HONNEURS | Tapis rouge, communication verbale et non verbale décortiquées, photo pour la postérité, les sommets d’Etat et voyages officiels sont une clef de la diplomatie. Quel est le B.a.-ba du protocole pour faire de ces rencontres une réussite et se prémunir de l’incident diplomatique ? Passage en revue avec Jean-Paul Pancracio, professeur émérite et auteur du Dictionnaire de la Diplomatie (Levad Editions), quelques jours après la (très) suivie cérémonie d’investiture du nouvel homme fort des Etats-Unis, Joe Biden.
Scrutés, commentés, largement relayés… les rencontres officielles et autres rendez-vous au sommet sont la Rolls-Royce de l’événementiel. Cet exercice hautement sensible à l’orchestration millimétrée peut faire et défaire un traité, ternir une image ou réhabiliter une personnalité en disgrâce… Derrière le faste de ces cérémonies, le délicat équilibre entre diplomatie, communication, enjeux politiques, fins commerciales. A la manière d’une pièce de théâtre maintes fois jouée, le protocole a ses passages obligés, ses rites inamovibles, ses coulisses. Il constitue pour les États un corps d’usages essentiels, fait de règles universelles aussi bien que locales, qui les aide à réguler de façon aussi harmonieuse que possible les rencontres, les visites, les commémorations et célébrations officielles ainsi que les repas et réceptions qui y sont associés. Sa finalité est de rendre la relation plus simple en la codifiant afin d’éviter la cacophonie et, surtout, d’éloigner le spectre de l’incident diplomatique.
De nos jours, il est aussi un facteur de sécurité pour les éminentes personnalités mobilisées. Au-delà des changements politiques, le protocole reflète la permanence et l’unité de l’État. Vu sa sensibilité, cette mission a toujours été rattachée au Quai d’Orsay. Quelles règles de bienséance ? Comment éviter les faux-pas, sueurs froides, imprévus… ?
« Le protocole a existé de tous temps. On a découvert la trace de dispositifs protocolaires extrêmement sophistiqués dans les empires et royaumes de l’Antiquité, que ce soit à Babylone, en Perse, en Chine, des siècles avant notre ère. », expose Jean-Paul Pancracio, professeur émérite et auteur du ‘Dictionnaire de la Diplomatie’ (Editions Levad). « Le protocole français caractérise quatre types de visites : les visites d’État, les visites officielles, les visites de travail et les visites privées. De cette classification découleront l’organisation et le type d’honneurs qui seront rendus à l’hôte étranger. La visite d’État est la plus importante dans la hiérarchie protocolaire. Elle se veut le symbole de l’amitié entre les deux chefs d’État et leurs pays respectifs. », distingue ce spécialiste du droit international et des institutions diplomatiques. En amont de toute procession, la machine protocolaire permet aux autorités de se concentrer sur la substance de la rencontre.
Elle évite ainsi d’avoir à négocier pour chaque étape de ce ballet diplomatique (le nombre et la qualité des personnes à inviter, l’ordonnancement des cérémonies, la chronologie des discours, le dress code, le plan de table, le menu des repas officiels, les intolérances alimentaires…). Les derniers arbitrages géo-politico-économiques sont également abordés afin de prévenir tout sourire crispé sur la traditionnelle photo de famille, un cliché pour la postérité dont raffole les éditorialistes et les twittos.
Savoir dire « non »
Dès lors, tout est prévu, répété, chaque minute du déplacement est calibrée : l’hôtel où dormira le président, notamment, est identifié, une chambre est aussi réservée dans le meilleur hôpital et les meilleurs médecins-spécialistes sont contactés, au cas où. Car le diable est dans les détails ! Aucun instant ne résulte d’un concours de circonstances. A priori.
