Le rideau de fer n’aura pas résisté à leur coup de foudre. Olga la Tchèque et Harold l’Américain se sont rencontrés aux antipodes, dans le village des athlètes olympiques des Jeux de Melbourne en 1956. Elle lance le disque, lui le marteau. Ils se sont bousculés en prenant leur matériel, ils ont échangé un sourire, un regard, et des excuses tant bien que mal, enjambant une première barrière, celle de la langue. Olga Fikotová et «Hal» Connolly se sont croisés, puis recroisés sur les terrains d'entraînement, encore séparés par un grillage… Tous deux sont repartis avec de l’or au cou et le cœur tendre, mais leur plus grand exploit restait à accomplir : un mariage est-ouest très médiatique en pleine Guerre froide.
PublicitéPar chance, le couple a ses anges gardiens. Le grand Emil Zátopek, héros national aux cinq médailles olympiques, et son épouse Dana, tous deux proches du président Antonín Zápotocký. En pleine déstalinisation, le chef de l’Etat finit par céder à ses amis, et autorise l’union de la camarade Olga avec le ressortissant capitaliste Hal. Le mariage est célébré à Prague le 27 mars 1957, sous le regard des envoyés spéciaux de Match…
La suite après cette publicitéVoici le reportage consacré au mariage d’Olga Fikotova et Harold Connolly, tel que publié dans Paris Match en 1957.
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Paris Match n°417, 6 avril 1957
Prague dans la rue pour les mariés olympiques
Par Olivier Merlin (reportage de nos envoyés spéciaux Vick Vance, Charles Courrière, Franz Goess)
La suite après cette publicitéLa suite après cette publicitéÉpilogue du roman d'amour né sur les stades de Melbourne. Le rideau de fer s'ouvre et permet à Harold l'Américain d'épouser Olga la Tchèque.
Il n'y a pas que les têtes couronnées pour illustrer des romans d'amour. Les dieux du stade, qui sont les violents héros de notre civilisation en marche, peuvent plus que d'autres remporter des victoires sentimentales où, après des péripéties dramatiques, tout se termine par le dénouement heureux du cinéma. C'est un conte de fées en forme de match, bien de notre époque, à l'issue duquel le sport aura réussi à faire sourire la politique, que viennent de vivre les jeunes mariés du rideau de fer : Harold Connolly, le colosse américain, champion olympique du marteau, et Olga Fikotova, la beauté tchèque, championne olympique du disque.
Pour être sûr d'avoir gagné la plus grande épreuve de sa vie, Connolly a épousé sa jeune femme trois fois le même jour, au matin du mercredi 27 mars, à Prague même : à l'hôtel de ville, à l'église et au temple.
Pourtant, le mariage avait failli ne pas se faire. Une semaine plus tôt, il paraissait remis sine die. Tandis que Connolly piétinait d'impatience en Allemagne, dans la petite ville épiscopale de Fulda, chez son ami et entraîneur allemand Karl Storch, Olga, sa fiancée, luttait à Prague pour obtenir la licence de mariage que les démocraties populaires n'accordent pour ainsi dire jamais à leurs ressortissants désirant épouser un libre citoyen du monde occidental. C'est en définitive le président de la République tchécoslovaque, M. Antonin Zapotocky, dont la championne n'avait pas hésité à solliciter personnellement la protection, qui fut l'artisan 11° 1 du mariage le plus romanesque des Jeux Olympiques, L'atmosphère spontanément chaleureuse dont la foule de Prague, en présence d'une police débordée, entoura la triple cérémonie matrimoniale du 27 mars, dépassa même le sentiment de l'admiration sportive pour se transformer en manifestation d'indépendance.
Harold Connolly et Olga Fikotova s'étaient connus à Melbourne. Début novembre, ils étaient installés au sein de leurs délégations, dans le village olympique de Heidelberg, éblouis par ce zoo d'athlètes venus de tous les pays, Scandinaves couleur de muraille, Jamaïcains à profil de lamas, Hindous à chignons et bavolets de soubrette. Harold, recordman du monde du lancer au marteau, affectait le genre sportif blasé. Olga, à peine sortie de sa Tchécoslovaquie natale, éclipsée par le ménage Zatopek, passait totalement inaperçue.
