Qu’on se le dise. Depuis mardi à minuit, il est dorénavant permis de prendre un verre en se tenant debout dans un bar parisien. Oui, debout accoudé au zinc en lisant son journal ou en observant simplement le spectacle de la rue.
Mercredi matin, la nouvelle était dans tous les journaux. Elle a d’ailleurs surpris tous ceux qui n’avaient jamais su que, depuis le 3 janvier, il n’était permis de siroter un verre que le postérieur posé bien au chaud sur une chaise. Oser tâter la dive bouteille campé sur ses deux jambes pouvait vous valoir une amende de 135 euros. Ça fait cher la gorgée !
Les garçons de café en étaient pantois. Les clients tout autant. C’est dire si, en haut lieu, on veillait sur notre bien-être ! Pas besoin d’être un grand clerc, et encore moins « complotiste », pour avoir songé l’espace d’un instant que ces pinaillages n’avaient pas grand-chose à voir avec notre santé. Peut-être fallait-il même y voir une forme d’acharnement technocratique.
Les situations de crise ne font pas toujours ressortir ce qu’il y a de plus vertueux dans l’homme. Il n’est évidemment pas question de nier l’importance des mesures sanitaires qui nous ont protégés durant cette épidémie. Mais il ne faudrait pas se cacher non plus l’évidente propension des technocrates de la santé à vouloir nous materner en réglant jusqu’aux plus petits détails de nos vies.
C’est contre cette « tyrannie sanitaire » qu’en avaient la plupart des manifestants que j’ai croisés cette semaine dans les « convois de la liberté » entre Paris et Bruxelles. On m’avait annoncé de violents complotistes, j’ai découvert des gens plutôt ordinaires et pacifiques, dont un grand nombre étaient d’ailleurs vaccinés.
Comme les marxistes d’avant-hier, certains étaient évidemment convaincus d’être victimes d’un vaste complot capitaliste orchestré par Big Pharma. Mais la plupart en avaient surtout contre le passeport vaccinal. Un passeport que nombre de pays jugent aujourd’hui caduc, mais que le gouvernement français a choisi de renforcer alors même que le pic de l’épidémie était atteint et que le vaccin s’avérait de moins en moins efficace pour stopper la contamination. De là à y voir un instrument politique destiné à « emmerder » les Français, selon les mots mêmes du président, il n’y avait qu’un pas que les manifestants n’ont pas hésité à franchir.
Ce n’est pas un hasard si les « convois de la liberté » sont nés au Canada, terre d’élection de l’hygiénisme. Je connais peu de pays où le lobby médical est plus influent. Les amendes mirobolantes qui ont cours au Canada seraient difficilement imaginables en France. Ceux qui ont pu voyager durant cette pandémie n’hésitent pas à classer le Canada parmi les pays démocratiques les plus tatillons, pour ne pas dire rigoristes. Les autorités françaises ont généralement montré plus de tolérance, notamment pour les regroupements familiaux. Il ne leur viendrait pas à l’idée d’invoquer l’ancienne loi des mesures de guerre afin de simplement déplacer des poids lourds des rues d’un centre-ville.
On s’étonne de cette volonté d’en découdre avec les non-vaccinés alors que dans la plupart de nos pays, la vaccination atteint presque 90 %. Ce qui montre, soulignons-le, l’extraordinaire sens civique de nos compatriotes. On peut certes déplorer l’individualisme de certains. Mais dans quelle société, sinon une société totalitaire, serait-il réaliste d’atteindre 100 % ? Les démocraties se jugent à leur pragmatisme et à la proportionnalité des mesures qu’elles prennent. Était-il bien sage de s’acharner sur les 10 % de réfractaires (dont les motivations sont d’ailleurs diverses) en leur pourrissant la vie jusqu’à leur interdire l’accès à la SAQ ? Cela fait penser à ces petits vieux que l’on oblige avec un sadisme consommé, au nom de la sacro-sainte santé, à fumer dehors à vingt degrés au-dessous de zéro dans le stationnement de leur CHSLD. Big Mother quand tu nous tiens !
Au moment où l’épidémie décline, tout se passe comme si on sentait chez certains le goût de faire durer le plaisir. Car, l’autre grande leçon de cette épidémie, c’est qu’elle aura confirmé le retour d’une certaine forme de lutte de classe.
D’un côté, une partie de la population n’a pas trop souffert de cette épidémie, et en a parfois même profité. Grâce aux aides de l’État français, certains artistes ont fait une meilleure année que les précédentes. Combien d’employés ont été heureux de télétravailler, évitant ainsi les bouchons des grandes villes ? En témoignent l’explosion des ventes de résidences secondaires et la difficulté de certains patrons à ramener leurs employés au bercail. Nul doute que pour ces populations favorisées, le « principe de précaution » est devenu la mère de toutes les vertus.
Mais il n’en va pas de même des restaurateurs qui ont tout risqué ou des élèves qui ont accumulé d’évidents retards. On aura compris que le fonctionnaire qui télétravaille en pyjama et en pantoufles ne cultive pas le même goût du risque que l’entrepreneur qui frôle la faillite. Comment ne pas voir dans ces camionneurs indépendants qui campent avec leur famille le symbole d’une population moins encline à se réfugier à la moindre occasion sous le parapluie de l’État. C’est cette image qui a fait des « convois de la liberté » un symbole à travers le monde.
Cela ne leur donne pas nécessairement raison, mais devrait au moins nous inciter à essayer de les comprendre.