Les semi-conducteurs saturent l’actualité depuis maintenant deux ans. La pandémie de covid et les tensions d’approvisionnement qu’elle a entraînées ont mis en lumière notre dépendance à ces petites puces (chips en anglais). Les États européens et occidentaux ont pris conscience que leurs industries, automobile, haute technologie et numérique, étaient ultra-dépendantes de seulement deux ou trois pays.
En effet, aujourd’hui les plus gros producteurs de puces sont situés en Asie. Taïwan domine largement avec 63 % des parts du marché, notamment au travers du géant TSMC. À eux trois, Taïwan, la Corée du Sud et la Chine détiennent 87 % du marché mondial des semi-conducteurs, qui valait environ 550 milliards de dollars en 2020 et devrait presque doubler d’ici à 2030 pour atteindre 1000 milliards de dollars.
Forts de ce constat, l’UE et les États-Unis tentent d’attirer des investisseurs et des industriels de semi-conducteurs sur leurs territoires. La Chambre des représentants américaine a déposé un projet de Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors (CHIPS) en janvier dernier. La Commission européenne lui a emboîté le pas en proposant son propre Chips Act.
Le projet n’en est encore qu’à un stade peu avancé. Mais les grandes puissances économiques se mobilisent pour ne plus dépendre de la Corée du Sud ni de Taïwan et mettent des sommes importantes sur le tapis : 52 milliards de dollars sur 6 ans pour les Américains, 150 milliards sur 10 ans pour les Chinois et 43 milliards d’euros sur 8 ans côté européen – mais dont une partie a déjà été avalée par le plan de relance. Les Américains disposent déjà d’une industrie de semi-conducteurs plus développée et de leaders dans ce domaine, comme Intel. Une interrogation cependant demeure : peut-on structurer une filière industrielle avec une simple loi ?
Un texte très technocratique
Le texte de la Commission est un outil très technocratique d’orientation des financements et des subventions vers les acteurs industriels de puces qui s’installeraient en Europe. Son plan se heurte à plusieurs obstacles et d’abord à celui du quasi-monopole de l’Asie sur le marché de la production des semi-conducteurs. Cette partie du monde en est une énorme consommatrice : en 2020, les smartphones et l’informatique ont consommé pour 210 milliards de dollars de puces ! Sans surprise, les smartphones sont en grande majorité produits en Chine (plus de 50 % des smartphones dans le monde) suivie par l’Inde et le Vietnam. L’Europe est très loin, elle est surtout un gros importateur.
Pour que la situation change, il faudrait en quelque sorte créer une chaîne de valeurs européenne, de la production à la demande. Sur cet aspect, le texte manque clairement son objectif. L’Europe a certes gardé une forte industrie automobile, grosse consommatrice de puces, mais les voitures grand public n’ont besoin que de puces à faible valeur technologique. Seuls les modèles de luxe ou à la technologie très pointue, comme les Tesla, requièrent des puces plus développées. On voit mal comment l’Europe pourrait fabriquer des puces d’entrée de gamme sans pour autant être capable de rivaliser avec la Chine.
Le manque d’approche globale du texte
En second lieu, la Commission ne dit rien sur la formation. Les semi-conducteurs nécessitent une main-d’œuvre qualifiée, voire très qualifiée pour les plus petites puces. La Corée et Taïwan l’ont parfaitement compris. Leur système universitaire très performant accorde une grande place à la formation aux métiers industriels. Par ailleurs, il existe des liens très forts entre les entreprises et les universités au travers de clusters technologiques. Un aspect trop négligé dans l’UE, sauf en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède.
Certains acteurs du secteur se montrent pourtant désireux de s’installer en Europe, dans les pays – il y en a quelques uns – qui disposent du tissu industriel adéquat et d’une main-d’œuvre qualifiée, le coût élevé du travail n’étant pas un frein car un produit à haute valeur technologique est revendu cher. Mais ils pointent les lourdeurs administratives, qu’elles soient nationales ou communautaires. Pour l’installation d’une usine de fabrication de puces, les procédures d’autorisations administratives en France peuvent prendre plus de deux ans.
Très longues aussi, et chronophages pour le personnel des entreprises, sont les démarches pour obtenir des financements européens. Il y a donc un risque que les industriels ne s’installent que dans quelques pays, les plus flexibles : Tesla par exemple a choisi l’Allemagne pour sa gigafactory. La Commission semble avoir reçu le message, elle a prévu un volet de simplification administrative dans son Chips Act. Peut-être l’annonce d’Intel, 80 milliards d’investissement en Europe pour développer des infrastructures de production dans les dix prochaines années, y est-elle aussi pour quelque chose.
Pour conclure, le Chips Act apparaît comme ambitieux mais reste peu concret et accorde une part trop belle à la planification. La vision française, incarnée par le commissaire Breton, a gagné sur la vision plus libérale de la commissaire Vestager. Par ailleurs, la Commission, pour la production de semi-conducteurs de pointe, vise 20 % du marché mondial en 2030 contre 10 % aujourd’hui. Or avec les besoins qui vont doubler en 2030, il faudrait la multiplier par quatre. Possible, peut-être. Mais pour le moment, l’objectif semble difficile à atteindre.
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