Mais le destin, qui sait être à l'occasion le plus malicieux des metteurs en scène, allait les faire se rencontrer dans cette tour de Babel en leur dispensant, comme sur un scénario bien monté, la gloire sportive et l'amour.
Dix jours avant l'ouverture des Jeux, Olga fête discrètement ses vingt-quatre ans. Le lendemain même, sa vie prend une nouvelle direction.
Ce 13 novembre 1956, plusieurs athlètes fleurant l'embrocation se coudoient dans un kiosque du village où est entreposé le matériel d'entraînement quotidien. Harold, avec deux supermen américains, joue bruyamment les éléphants dans le magasin de porcelaine. Il en vient à heurter de dos une très grande et très belle jeune fille en survêtement rouge marqué C.S.R., insigne de la Tchécoslovaquie. Il s'excuse. Elle se retourne : yeux couleur de miel, cheveux frisés coupés court, sourire éclatant d'amazone — le charme slave 1956 que souligne une voix un peu rauque prononçant quelques mots d'un anglais approximatif. Harold Connolly, de Boston (Massachusetts), reste gauche. Ils échangent un regard, se serrent vigoureusement la mail en sportifs et s'en vont, chacun de son côté.
Pendant dix jours, jusqu'à l'ouverture des Jeux, ils s'aperçoivent de loin au village sous le ciel australien désespérément pluvieux. Mais ils auront le temps de penser l'un à l'autre.
Olga Fikotova est née à Prague de parents modestes. Petite fille, elle jouait dans la rue au football avec les garçons. A dix-huit ans, c'est une gymnaste longiligne aux mensurations de Sokol (1 m 78, 73 kilos). Elle a passé son bachot, hésite à devenir hôtesse de l'air, finalement opte pour la médecine. Ce n'est qu'il y a deux ans qu'elle s'assimile avec une facilité déconcertante la technique du lancement du disque. L'été dernier, peu après avoir passé ses examens de deuxième année de médecine, elle bat le record de Tchécoslovaquie : 51 m 80. Elle est sélectionnée automatiquement pour. Melbourne.
Harold Connolly, lui, est le prototype de l'Américain idéal. Ses proportions (il mesure 1 m 83 pour 100 kilos) ne sont pas celles de l'Apollon du Belvédère mais, morphologiquement, sou cou de taureau, soul échine de bœuf et ses cuisses de lutteur de foire en font une machine redoutable à lancer le marteau.
Paradoxe de la nature, Connolly est né presque infirme du bras gauche, qu'il s'efforcera durant toute sa jeunesse de rééduquer. Né à Sommerville (Massachusetts), de parents modestes, comme Olga Fikotova, il est aujourd'hui professeur d'histoire dans une école publique de Boston.
Il a pratiqué le basket, le base-ball, même le football, enfin et surtout l'haltérophilie pour fortifier son bras gauche. En 1953, Connolly débute dans le lancement du marteau. Pendant l'été de 1954, il vient s'entraîner en Europe sous la direction de Karl Storch, chez lequel il trouvera encore l'hospitalité cette année et qui déjà le reçoit dans sa famille à Fulda. En octobre 1956, il bat le record du monde : 66 in 71. Son grand rival le Russe Mikhail Krivonosov le lui reprend immédiatement. Mais Connolly, qui s'entraîne cinq heures par jour en vue des Jeux Olympiques, fait mieux encore : 68 m 54, record actuel.
Le 22 novembre, un soleil tropical a fait son apparition à Melbourne pour l'ouverture solennelle des Jeux. Les compétitions des Antipodes commencent dans l'atmosphère heureuse d'une autre planète. Olga et Harold, qui concourront les deux premiers jours, seront couronnés aussitôt. Et aussitôt, dans l'euphorie du succès, ils seront libres. Libres de s'aimer, libres de savourer leur jeune gloire de dieux du stade. Leur roman d'amour naît de cette double exaltation.
