La colère publique a été monopolisée par le Rhodésien Michael Rousseau cette semaine. Mais permettez que je rappelle une situation scandaleuse qui a été éclipsée mercredi, le jour des propos du PDG de la compagnie aérienne Air Speak White.
Publié le 7 nov. 2021C’est Marie-Eve Morasse qui a sorti la nouvelle qui symbolise bien les excès de la sécurité d’emploi bétonnée à vie, jalousement défendue par les syndicats, mercredi matin. Le titre : « Un concierge harceleur a pu sévir pendant 10 ans ».
Lisez l’article de Marie-Eve MorasseLe gars travaillait pour la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Propos et touchers non désirés aux fesses et à la taille, le genre à faire des massages aux femmes sans qu’on le lui ait demandé. Le genre à donner à une enseignante un souvenir de vacances à connotation sexuelle en lui disant qu’il avait beaucoup pensé à elle, cet été…
Bref, un mononcle cochon.
Le gars a reçu des avis disciplinaires. À répétition. Il a reçu deux « dernières chances » en vertu d’un protocole signé avec son syndicat, la section locale 1208 du SCFP.
Comme dans le temps des prêtres pédophiles, on l’envoyait dans une autre école quand la situation devenait intenable dans l’école où il était affecté. Et il recommençait à sévir, de la même manière.
On l’a même envoyé en thérapie, à laquelle la Commission scolaire a participé, « en expliquant la situation à son thérapeute », relatait ma collègue Morasse dans son papier surréaliste.
Le concierge a toujours continué à toucher les femmes, à les mettre mal à l’aise, à accumuler les plaintes.
Dix ans. Dix ans de ça. Une vingtaine de femmes harcelées, touchées.
La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys a eu le temps de devenir le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys avant que le mononcle cochon ne soit finalement et officiellement congédié, en septembre dernier.
J’attire votre attention sur un passage de l’article, capital : « Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys dit avoir agi “promptement” et précise que “les conventions collectives prévoient une prescription des mesures disciplinaires données à un employé après un délai de 12 mois”. »
Permettez que je vous traduise ça en français : l’employé qui reçoit un avis disciplinaire (disons) le 15 janvier, eh bien, cet avis disciplinaire disparaît le 15 janvier de l’année suivante.
Disons que le 15 janvier, l’avis disciplinaire disparaît. Disons que le 16 janvier, l’employé repogne les fesses d’une autre enseignante. Vous suivez ? Eh bien, quand l’employeur va sanctionner l’employé, il va sanctionner un employé qui est réputé ne jamais avoir pogné les fesses d’une collègue : son dossier est vierge en la matière depuis le 15 janvier…
Ce n’est pas une joke. C’est ça, la « prescription ».
L’employeur ne pourra donc pas ramener sur le tapis le premier épisode de pognage quand il s’agira de déterminer la peine pour le deuxième épisode de pognage.
J’ai découvert cette cape d’invisibilité il y a quelques années, quand j’ai enquêté sur une enseignante d’une école de Montréal qui terrorisait les enfants depuis une quinzaine d’années. L’utilisation du verbe « terroriser » n’est pas faite à la légère, croyez-moi. Quand j’ai contacté une mère dont la fille désormais adulte avait naguère fréquenté l’école, elle a crié : « Mon Dieu, quelle horreur ! » quand je lui ai dit que je l’appelais au sujet de l’enseignante X.
Lisez la chronique « Si l’école était importante (5) » publiée en 2015Eh bien, cette enseignante qui harcelait psychologiquement des élèves du primaire, qui les rabaissait et les humiliait, leur criait dessus et leur commandait des devoirs qu’elle ne corrigeait pas a été vaillamment défendue pendant des années par l’Alliance des profs de Montréal.
Chaque avis disciplinaire était « prescrit », en effet : après quelques mois, l’avis disparaissait, et quand un autre parent se plaignait, eh bien, la direction faisait face à une enseignante dont le dossier était… vierge.
Oui, c’est fou net, je sais.
Finalement, parce que La Presse enquêtait, parce que le journal allait publier cette histoire surréaliste, boum, la Commission scolaire de Montréal et l’Alliance des profs ont convenu d’un deal. Ils ont déplacé l’enseignante cinglée, ils l’ont envoyée dans une autre école.
Je sais, je sais… Les syndicats vont me dire que le Code du travail les oblige à défendre tout le monde. Bien sûr, bien sûr.
Mais… Quelqu’un a entendu les syndicats québécois dire que cette obligation les force à défendre des pourris ? Pas moi.
Y a-t-il un leader syndical qui a levé la main publiquement, ces dernières années, pour dire que les lois et règlements actuels – qui permettent par exemple à un concierge harceleur d’échapper au congédiement pendant dix ans – devraient être revus ?
C’est comme les syndicats qui préparent les griefs pour contester l’« intolérable » désir du patronat de protéger les lieux de travail en obligeant les travailleurs à se faire vacciner : je n’en ai pas entendu un cr**** dire que ces griefs étaient déposés à contrecœur.
Pas un.
Donc, je veux bien, le cadre légal. Mais le monde syndical semble s’en accommoder assez bien, à tout prendre.
Je note en terminant que la section locale 1208 du SCFP qui représente les cols bleus du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys aurait pu commenter publiquement, il aurait pu dire qu’il avait été MALHEUREUSEMENT obligé de défendre ce concierge pogneux…
La section locale 1208 aurait pu déclarer qu’il faudrait peut-être repenser les lois et règlements qui permettent aux pourris de sévir pendant des années, comme ce concierge.
Mais non. Pas un mot. Silence radio.
Je cite l’article de Marie-Eve Morasse : « Le Syndicat des cols bleus du CSSMB, qui représente le concierge, n’a pas rappelé La Presse, tandis que le Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue. »
N’est-ce pas extraordinaire ?
Que le syndicat du col bleu soit gêné de parler, c’est une chose. Peut-être que je me cacherais, moi aussi, à la place de son président, Claude Bélanger.
Mais que le syndicat qui représente les 20 enseignantes qui ont subi les sévices du concierge sombre lui aussi dans l’omerta montre à quel point la solidarité syndicale est forte : faudrait surtout pas condamner un camarade syndiqué qui a été défendu par d’autres camarades !
Maintenant, imaginez à quel point ces deux syndicats seraient grimpés dans les rideaux, si le harceleur était un patron. Ça prendrait trois camions de pompiers pour parvenir à les décrocher des rideaux.
Mais quand c’est un camarade, le harceleur ? Ah, là, c’est pas pareil : tous les syndicats se ferment la gueule, dans un exemplaire effort de solidarité.