Nathan, 9 ans, a reçu plus de 1000 points de suture à ce jour. Sa peau, hyper fragile, est sujette aux déchirures. Le jeune garçon est atteint du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie rare. Mais il est loin d’être le seul.
Publié le 1eraoût 2021Alice Girard-Bossé La PresseDans la cour intérieure de l’hôpital Sainte-Justine, Nathan joue avec son chiot Mira en compagnie de sa grande sœur Chloé et de son petit frère Gabriel. Outre quelques cicatrices sur son front, rien ne pourrait laisser imaginer que le jeune garçon de 9 ans a la peau aussi fragile que du papier de soie.
« Quand Nathan est né, on l’appelait le bébé Jell-O. On aurait dit qu’il n’avait pas de tonus, il pliait, on trouvait ça un peu drôle », raconte sa mère, Julie Desroches. Quand le bambin a commencé à se déplacer par lui-même et qu’il se cognait, il développait immédiatement des ecchymoses. « Quand les bleus ont commencé à fendre, on s’est posé beaucoup de questions », se remémore-t-elle.
La famille fait évaluer Nathan en hématologie. Rien d’anormal n’est détecté. À 18 mois, un ami de la famille, médecin, leur recommande alors d’aller passer le test pour le syndrome d’Ehlers-Danlos. Le test est positif. Il est bien atteint de cette maladie génétique.
Le syndrome d’Ehlers-Danlos est une maladie rare qui touche la production de collagène. Cette protéine est essentielle pour la cicatrisation des plaies, pour l’élasticité de la peau et pour maintenir les tissus ensemble. Environ 1 personne sur 5000 est atteinte de la maladie.
Sa peau, c’est comme un papier de soie, dès qu’il l’accroche, elle se déchire. Normalement, quand on se coupe, ça fait une belle ligne droite, mais Nathan, sa peau se déchire n’importe comment et ça fait des plaies très larges.
Julie Desroches, mère de Nathan
Après le diagnostic, aucun soutien n’a été offert à la famille. Les parents ont été laissés à eux-mêmes. « Avec les maladies rares, c’est dur d’avoir de l’aide. Les parents doivent chercher beaucoup. Il n’y a pas de suivi. Tu reçois un diagnostic et tu ne sais plus quoi faire après », confie Mme Desroches.
Après de nombreuses recherches, la famille contacte l’Hôpital juif de réadaptation, à Laval, pour que Nathan y soit suivi. « Il était jeune et il était petit, alors on s’est fait refuser, parce qu’il n’entrait pas dans les critères », se remémore sa mère.
Nathan a reçu son diagnostic à 18 mois, ce qui est une exception. « C’est très jeune. Il y en a qui le découvrent dans la trentaine », dit-elle. Le jeune garçon a donc été transféré à l’hôpital Marie-Enfant, puis au CHU Sainte-Justine.
Le Dr Daniel Borsuk, chef de la chirurgie plastique au CHU Sainte-Justine et connu pour avoir effectué la première greffe de visage au Canada, a pris Nathan sous son aile. Grâce à son équipe, il a développé une technique spéciale pour réparer les blessures du garçon.
Chez les enfants, le fil utilisé pour faire les points de suture est fondant au contact de la peau et disparaît en une à deux semaines. Le problème ? Nathan a une durée de cicatrisation beaucoup plus longue allant de six à huit semaines.
« En une à deux semaines, Nathan n’est pas guéri. Alors si tu mets des points fondants, toute la plaie va rouvrir. Même si la plaie est minime, il faut mettre des points permanents », explique le Dr Borsuk. Pour permettre une meilleure guérison, le plasticien referme sa peau en plusieurs niveaux.
Nathan a reçu, jusqu’à présent, plus de 1000 points de suture. Le jeune garçon est devenu un expert pour se les faire poser. Pendant les interventions, il chante des chansons, il joue à des jeux avec sa famille et il discute avec les médecins.
Le plasticien se souviendra toujours de sa première rencontre avec son jeune patient.
Il n’a pas bougé et il m’a regardé faire les points. Il n’avait même pas 4 ans et il était déjà habitué d’avoir des points de suture. Normalement, les enfants crient et pleurent.
Le Dr Daniel Borsuk, chef de la chirurgie plastique au CHU Sainte-Justine
Dans les premières années de sa vie, Nathan se retrouvait souvent à l’hôpital. « Il se blessait toutes les deux semaines », dit sa mère. Afin de limiter les blessures, sa famille a dû réorganiser la maison en installant des tapis de mousse dans plusieurs pièces.
À 9 ans, Nathan est maintenant plus conscient des risques de blessures et il porte des vêtements de protection en tout temps. Ce sont des vêtements coussinés faits sur mesure, que la famille renouvelle chaque année.
« Pour quelqu’un qui le voit, il a juste l’air de porter un chandail en dessous de son t-shirt. Il vit très bien avec ça, car il est très conscient que ses protections, c’est un peu garant de son plaisir, de son bonheur et de sa vie », affirme Mme Desroches.
