Williams, portait par exemple une longue robe noire et des gants recouverts de plumes.
L’actrice britannique Jodie Turner-Smith (The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, Queen and Slim de Melina Matsoukas) a plutôt enfilé une longue robe fourreau rose, avec des manches aux plumes dans une teinte fuchsia encore plus vive.
La mannequin et actrice britannique Suki Waterhouse (Divergente 2 : L’Insurrection, Orgueil et Préjugés et Zombies, Pokémon : Détective Pikachu) a opté pour une robe beige et argentée, avec les bras couverts de plumes fauves.
Plusieurs hommes arboraient quant à eux des costumes aux manches bordées de plumes : le rappeur Lil Nas X un modèle jaune aux détails beiges, Jared Leto un blanc aux manches roses, et l’acteur australien Kodi Smit-McPhee (X-Men: Apocalypse, Deadpool 2, X-Men: Dark Phoenix, Le Pouvoir du chien de Jane Campion, et bientôt Elvis de Baz Luhrmann) un vert à pois orange aux plumes kaki.
Cas particulier : Billie Eilish portait une robe noire aux manches ressemblant à des plumes. Sauf que la chanteuse étant officiellement végane, il s’agissait peut-être d’imitation — l’artiste a en effet l’habitude de faire plier les marques à ses exigences politiques.
D’où viennent les plumes qui bordent les vêtements ?
Hormis ce tsunami sur le tapis rouge, vous avez peut-être remarqué également quelques pièces bordées de plumes sur le dos des modeuses et dans les rayons de marques de grande distribution. Les géants de la mode nous volent-ils dans les plumes d’un point de vue éthique avec cette tendance ?
D’un côté, les maisons de luxe ont l’habitude d’être interrogées sur leurs pratiques, leurs fournisseurs et leurs savoir-faire. Elles assurent donc une fiable traçabilité de leur matières premières, dont les plumes. Vous pouvez facilement leur poser la question de leur provenance.
C’est notamment ce que me racontait dans une récente interview le grand artisan d’art Maxime Leroy, qui a l’habitude de travailler avec des maisons de luxe :
« Pour les plumes plus rares, les plumassiers créent des partenariats avec des éleveurs d’oiseaux d’ornementation qui doivent assurer une traçabilité très stricte et normée. Il s’agit de plumes qui sont tombées naturellement lors de la mue de l’oiseau. »
Même les marques à petits prix utilisent des plumes naturelles
De l’autre côté, les marques de vêtements grand public se fournissent quand même en plumes naturelles, car celles synthétiques, utilisées plutôt en décoration d’intérieur, n’assurent pas du tout le même rendu. C’est ce qu’explique aussi Maxime Leroy, aujourd’hui à la tête de Maison Février (l’atelier de plumasserie depuis 1929 qui s’occupe notamment des parures du Moulin Rouge et de commandes pour la haute couture) :
« Si cet artisanat se raréfie, ce n’est pas à cause des plumes artificielles, finalement assez rares — sauf en décoration où l’on trouve effectivement ces fils de laiton avec du tissu de part et d’autre.
Car techniquement, une plume naturelle, c’est un gros poil très raide, avec des petits poils, et quand on regarde au microscope, on voit d’autres micro-poils en forme d’anneaux ou de crochets comme du velcro : même aujourd’hui, on est incapable de reproduire cela de manière artificielle. C’est pour ça que même les marques de prêt-à-porter à bas prix utilisent des plumes naturelles. »
Quand on achète des vêtements décorés de plumes d’oie, de poules ou de coq, il s’agit généralement de plumes issues de l’élevage alimentaire, confirme le plumassier Maxime Leroy :
« La majorité des plumes viennent d’élevage, pour les plus communes comme l’oie.
Aujourd’hui, la plupart des oiseaux sont tués entre trois et quatre mois après leur naissance pour la consommation alimentaire. Or, il faut entre six mois et une an pour qu’ils atteignent leur maturité sexuelle et donc développent leur plus belles plumes de parure. »
Dans le cas des marques à petit prix, vous pouvez toujours tenter de leur poser la question : elles seraient bien incapables de vous prouver dans quelles conditions ces plumes ont été obtenues. Ont-elles été simplement ramassées au sol ou retirées douloureusement de la peau d’oiseaux encore vivants comme on vous arracherait les cheveux ?
Que vaut la tendance plumes d’un point de vue éthique et cruauté animale ?
Cette difficile traçabilité constitue l’un des sujets d’inquiétudes de la Peta, qui indique ainsi sur son site :
« Avant d’orner les robes et les accessoires, les plumes appartiennent à des animaux vivants et sensibles. On arrache ces plumes de leurs corps, qu’on laisse ensanglantés, abîmés et détruits.
Puisque les plumes provenant des poules, des dindes et d’autres animaux tués pour l’industrie de la viande sont abondantes et bon marché, elles sont souvent teintes ou transformées pour être vendues dans le commerce. »
Les vêtements et la literie en duvet naturel, beaucoup plus cruels envers les animaux ?
Le doute est donc plus que permis concernant les plumes qui bordent les vêtements à petit prix. Mais la cruauté apparaît beaucoup plus évidente concernant les couettes, oreillers, et doudounes au « duvet » naturel, d’après l’association de défense des droits des animaux. Attention, la description est graphique ; passez sous la citation si vous ne souhaitez pas la lire.
« Le duvet est une couche douce de plumes plus proches de la peau des oiseaux, situées principalement sur leur poitrine. Ces plumes sont très convoitées par les fabricants de vêtements et de couette en duvet parce que ces plumes-là n’ont pas de bout piquant.
Arracher aux oies et aux canards leurs plumes leur cause stress et douleur. Les oiseaux qui se débattent sont cloués au sol pour rester en place et se font plumer avec tant de force que leur peau se déchire souvent, laissant des blessures ouvertes et ensanglantées. Les travailleurs pressés, qu’on appelle aussi les “déchireurs”, recousent les entailles avec du fil et une aiguille sans aucun anesthésiant. Certains animaux terrorisés meurent de ce supplice. »
En d’autres termes, les vêtements bordés de plumes devraient susciter beaucoup moins d’inquiétudes que les manteaux fourrées, oreillers et couettes en duvet naturel. Si vous convoitiez de vous offrir une grosse doudoune ou un oreille bien moelleux, vous pouvez tout à fait poser la questions aux marques proposant des pièces en duvet naturel pour savoir s’il est obtenu de façon cruelty free ou non.
En ce sens, certaines certifications peuvent être des indicateurs éclairants, comme le Responsible Down Standard (RDS), co-fondé en 2014 par l’ONG Textile Exchange ou le Global Traceable Down Standard (Global TDS) co-fondé en 2015 par l’organisme de certification NSF International). De quoi éviter de vous faire plumer.
À lire aussi :Les doudounes sans plumes de Save The Duck
Crédit photo de Une : Instagram de Gucci et Lena Situations.