Le Kremlin veut restreindre l’arrivée de citoyens des « États hostiles » sur son territoire.
Publié le 29 marsNicolas Bérubé La PresseLe Kremlin travaille à mettre en place des barrières visant à restreindre l’entrée des citoyens des « États hostiles », laissant planer la menace d’un nouveau rideau de fer dans l’est de l’Europe.
« Un décret présidentiel introduira un certain nombre de restrictions à l’entrée sur le territoire de la Russie », a déclaré Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, dans un discours diffusé par la chaîne de télévision publique Rossiya-24 lundi.
Pour Michel Fortmann, professeur honoraire au département de science politique de l’Université de Montréal et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM), le fossé entre la Russie et le monde occidental risque de se creuser davantage, un phénomène dont on ne mesure pas encore l’ampleur ni les conséquences à long terme.
« Le monde occidental considère maintenant la Russie comme un État paria », dit-il.
C’est pire que pendant la guerre froide, car même à ce moment, il y avait un dialogue dans plusieurs domaines, il y avait des négociations stratégiques, on signait des traités… Maintenant, on ne parle plus, on s’insulte.
Michel Fortmann, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal
Tant sur le plan politique que médiatique, la Russie et l’Occident vivent dans deux bulles imperméables, illustre-t-il. « Ce sont deux visions des choses qui sont complètement incompatibles. C’est une guerre froide “plus” qui s’annonce. Rien n’indique un adoucissement de la position russe en ce moment. »
Une réalité qui s’ajoute à des tensions géopolitiques entre la Chine et l’Occident, et qui pourrait être difficile à gérer pour les États-Unis, écrivait lundi dans Foreign Policy Mathew Burrows, directeur de l’initiative stratégique Scowcroft au groupe d’experts Atlantic Council.
« Une nouvelle guerre froide sur deux fronts entraînerait des dépenses militaires beaucoup plus élevées, une grande incertitude pesant sur l’économie mondiale et un détournement de l’objectif fondamental de l’administration Biden, à savoir la reconstruction des États-Unis », a-t-il écrit.
Les déclarations de Moscou font aussi réagir dans les pays limitrophes. Lundi, un haut responsable du gouvernement du Kazakhstan a fait part de son inquiétude quant aux dernières orientations du Kremlin.
Le journal allemand Die Welt a cité Roman Vassilenko, vice-ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan, qui a déclaré que son pays ne souhaitait pas se trouver du mauvais côté d’un nouveau « rideau de fer », expression qui désignait la démarcation entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest pendant la guerre froide, symbolisée notamment par le mur de Berlin, qui a divisé la capitale allemande pendant près de 35 ans.
Luca Sollaï, chargé de cours au département d’histoire de l’Université de Montréal, croit qu’un retour à une certaine forme de séparation entre la Russie et les pays limitrophes est inévitable.
Ce ne sera peut-être pas une ligne précise comme à l’époque de la guerre froide, mais il va y avoir des États qui vont devoir être neutres, ou qui vont devoir adopter la politique du Kremlin. On va voir la Russie qui va se refermer sur elle-même.
Luca Sollaï, chargé de cours au département d’histoire de l’Université de Montréal
Effet direct de l’invasion, l’OTAN a déjà annoncé son intention de renforcer sa présence militaire en envoyant des navires, des avions et des troupes supplémentaires dans l’est et le sud-est de l’Europe. « La présence militaire va être augmentée, c’est clair. Nous venons d’entrer dans une nouvelle ère. »
Le dernier journal indépendant russe suspend ses activités
Novaïa Gazeta, vu comme le dernier média indépendant de Russie, et dont le rédacteur en chef a remporté l’année dernière le prix Nobel de la paix, a annoncé lundi qu’il suspendait sa publication jusqu’à la fin de l’action militaire de Moscou en Ukraine. « C’est une décision terrible et difficile », a déclaré le rédacteur en chef Dmitry Muratov, selon l’Agence France-Presse. Le journal a dit avoir fait ce choix après avoir reçu deux avertissements de la part de l’organisation gouvernementale qui régule l’industrie des médias en Russie, et qui a le pouvoir de retirer le permis d’exploitation d’un journal ou d’une station de télévision. Novaïa Gazeta avait récemment publié des reportages non censurés sur la guerre en Ukraine et décrié « l’avalanche de propagande » dans les médias d’État russes. Depuis 2000, six des journalistes et collaborateurs de Novaïa Gazeta ont été tués en Russie dans le cadre de leur travail, dont la journaliste d’investigation Anna Politkovskaya, critique de Vladimir Poutine. « Les derniers médias indépendants établis en Russie se sont tus », a déclaré sur Twitter lundi Steve Rosenberg, rédacteur en chef pour la Russie à BBC News.