Car un simple raté peut entraîner des conséquences assez lourdes. Comme, par exemple, ne pas avoir choisi un micro sur pied, à tige adaptable, et un pupitre assez bas, transparent, permettant de voir le chef d’État lors de son allocution. Parmi les ‘cas d’école’, le manque d’anticipation lors d’un déplacement de la reine Elizabeth II aux Etats-Unis durant la présidence de Georges Bush père. « La souveraine eut à répondre à l’allocation de bienvenue du président prononcée en son honneur dans les jardins de la Maison Blanche, devant un parterre de personnalités et de journalistes. Mais le pupitre, opaque, en bois, était à la taille du président (1,90 m), pas du tout à celle de la reine, beaucoup plus petite. Si bien que pendant tout son discours, on ne vit d’elle que son chapeau. Le lendemain, la presse américaine évoqua non sans moquerie, ‘The Talking Hat’, le fameux chapeau qui parle dans Harry Potter… », se remémore Jean-Paul Pancracio. Conséquence, dès le lendemain, le chef du protocole de la Maison Blanche fut limogé. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, fit également l’expérience d’une telle erreur d’appréciation lors d’un voyage officiel au Mexique. Avec son mètre 91, il fut contraint de prononcer son discours pratiquement plié en deux pour atteindre un micro à tige figé placé beaucoup trop bas. Une séquence douloureuse.
Les intrus peuvent aussi faire partie des impromptus. Il faut alors savoir les évincer discrètement sans qu’il y ait de scandale. Mais leur éviction est impérative. Elle demande parfois du courage à l’agent du protocole quand il s’agit d’une personnalité en vue qui s’est invitée d’elle-même ou qui avait fait savoir qu’elle ne viendrait pas. Par exemple, pour un déjeuner ou un dîner à l’Élysée, une fois ratifié par le président de la République, un plan de table ne doit plus être modifié. Même parmi les invités, vous aurez toujours quelqu’un qui s’estimera mécontent de son placement ou qui tentera d’obtenir au dernier moment une place plus proche des hautes personnalités. « Le bon agent du protocole est celui qui sait dire « non » mais qui sait aussi se montrer arrangeant quand cela ne porte pas atteinte aux préséances ou au bon déroulement d’un événement officiel. », souligne ce témoin privilégié de l’Histoire récente.
Également enseignant à la prestigieuse École Nationale d’Administration (ENA), Jean-Paul Pancracio illustre son propos par un épisode cocasse ayant viré à l’incident diplomatique. Nous sommes en janvier 1996, à la cérémonie d’obsèques du président François Mitterrand en la cathédrale Notre-Dame de Paris. « Il était spécifié sur les cartons adressés au corps diplomatique que les ambassadeurs en poste à Paris devaient venir non accompagnés. Lorsque l’ambassadeur de Malte se présenta en présence de son épouse, et après quelques palabres, il parvint à convaincre les agents du protocole de les laisser entrer. Mais ils ne purent être placés qu’en faisant se déplacer l’ambassadeur d’Allemagne qui était à la place correspondant à son rang de préséance. Ce dernier se leva aussitôt et partit ostensiblement. Furieux. ».
Ne pas vomir sur le Premier ministre
Qui dit protocole, dit aussi sens de l’Histoire. Il convient de fait de passer en revue la chronologie des relations bilatérales, d’interroger la mémoire, de se familiariser avec les mœurs et subtilités culturelles, mais aussi de se confronter aux contentieux que l’on croit soldés. Des litiges susceptibles d’être réactivés en une étincelle…« En 1982, lors d’un voyage officiel au Japon, Mme Barbara Bush, alors épouse du vice-président des États-Unis George Bush (sous la présidence de Ronald Reagan, NDLR), était assise pour dîner aux côtés de l’empereur Hiro-Hito, dans le nouveau palais impérial de Tokyo. A Mme Bush qui s’étonnait de cette appellation et lui demandait s’il avait déménagé pour cause de vétusté de son ancien palais, l’empereur répondit après quelques secondes d’hésitation : ‘Non, Madame, je suis parti parce que, si mes souvenirs sont exacts, vous l’avez bombardé en 1945’ ». Vous avez dit maladresse ?
Et Jean-Paul Pancracio de glisser de la gaffe au burlesque avec cette autre anecdote, confirmant définitivement le manque de feeling des Bush avec le Pays du Soleil levant. « Lors d’une visite ultérieure en qualité, cette-fois, de président des États-Unis, un dîner officiel fut donné en son honneur par le Premier ministre, Kiichi Mirazawa, en présence de 130 invités. Le président, fatigué, l’air livide, vomit son repas sur le Premier ministre. ».
Aux antipodes de ces mésaventures made in USA, la France rayonne souvent grâce l’érudition de ses présidents successifs. Lors de ses visites en Chine ou au Japon, le président Chirac étonnait toujours ses hôtes par sa connaissance pointue de l’art et de la culture de ces pays dont il était passionné depuis sa jeunesse. Il était capable d’expliquer la signification et le mode de conception d’objets d’art, d’en expliquer la date et la provenance avec une telle profusion de détails qu’il bluffait même les conservateurs de musées les plus avertis. Pour les autorités qui l’accueillaient, il n’y avait pas de meilleure marque de respect et d’honneur venant de la part d’un chef d’État occidental.
