Oui, on peut guérir de la boulimie et de l'anorexie ! Mais le combat est long et difficile. Des médecins expliquent comment sortir de l’enfermement dans lequel se débattent les femmes souffrant de ces troubles alimentaires. Si chaque histoire est singulière, les thérapeutes ont néanmoins réussi à dégager des conseils précieux pour tous.
L'anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique font partie des troubles du comportement alimentaires (TCA) les plus courants. Elles débutent le plus souvent à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Les personnes les plus touchées sont essentiellement des jeunes filles adolescentes, même si les TCA peuvent aussi concerner les hommes et les personnes de tout âge.
Boulimie mentale et anorexie mentale : définitions
L'anorexie mentale, également connue sous le nom d'anorexie nerveuse, est "un trouble des conduites alimentaires qui survient le plus souvent au moment de la puberté. Il se manifeste par un refus catégorique de s’alimenter normalement pendant une longue période, pour perdre du poids ou ne pas en prendre", écrit l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) (source 1). Elle se déclare le plus souvent entre 14 et 17 ans, avec un pic de prévalence maximale à 16 ans. "Environ 20% des jeunes filles adoptent des conduites de restriction et de jeûne à un moment de leur vie mais seule une minorité d’entre elles deviennent anorexiques, présentant alors tous les critères diagnostiques associés à ce trouble".
La boulimie mentale, également appelée boulimie nerveuse se caractérise par le fait d'ingérer rapidement une très grande quantité de nourriture, en cachette, avec une sensation de perte de contrôle - et ce au moins deux fois par semaine. La boulimie touche environ 1,5 % des 11–20 ans et concerne environ trois jeunes filles pour un garçon, note la Haute Autorité de Santé (HAS) (source 2).
Une personne atteinte d'anorexie mentale va restreindre son alimentation dans le but de contrôler son poids. Au contraire, une personne atteinte de boulimie mentale a des compulsions alimentaires qui vont l'empêcher de contrôler son poids alors qu'elle le voudrait.
Chez certaines personnes, l'anorexie et la boulimie peuvent coexister : elles alternent alors crises de boulimie, puis vomissements volontaires et périodes de jeûne.
Quelles sont les causes et quels sont les symptômes ?
La plupart des TCA ont des causes multifactorielles. Ils seraient le résultat d'une interaction entre des facteurs psychologiques (personnalité, stress émotionnel, choc psychologique, traumatisme, etc. ) etenvironnementaux (éducation, famille, milieu social...) et biologiques.
"Le diagnostic de l’anorexie mentale repose sur des critères cliniques précis, issus des classifications internationales (CIM et DSM 5)", explique la HAS (source 1). Ces critères sont :
On peut également citer l’absence de règles depuis au moins 3 mois (aménorrhée) chez la patiente ainsi qu'un ralentissement de la croissance.
La boulimie mentale se caractérise selon la Haute Autorité de santé (source 2) par :
Les personnes souffrant de boulimie ont généralement un IMC normal en raison des comportements compensatoires", précise l'Inserm.
Boulimie nerveuse, anorexie nerveuse : quels sont les traitements ?
La vie est devenue un enfer, le trouble alimentaire insupportable. "Je n’avais plus le courage de faire quoi que soit", dit Émilie, 24 ans, comme beaucoup d’autres, a pris la décision de se soigner. Mais comment et vers qui se tourner ? "Il faut cesser d’opposer les approches, mais les juxtaposer pour plus d’efficacité thérapeutique", insiste le Pr Vincent Dodin, psychiatre.
Le suivi médical et la rééducation nutritionnelle permettent de soigner la dénutrition, qui survient aussi bien dans l’anorexie que dans la boulimie avec vomissement.
S’inscrit en parallèle la psychothérapie, association de thérapie individuelle d’inspiration analytique, de thérapie familiale, de thérapie de groupe, ou de thérapies comportementales et cognitives. Il s’agit de revisiter les faits de son histoire qui ont pu être douloureux et générer des blocages, des phobies ou des inhibitions.
Aider la personne à comprendre ce qui a pu se passer et se construire en elle pour qu’elle en arrive à un tel comportement, explique la psychothérapeute Sophia Ducceschi. Au fil des séances, le maillage de la mésestime de soi se défait.
Lors de la prise en charge, la thérapie revisite également les représentations erronées concernant l’équilibre alimentaire, le poids, la manière dont la nourriture se répartit sur le corps, celle dont on se perçoit par rapport aux autres...
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Pour la Dre Colette Combe, la chronobiologie permet de corriger le chaos des premiers symptômes associés à la boulimie comme à l’anorexie."Les patientes sont souvent étonnées que je sache qu’elles souffrent aussi de troubles du sommeil", constate la spécialiste, qui conseille de manger et de se coucher à des heures régulières, en remontant l’heure du coucher, demi-heure par demi-heure. "Ce cadre m’a rassurée, témoigne Émilie. On lâche sur certaines choses, on reprend le contrôle sur d’autres".