Olga Fikotova remporte son titre olympique le 23 novembre. Toute une partie de l'après-midi sous les regards de 100 000 personnes, Olga, dont la beauté fait sensation au centre de la pelouse, défendra énergiquement sa chance face aux mastodontes russes Begliakova et Ponomarova, plus célèbre sous le nom de « Nina les petits chapeaux », l'ancienne championne du disque à Helsinki (disque féminin : 1 kilo, 18 centimètre de diamètre; disque masculin : 2 kilos, 21 centimètres de diamètre). Finalement Olga Fikotova porte à 53 m 69 le record olympique record du monde : 57 m 04 par le Russe Dumbadze) et à sa propre surprise enlève le titre. La jeune sélectionnée de l'équipe de Prague vient de donner une victoire -- et sa seule médaille d'or - à la Tchécoslovaquie.
Un spectateur à Leica, Harold Connolly, a suivi avec plus d'intérêt que les autres la performance de la grande jeune fille. Le lendemain, c'est à son tour d'entrer dans la cage des lanceurs de marteau et Olga, maintenant, va suivre la lutte épique que, centimètre par centimètre, l'Américain herculéen va livrer à son rival et ami, le colosse blond Krivonosov. On sait que le marteau consiste en un boulet de 7 kg 257, , pareil à celui des lanceurs de poids, relié à une double poignée par un fil d'acier mesurant 1 in 22. Outre sa musculature dorsale, qui lui perinet de faire tournoyer le marteau au-dessus de sa tête avec une puissance extraordinaire, Connolly doit sa force à la nouvelle technique que son maître allemand, Karl Storch, lui a inculquée, grâce à laquelle il exécute non pas trois, mais quatre tours sur lui-même. Sa victoire finale ne sera néanmoins acquise que par... 16 centimètres : 63 m 19 contre 63 m 03 à Krivonosov. Mais. Connolly montera, radieux, sur le podium, la médaille d'or serrée sur son cœur.
A dater de ce jour, Harold et Olga ne se quittent plus. On les verra partout, la main dans la main, ouvertement, ne cherchant nullement à cacher leur idylle. Ils musardent au village olympique, visitent Melbourne, ce petit New York de l'héinisplière austral, vont se baigner sur les plages de Port Philip Bay, le soir admirent le firmament surnaturel où brille la Croix du Sud. Ils s'appellent Olga et Hal (la jeune fille prononce « Hol »). Au bout de deux semaines -- les Jeux Olympiques sont terminés -- ils n'échangent toutefois aucune promesse ferme et n'envisagent pas une seconde de se marier clandestinement. Pour éprouver leurs sentiments, ils décident au contraire de regagner leurs pays respectifs et de réfléchir avant de se rencontrer de nouveau au Festival de la Jeunesse, à Moscou, en août 1957.
Connolly repartit le premier pour les Etats-Unis. Le 4 décembre, malgré l'heure matinale. Olga l'accompagnait à l'aéroport. Elle était extrêmement jolie avec ses joues toutes roses, ses dents éblouissantes et son foulard gamin noué autour du cou.
Olga s'embarqua deux jours plus tard, avec l'équipe tchèque, à bord du paquebot Grusia. Durant des semaines, le vapeur bondé d'athlètes et d'officiels du rideau de fer, se traîna interminablement par les îles Salomon, les Carolines, le Japon, pour atteindre enfin Vladivostok. Voyage jusqu'à Moscou en train. De là, l'avion jusqu'à Prague où, le 10 janvier, la championne olympique est accueillie en triomphatrice. Rayonnante, elle descend la première de l'avion tandis que Zatopek, un peu triste, ferme la marche. Mais elle ne souffle mot de son aventure sentimentale.
Olga rentre chez elle, dans la chambre meublée qu'elle occupe chez des amis de sa famille, 8, Narodni Obrany, à Dejvice, le quartier des universités et des écoles militaires, aux rues larges et tranquilles. Comme elle n'a aucune nouvelle de Connolly, elle lui écrit pour lui dire qu'elle ne l'a pas oublié. Le champion américain répond pour annoncer à Olga qu'il allait participer à une tournée de démonstration en Europe.
