« Doum, pour le bouillon, là… »
Pour tout ce qui touche la bouffe, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours appelé Doum. C’est un fils de boucher. Il est tombé dans la bouffe quand il était tout petit.
Poulet, poisson, sauce, cuisson, sélection des légumes, où trouver une épice exotique : appelle Doum.
À une époque, il couvrait la Formule 1. Je l’appelais, j’entendais des vroum-vroum en filigrane.
« J’ai oublié le poulet sur le comptoir, après l’épicerie.
— Combien de temps ?
— J’sais pas, trois heures, trois heures et demie.
— Jette-le.
Vrouuuuum, vrouuuuuum.
— OK. T’es où ?
– Kuala Lumpur, bye. »
Vroummm, vrouuuuuum.
Doum cuisine comme d’autres font la guerre. Un jour, il a pris le contrôle d’un party d’huîtres, chez moi. Il a fait cuire les huîtres avec des fromages et de la chapelure. Après, il y avait de la garniture jusqu’au plafond, mais c’étaient les meilleures huîtres jamais ingérées par chaque invité.
Une autre fois, au Mexique, il a fait du poulet au chocolat, une spécialité locale si je me souviens bien. Il y avait du chocolat partout, jusque dans les rideaux, mais dans l’assiette, ce fut un souper triomphal.
« J’arrive jamais à saisir le steak comme du monde sur la cuisinière.
— T’as pas un BBQ ?
— Il fonctionne pas.
Vrouuuum, vrouuuum.
— OK, mets le poêlon vide à broil pendant 15 minutes dans le four.
— À broil ?
– À broil, il va être bouillant après, ’tention pour pas t’brûler.
— Et ?
— Et après, tu saisis ton steak sur le feu.
Vrouuuuum, vrouuuuum.
— T’es où ?
— À Spa-Francorchamps.
— C’est où, ça ?
– En Belgique. »
Je dis toujours que la bouffe, c’est comme la réno. Faut les outils, et faut que quelqu’un te montre les trucs de base. Après, tu construis là-dessus. Ma mère m’a initié à la cuisine, enfant, à faire des choses de base – un steak, des pâtes, du brocoli à la marguerite – quand je me gardais seul pendant qu’elle travaillait à l’hôpital sur le « 4 à minuit », le quart de soir.
Et quand j’ai rencontré Doum, il y a 30 ans, à l’université, il m’a fait passer aux prochains niveaux…
Ma mère, d’ailleurs, l’appelait son plus jeune.
Puis, lui et moi, on s’est un peu brouillés, par ma très grande faute bien sûr, parce que je pouvais être une sacrée tête de nœud des fois. Tout ça pour dire que ça a pris quelques années avant que la mayonnaise reprenne entre le fils du boucher et moi, quand j’ai finalement vu la lumière et fait un mea-culpa.
J’ai donc appelé Doum, récemment : « Pour le bouillon, là… »
Je fais un pas pire bouillon de poulet, je ne dis pas ça pour me vanter. Je suis le genre à conserver au congélateur carcasses et os de poulet, ainsi que des carottes et du céleri, pour en faire du bouillon au moment jugé opportun. J’ai même acheté une immense marmite avec passoire intégrée pour faire du bouillon plus facilement. Hop ! balance tout ce qu’il y a dans le congélo, lance du sel, pis laisse réduire…
Miam.
Mais quelque chose me disait que Doum avait sans doute quelque recette secrète pour propulser mon bouillon de poulet au niveau supérieur, peut-être même légendaire. Doum fait tout mieux que moi (dans la cuisine, en tout cas). J’ai donc appelé le fils du boucher pour voir si je ne pouvais pas pimper mon bouillon avec un de ses conseils.
« Es-tu chez vous ?
—Yes.
– J’arrive. »
Et Doum est arrivé dans ma cuisine, il avait une heure et demie à tuer avant d’aller chercher sa troisième dose. Il a d’abord aspergé mes carcasses de poulet d’épices, de sel et d’aromates avant de les balancer dans le four, avec un demi-bulbe de fenouil : « Faut faire rôtir le poulet AVANT de le faire bouillir. »
Et pendant que le poulet se faisait bronzer à 400, le fils du boucher a mis du beurre dans un poêlon avant d’y déposer les carottes, le céleri et les oignons. Et quelques gousses d’ail.
Moi, j’ai ouvert une bouteille de vin en l’admirant comme on admire un artisan dans son élément.
Puis, j’ai sorti une cuillère de bois.
« OK, je vais bra…
— Non ! Touche à rien ! Faut que ça colle ! »
On a laissé cuire les légumes, même les légumes congelés, on les a laissés coller un peu au fond du poêlon avant de les décoller et de les laisser coller encore un peu, fallait que ça brunisse…
« Pis là, on va déglacer avec de l’eau…
— Pourquoi ?
– C’est ça qui va aller chercher les sucs… »
On a fait la même chose avec la lèchefrite contenant le poulet, on a déglacé à l’eau et on a balancé le liquide dans la marmite qui bouillait, avec les légumes et le poulet…
Score des courses, après quelques heures : j’ai fait le meilleur bouillon de poulet de ma vie, grâce à Doum.
Leçon de vie d’un quasi-quinqua, à l’aube de 2022 : conservez vos carcasses de poulet, faites de la soupe avec votre propre bouillon et cultivez vos vieilles amitiés ; c’est comme des carcasses de poulet, faut pas les gaspiller.
La recette de bouillon de mon ami Dominic fugère
Donc, vendredi, je vous suggérais de conserver vos carcasses de dinde, des carottes, du céleri, du fenouil et des épices, en vue de cette chronique.
Voici la recette. Adaptez les quantités à la taille de votre marmite.
Dans votre plus grande casserole : un quart de tasse de beurre et d’huile d’olive. Ajoutez deux gros oignons, 2-3 carottes, 2-3 branches de céleri avec les feuilles si possible, 2-3 gousses d’ail.
Hachez le tout grossièrement.
Faites cuire à feu élevé, le temps que tout colore.
Laissez coller un peu, puis déglacez avec une demi-tasse d’eau. Laissez l’eau s’évaporer, puis laissez les légumes coller à nouveau dans le fond de votre casserole. Vous pouvez répéter le cycle coloration-déglaçage deux ou trois fois.
Dans une lèchefrite, aspergez os et carcasse de poulet d’huile d’olive, salez, poivrez. Ajoutez des fines herbes. Et mettez le demi-bulbe de fenouil sous le poulet. Enfournez 30-45 minutes à 400 °F, le temps que ça devienne brun chocolat par endroits.
Déglacez la lèchefrite à l’eau et déposez tout – fenouil, carcasse et os de poulet et le liquide à déglacer – dans la casserole contenant les légumes. Ajoutez l’eau.
Salez et poivrez, au goût (tous les goûts sont dans la nature).
Faites bouillir, puis après 5 minutes, baissez à feu moyen pour obtenir un petit frémissement.
Laissez mijoter trois heures, ajoutez de l’eau au besoin, ne laissez pas trop réduire.
Passez le tout à la passoire.
Ça se congèle facilement.
Ça va donner du bon bouillon pour vos soupes.