Les assurances ne remboursent toutefois pas ces vêtements très coûteux. « Comme c’est un vêtement de prévention, les assurances ne les couvrent pas. Chaque année, on cherche des subventions », dit-elle.
La maladie de Nathan touche la production de collagène dans tous les tissus conjonctifs de son corps. Outre la fragilité de sa peau, son syndrome touche également ses tendons, ses ligaments et ses organes. Tout ce qui est composé de tissus conjonctifs peut se dégrader.
« Nathan est suivi en cardiologie, parce qu’il a un souffle au cœur, en orthopédie parce qu’il a une scoliose, en orthophonie à cause de l’hyperlaxité au niveau de sa mâchoire, en ergothérapie parce que ses doigts se plient à l’envers quand il prend des objets et en ophtalmologie parce que ses yeux peuvent se dégrader », énumère sa mère. C’est sans compter ses suivis multiples en génétique, en dermatologie et en plastie.
Tous ces spécialistes rencontrent le jeune garçon tous les six mois ou chaque année. « Si on regarde dans son dossier, il a eu des centaines et des centaines de rendez-vous à l’hôpital », dit le Dr Borsuk.
Le syndrome n’empêche pas Nathan d’avoir une vie normale. Il est dans une école ordinaire et n’a pas de retard scolaire. Une préposée l’accompagne 25 heures par semaine. « Elle veille sur lui lors des déplacements, elle fait les adaptations lors des cours d’éducation physique et elle est formée en premiers soins », indique la mère.
En dehors des classes, ses parents, deux professeurs d’éducation physique, l’encouragent à bouger et à s’épanouir comme les autres enfants. « Il est excellent en sports », dit sa mère. Il fait du patin, mais ne joue pas au hockey pour éviter les contacts. Il a également été en ski pour la première fois à l’hiver 2020. « J’aime beaucoup le golf. J’ai joué deux fois cette année », lance Nathan avec un sourire.
« C’est un enfant, alors il joue comme un enfant, renchérit le Dr Borsuk. Il a des cicatrices au visage et il s’en fout, il se trouve beau. Il a une joie de vivre incroyable », conclut-il.
Une maladie orpheline sous-estimée
Le Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO) lance un cri du cœur pour que le syndrome d’Ehlers-Danlos soit davantage reconnu auprès des établissements de santé. Depuis quelques années, l’organisme croule sous le nombre grandissant de demandes liées à la maladie.
« C’est un trouble très difficile à diagnostiquer », soutient Gail Ouellette, présidente et directrice scientifique du Regroupement québécois des maladies orphelines.
Le syndrome d’Ehlers-Danlos, qui se classe en 14 sous-types, se caractérise principalement par une élasticité de la peau, une fragilité des tissus et une hypermobilité articulaire. « Toutes les dernières recherches et observations montrent que les patients ont beaucoup plus que ça », soutient Mme Ouellette.
Les symptômes varient grandement d’un patient à l’autre et peu de médecins savent reconnaître la maladie, souligne-t-elle. Certains patients auront des douleurs chroniques et de nombreux désordres de différents organes ou systèmes, notamment gastro-intestinal, gynécologique, vasculaire, neurologique ou urologique.
Quand une personne arrive et énumère tous les symptômes, les médecins ne savent pas ce qu’elle a.
Gail Ouellette, présidente et directrice scientifique du Regroupement québécois des maladies orphelines
Lorsqu’on les envoie faire des tests, tout ressort négatif. La seule façon de se faire diagnostiquer la maladie est d’effectuer un test génétique. Il peut donc s’écouler des dizaines d’années avant que les patients puissent recevoir leur diagnostic.
Au cours des dernières années, des centaines de personnes craignant d’être atteintes de la maladie ont contacté le Regroupement québécois des maladies orphelines.
« Normalement, on reçoit moins de 10 demandes pour chaque maladie rare, mais pour le syndrome d’Ehlers-Danlos, on en a reçu 674 en 7 ans. C’est plus que n’importe quelle autre maladie », affirme Mme Ouellette.
Le nombre de demandes est également en croissance depuis les dernières années. Selon les données obtenues par La Presse, le RQMO a reçu 129 demandes en 2020. La majorité des personnes était âgée de 26 à 64 ans et souhaitait entamer des démarches pour obtenir un diagnostic.
Cette hausse s’explique par une augmentation de la sensibilisation au sujet de cette maladie, estime Mme Ouellette. « On sous-estimait la prévalence de ce syndrome, car il était, et est encore, sous-diagnostiqué. Avec la sensibilisation, de plus en plus de gens soupçonnent qu’ils ont ce syndrome, et c’est confirmé dans la plupart des cas. »
Devant cette hausse des demandes, le Regroupement implore le gouvernement d’évaluer les obstacles rencontrés par les personnes atteintes du syndrome d’Ehlers-Danlos dans le réseau de la santé québécois.
Le Regroupement souhaite également la mise en place de solutions en matière de diagnostic, de prise en charge, de prévention, de recherche et de soutien psychosocial, notamment par l’implantation d’une clinique spécialisée multidisciplinaire vouée à la maladie.