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Un nouveau «rideau de fer» divise l'Europe | LesAffaires.com

Depuis le 24 février, les troupes russes et ukrainiennes s'affrontent dans une guerre déterminante pour l'avenir de l'Ukraine et de l'Europe. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. L’ordre de l’après-guerre froide est révolu. L’invasion brutale de l’Ukraine par l’armée russe ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de l’Europe, avec un «rideau de fer» qui divisera encore une fois le vieux continent en moins d'un siècle, comme durant la guerre froide (1945-1989).

Aussi, les dirigeants politiques, les chefs d’entreprise et les investisseurs qui espèrent une sortie de crise à moyen terme devront déchanter. Nous entrerons dans une grande période d’incertitude politique à très long terme, car les sanctions économiques des pays occidentaux ne modifieront pas la stratégie de la Russie de Vladimir Poutine.

Même une éventuelle exclusion de la Russie du réseau SWIFT – un réseau interbancaire international incontournable pour transférer des capitaux ou faire des opérations sur devises – n’y changerait sans doute pas grand-chose, du moins à court terme.

L’attaque contre l’Ukraine vise vraisemblablement à installer un régime prorusse à Kiev (voire carrément à annexer le pays à la Russie, ou du moins une bonne partie) afin que l’État ukrainien reste définitivement dans la zone d’influence de Moscou et qu’il n’adhère jamais à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Le chef du Kremlin profite aussi pour éliminer une démocratie – certes imparfaite – aux portes d'une Russie autoritaire, qui craint l'influence de ce «mauvais exemple» à long terme pour la survie de son régime.

Cette guerre provoquera une grande volatilité des prix mondiaux de l’énergie, à commencer par le gaz naturel, surtout en Europe.

Jusqu’à il y a une semaine, les prix du gaz naturel sur la Bourse ICE Futures Europe avaient bondi de 400% depuis un an. Et si on tient compte de la dernière semaine, on parle d’une hausse de 800%, souligne entrevue Jules Boudreau, économiste, équipe des stratégies multi-actifs, chez Placements MacKenzie.

Le prix du pétrole demeurera aussi élevé à moyen terme, selon ce spécialiste, qui estime qu’un baril de pétrole à 100 $US est un prix plancher pour les six prochains mois.

L’invasion de l’Ukraine perturbera également les chaînes d’approvisionnement mondiales (déjà instables en raison de la pandémie), et ce, de l’énergie à l’agriculture en passant par les hautes technologies, l’aviation et l’automobile, selon une analyse de la firme de consultants Kearney.

Volkwagen va par exemple arrêter la production dans deux usines en Allemagne faute de pièces fabriquées en Ukraine.

La légende veut que ce soit Winston Churchill qui a popularisé l’expression rideau de fer, lors d’un discours prononcé en mars 1946, aux États-Unis, alors qu’un nouvel ordre géopolitique se mettait en place dans Europe de l’après-guerre.

L’ex-premier ministre britannique avait vu juste.

Entre 1945 et 1989, une frontière fortifiée a graduellement séparé les pays démocratiques (tournés vers les États-Unis) des pays communistes (tournés vers l’ex-Union soviétique), et ce, de la Finlande à la Grèce en passant par l’Allemagne – le pays et Berlin étaient divisés en deux.

Ainsi, le bloc de l’Ouest et de bloc de l’Est se sont toisés durant près de 50 ans, avec des crises aiguës, comme lors du printemps de Prague, en 1968, en Tchécoslovaquie (un pays satellite de l'ex-Union soviétique).

Ce rideau de fer est tombé aux tournants des années 1990, avec la chute du mur de Berlin et du communisme en Europe, qui a culminé avec la dislocation de l’Union soviétique – «la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle», selon Vladimir Poutine.

Certes, il serait très surprenant de voir réapparaître des frontières fortifiées entre la Russie et les pays partageant sa frontière.

Mais ne nous y trompons pas : si l’OTAN n’a pas l’intention d’intervenir directement en Ukraine pour aider le pays à résister à l’invasion russe (on fournira en revanche des armes aux Ukrainiens afin qu’ils puissent se défendre), elle concentrera de plus en plus de troupes dans les pays membres situés en Europe de l’Est.

Les pays de l'OTAN renforceront leur présence dans les pays membres limitrophes de la Russie, et ce, des pays baltes à la Roumanie en passant par la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne.(Carte: Starty 1er, Le Magnifique / CC)

On parle ici des trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie.

Cette constellation de pays (qui forment un arc sur une carte) sera un foyer de haute tension permanente avec la Russie dans un avenir prévisible. Les relations risquent d’être particulièrement corsées avec les pays baltes (trois anciennes républiques soviétiques), sans parler du fait que l’Estonie et Lettonie abritent d’importantes minorités russophones.

Dans ce climat tendu, plusieurs pays de l’OTAN pourraient aussi être la cible de cyberattaques russes, visant leurs infrastructures stratégiques (réseau électrique, réseau bancaire, etc.), sans parler de leurs fleurons industriels.

Et ce serait une erreur de croire que le Canada est à l’abri.

La guerre en Ukraine est aussi un réveil brutal pour la majorité des pays de l’OTAN, qui misent essentiellement sur les États-Unis pour les défendre.

Plusieurs d’entre eux décideront d’ailleurs sans doute d’augmenter leurs dépenses militaires par rapport à leur PIB afin accroître leur puissance militaire. Car, mis à part la France et le Royaume-Uni, peu de pays européens peuvent vraiment projeter la force.

Or, la puissance militaire est la seule manière de dissuader la Russie de Vladimir Poutine.

Les États-Unis devront aussi accroître leurs dépenses militaires, car ils devront désormais contenir deux puissances en Eurasie, la Russie et la Chine – cette dernière souhaite annexer Taïwan, qu’elle considère comme une province rebelle.

Les Américains l’ont fait durant une bonne partie de la guerre froide, ils peuvent donc le refaire, mais cela nécessitera nécessairement des ressources financières, humaines et matérielles supplémentaires.

Quant aux Européens, ils doivent garder en tête un élément crucial: l’élection présidentielle aux États-Unis en novembre 2024.

Quelle sera la volonté de Washington de contenir la Russie en Europe de l’Est si Donald Trump (ou un autre candidat républicain « trumpiste » et isolationniste) se présente dans la course à la Maison-Blanche et la remporte?

Exercerait-il le même leadership que l'actuel président Joe Biden?

On peut sérieusement en douter.

C'est la raison pour laquelle le résultat de la présidentielle américaine de 2024 représente un risque géopolitique majeur, aux côtés des velléités territoriales de Moscou.

Dans les années à venir, ll faudra donc avoir des nerfs d’acier dans les organisations afin de gérer cette incertitude, surtout pour celles qui sont actives en Europe de l’Est.

Cela dit, les générations précédentes ont appris à vivre et à prospérer durant la guerre froide et la menace soviétique; nous y arriverons également avec la menace russe.

Et la première étape consiste à réaliser que nous avons changé de paradigme en Europe cette semaine, et qu’un nouvel ordre géopolitique est en gestation sous nos yeux.

Avec un nouveau rideau de fer.