« Incapable », « menteur » et « parano », tel est le portrait-robot du « complotiste » selon la campagne anti-conspirationniste que vient de lancer le Gouvernement. Un site web, une cellule de Communication (le SIG, Service d’Information du Gouvernement) et une ministre (Najat Vallaud-Belkacem) sont mobilisés pour cette grande cause.
Le thème de la campagne nous rappellerait presque une célèbre publicité pour un jus d’orange : pourquoi les « complotistes » sont-ils méchants ? Parce que !… Comme nous l’explique doctement le site web du gouvernement, outre son ineptie et de ne reposer sur « aucune preuve », la théorie du complot « sème la haine contre les individus ou groupes d’individus qu’elle stigmatise » (1) : une expression délicieusement empruntée au vocabulaire habituellement utilisé pour parler de la xénophobie. Une phrase plus juste aurait été que “Les sites d’information indépendants nourrissent une colère légitime envers certains cercles de pouvoir”, mais le rédacteur n’a manifestement pas su résister à cet amalgame raffiné…
On lit encore sur le site du gouvernement que le complotiste ne fait pas de différence « entre régime autoritaire et régime démocratique » (sic) (2). Ce n’est pas une surprise puisque nous avons vu qu’il était à la fois idiot et méchant…
Le complotiste, chez qui rien ne peut décidément être sauvé, rejette également tout ce qui émane des « autorités publiques ou scientifiques », et surtout de ces dernières dont nous comprenons que, fatalement, elles lui donnent tort. Le complotiste préfère la « pseudo-science » et copier-coller à l’infini les âneries inventées par d’autres complotistes.
Le portrait est si absurde que la rhétorique gouvernementale se prend parfois les pieds dans le tapis. Ainsi nous est-il expliqué que « la théorie du complot cherche un ou des organisateurs secrets (…) qui auraient manipulé les événements dans l’ombre pour servir leurs intérêts : l’explication rationnelle ne suffit jamais. » Manœuvrer pour servir ses intérêts ne serait donc pas rationnel ?
Un compliment… caché
Le coeur du nouveau site est une infographie de type arbre de décision, qui vise à aide le bon citoyen à repérer les théories du complot. Hélas, c’est ici que le Gouvernement se trahit. L’infographie affirme en effet qu’une hypothèse qui « [repose] sur une conspiration dont les origines remontent à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles (et qui n’a, depuis, jamais été démontrée) » est une théorie du complot. Les mots sont clairs : le tort du « complotiste » est, notamment, d’avoir raison trop tôt. Les sites d’information alternatifs commettent donc l’erreur de révéler les mensonges d’État au moment où ils servent, plutôt que quand ils ont cessé de servir. Bigre, on frôle le compliment !
Restaurer la confiance
Certes, la défiance croissante du public envers les autorités est inquiétante. Mais à qui la faute ? Aux complotistes ou au Gouvernement qui ment depuis cinq ans sur le conflit syrien ? Aux complotistes ou au parti au pouvoir qui mène une « politique de l’offre », description explicite d’une politique de droite, alors qu’il s’appelle Parti Socialiste ? Combattre la défiance avec une campagne de communication revient peu ou prou à soigner un cancer avec des bouquets de fleurs.
Lettres de noblesse
En une dizaine d’années, les sites d’information alternatifs ont mûri, su fédérer un public de plus en plus large et acquis leur lettres de noblesse. Il y a désormais des centaines d’Étienne Chouard qui disent “Non”. Les sueurs froides du Gouvernement sonnent comme une récompense pour les militants qui animent ces sites, et les intellectuels et les scientifiques qui en sont la matière vive. Continuons.
Yves Ducourneau, le 14 février 2016
(1) « On te manipule.fr »
(2) « Déconstruire le conspirationnisme », par le SIG, 02/2015