Quid de la « French Touch » ?
En matière de Protocole, la French Touch se manifeste à son niveau le plus fort lors de l’échange des cadeaux qui est une règle pour toutes les visites d’État ou visites officielles. Ceux offerts par la France à ses hôtes de marque étrangers ont certes une fonction de courtoisie diplomatique mais se veulent en même temps une démonstration du savoir-faire et du goût français, avec à plus long terme, également une fonction commerciale. Jean-Paul Pancracio nous en édicte les règles : « Le principe de base suivi par les services du Protocole est de choisir des cadeaux de qualité mais non dispendieux quant à leur valeur patrimoniale. Leur prix s’établira à quelques centaines d’euros voire parfois quelques milliers d’euros, sans plus : foulards Hermès, montres et stylos Dupont, Mont Blanc, Bernard-Richards, parfums, petits objets d’orfèvrerie, horloges de bureau, gravures anciennes, produits Baccarat, objets Christofle, maroquinerie… La liste en est soigneusement tenue à jour afin de ne pas faire de doublons lors des rencontres suivantes. ».
Un autre aspect de cette French Touch est le prêt-à-porter et la haute couture. Les plus grandes Maisons n’hésitent pas à prêter robes, tailleurs, manteaux, chaussures à l’épouse du président de la République pour ses déplacements à l’étranger où elle assume elle aussi, aux côtés du président, et à sa façon, une fonction de représentation de la France qui fait partie de ce que l’on appelle ses ‘obligations d’étiquette’. « Les tenues des épouses de nos présidents sont amplement commentées, généralement sur un ton admiratif, par les médias étrangers. », confie celui qui est aussi colonel de la Réserve citoyenne de l’Armée de l’Air.
Pompeux et mondain le protocole ? Pas si sûr !A bien y regarder, la bienséance régit bien des aspects de notre vie quotidienne : dans les formules de salutations, dans les marques de considération et de respect que nous échangeons ou encore dans la manière d’accéder à certains lieux, personnalités. Il y a ainsi un protocole au sein des établissements académiques, lors de cérémonies privées et publiques (festives, sportives, religieuses…), lors d’un entretien d’embauche. Finalement, le monde ne saurait vivre sans protocole.
Pour aller plus loin :
Protocoles et sommets d’Etat, les 10 commandements :
-Tu devras répondre à l’invitation par la positive ou la négative, mais tu te dois de répondre
-Tu respecteras le code vestimentaire
-Tu te montreras humble et discret en arborant qu’une seule décoration, la plus élevée
-Tu t’abstiendras de tout élan tactile à plus forte raison s’il s’agit d’une Dame
-Tu devras attendre que la puissance invitante inaugure le repas pour commencer à manger
-Tu éviteras de rire et de parler fort à table
-Tu n’aborderas pas les sujets délicats avec tes interlocuteurs si tu les connais insuffisamment
-Tu pourras faire de l’humour mais à bon escient et pas outre mesure
-Tu dois rester attentif à ta communication non verbale
-Tu ne toucheras jamais au sac à main de la reine Elisabeth II sous peine d’un plaquage au sol par sa garde rapprochée et ce quel que soit ton rang.
Le saviez-vous ?
Quand il s’agit de la reine Élisabeth II, c’est le sommet du cérémonial qui se met en place. La souveraine a droit aux plus grands honneurs. Il faut dire que la famille royale britannique est très francophile, que la reine parle un excellent français, qu’elle est une mémoire vivante de la vie diplomatique de ces 70 dernières années, qu’elle a fait à ce jour cinq visites d’État dans l’Hexagone et que beaucoup de soldats britanniques ont combattu au côté de la France sur le territoire national durant les deux guerres mondiales Cela fait beaucoup de raisons de la traiter avec des égards tout à fait exceptionnels. Le président de la République est presque tout le temps là en personne pour l’accompagner. Le plus dur de la visite est peut-être l’organisation du dîner d’État à l’Élysée où le nombre d’invités ne saurait dépasser 200, alors que certains n’hésitent pas à approcher la cellule du protocole pour solliciter une invitation. Que de refus polis à opposer !
L’Observatoire de la Diplomatie
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