Le 26 février, Connolly descend de l'avion de Belgrade. Olga, prévenue enfin, est à l'aérodrome, pâle et crispée, craignant que ses souvenirs, distants de 15 000 kilomètres, ne l'aient trahie. Aucune déception : ils se jettent dans les bras l'un de l'autre. Dans la joie. de l'arrivée, tout de suite on fait des projets. Présentation aux parents qui vivent à Libis, près de Melnik, à une trentaine de kilomètres de Prague, où tous deux, le père et la mère, sont employés dans une usine de produits chimiques. Harold se voit aussitôt adopté. Il parle de sa mère, à laquelle il doit tout, et de sa sœur, avec lesquelles il partage, à Boston, un appartement « confortable, mais pas extravagant », de cinq pièces, où il compte un jour prochain vivre avec Olga.
Hélas ! le permis de séjour de l'Américain arrive vite à expiration. Connolly, bien décidé à lutter pour son bonheur, va s'installer en position d'expectative de l'autre côté du rideau de fer, à Fulda, chez son ami Storch. Démarches au ministère de l'Intérieur, audience du président de la République : finalement, l'impossible se produit. Le 22 mars, Olga Fikotova, radieuse, se voit accorder à la fois son autorisation de mariage et son passeport.
Cinq jours plus tard, dans un dénouement miraculeux digne du siècle de la vitesse, la triple cérémonie matrimoniale devait avoir lieu dans la capitale de la Bohême.
Ce mercredi 27 mars, à l'occasion d'un petit mariage de sportifs, la Prague des Habsbourg, bâtie dans sa situation majestueuse avec son château fort, ses flèches et ses coupoles sur les deux rives de la Moldau, eut l'air de fêter une journée d'indépendance.
Plusieurs milliers de personnes, dès 9 heures, attendaient les mariés sous les vieilles tours de l'hôtel de ville. Quand les voitures du cortège nuptial — trois Skoda grises et la Cadillac noire de l'ambassadeur U.S., Alexis Johnston — vinrent se ranger devant le parvis, tout le peuple de Prague était descendu dans la rue. Au bras de son père, Olga apparut très grande, très belle, à peine fardée, dans la robe de dentelle blanche que de confiance elle avait commandée depuis deux semaines, sa jolie tête inclinée sous une grande capeline, les pieds chaussés de « ballerines ») en vernis blanc. Puis vint Harold, en costume bleu marine, aux bras de sa belle-mère. Enfin, Emil Zatopek et sa femme Dana, tous deux témoins. La foule, dans son violent désir de célébrer ostensiblement la victoire de l'amour sur la politique, s'engouffra alors, au milieu d'une mêlée indescriptible, dans l'hôtel de ville. Là, devant le maire, en présence d'un membre du consulat américain, Harold Connolly prononçait son premier « Yes, I do », Olga son premier « Ano » (oui), et les deux jeunes mariés échangeaient un long baiser très cinéma, à la grande joie des cameramen et des photographes qui s'écrasaient dans ces lieux. Un peu plus tard, ayant sablé le champagne avec leurs invités, ils cassaient leur coupe, selon la tradition, sur le trottoir. Mais dehors, l'enthousiasme et la bousculade reprenaient de plus belle.
Ce n'est qu'à pied, parfois même en courant, que la noce parvint à se frayer un chemin jusqu'à l'église catholique de Tynski, à travers des ruelles médiévales noires de monde : une scène pour René Clair dans des extérieurs de Carol Reed.
Après la cérémonie catholique, terminée à 11 h 30, la noce reprit son souffle, sa marche et sa course, toujours pressée par la foule que poursuivaient des policiers débordés et de méchante humeur. Elle parvint en cet équipage à l'église évangélique protestante Salvator Kostel, paroisse de la mariée. Dans la nudité de murs blancs et de boiseries tristes, là, le troisième mariage était alors célébré.
A la sortie du temple, sous le soleil radieux, pour la première fois les nerfs d'Olga cédaient et de grosses larmes coulaient de ses beaux yeux : enfin, et si vite pourtant, ils étaient mariés pour de bon.
L'opération « Coeurs brisés » n'avait duré que trois semaines, un temps record pour le rideau de fer — la plus belle victoire olympique.
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