Les petites victoires sont très progressives, et au début surtout, il faut accepter d’avancer pas à pas.
Il ne faut pas chercher la perfection, être dans le tout ou le rien, mais plutôt faire l’expérience que de petites améliorations changent tout, observe le Dr Combe.
"Dans le cas de la boulimie, perdre un kilo ou deux, et l’on respire mieux. En prendre un tout petit peu, et les pensées anorexiques sont moins fortes. Le début du changement, c’est faire l’expérience de l’échec, c’est une leçon qui permet de s’améliorer. La seule qualité qu’il faut avoir, et elle dépend de la motivation, c’est d’être régulier dans des efforts accessibles et réalisables", poursuit l'experte.
Repérer les avantages qu’il y a à pouvoir sortir de cette maladie entretient la motivation.
"L’anxiété naît de ne pas avoir compris que l’erreur, la défaillance s’examinent et se pensent", dit le Dr Combe. La psychiatre propose de parler de ces échecs avec un ami, un proche ou un thérapeute dans l’intention d’en tirer “les leçons de l’expérience”. "Parler comme on rêve à deux, mettre des images symboliques des vécus sur les émotions et les ressentis est le début du traitement du trouble, les images soignent, les métaphores nourrissent", explique-t-elle.
À lire aussi"Imaginez ce que vous attendez de votre vie, vers quoi vous mènerait votre désir de vie si vous n’étiez pas malade. Ne vous souciez pas si cela est réalisable ou pas. Qu’est-ce que vous vous souhaitez pour les cinq ans qui viennent ?", demande à ses patients la Dre Combe, qui sait qu’on ne guérit d’un trouble que si l’on devient plus libre d’être soi-même.
D’être dans ses désirs, même si cela signifie changer d’orientation, de métier, de compagnon. "Je témoigne que ceux qui ont guéri ont osé être eux-mêmes, quitte à être 'le vilain petit canard' de la famille", poursuit la spécialiste. La maladie ne s’inscrit plus comme une identité.
Il est important de s'entourer et de voir des personnes qui ont vraiment guéri. Cette démarche peut être réellement encourageant et motivante pour la personne malade. "Tant qu’on ne les a pas vues, on a du mal à y croire", dit Émilie. Cela concrétise la possibilité de s'en sortir un jour.
"Dans ces pathologies, le corps n’est pas seulement malmené, il est nié. Réaliser et accepter qu’il existe est une façon de se soigner", révèle Sophia Ducceschi. L’idée est donc d’introduire un soin du corps qui soulage, qui détend, qui fait du bien : massage, sophrologie, ostéopathie, yoga, tai-chi, institut de beauté, hammam...
"Ces activités permettent de se recentrer sur le corps, vivant, palpitant, qui a des rythmes. Elles “obligent” à prendre le temps d’être à l’écoute de son corps", explique le Pr Dodin.
Il est important d’ouvrir une autre fenêtre sur sa vie que les études, le métier, ou la famille... Trouver une occupation, une activité, un centre d'intérêt, aller vers la musique, le chant, le dessin, le théâtre, les jeux de société permet de découvrir la relation à l’autre pour en avoir moins peur. Et de se découvrir.
Conseils en cas de boulimie
Le Dr Combe conseille d’ajouter des féculents et des protéines à chaque repas pour réduire la fréquence des crises. C’est la raison pour laquelle elle oriente vers un petit déjeuner à l’anglo-saxonne, avec du pain et des protéines : fromage, fromage blanc, jambon ou œuf.
"Je ne donne aucune notion de quantité, préférant jouer sur la qualité". La viande permet, en outre, de réintroduire la symbolique de mâcher, de mordre la vie. "Refaire vivre les dents et le mordant, dans la vie, plutôt qu’engloutir, permet de reconstruire l’oralité".
À lire aussiLa fin de repas est normalement déclenchée par le fait que l’estomac est plein. "Ce n’est pas le cas chez quelqu’un dont l’estomac est dilaté", il n’arrive pas à s’arrêter, dit Colette Combe.
La première chose est de réduire la taille de l’estomac : ne pas boire en même temps que l’on mange, et ne pas se dilater l’estomac avec des aliments hypocaloriques (yaourts, pomme, crudités, salades vertes). La deuxième, de manger des aliments nourrissants au sens énergétique du terme, féculents et protéines.
"Pour la plupart des personnes boulimiques, c’est plus facile de manger avec quelqu’un que seule. Si ce n’est pas le cas, je conseille de faire des pauses, d’écouter de la musique par exemple. Le repas doit être un moment heureux et calmant", dit le Dr Combe.
Repérer les émotions fortes, tristes ou joyeuses, qui peuvent déclencher des crises permet d’anticiper les situations délicates et de mettre en place des stratégies pour les éviter. Certaines sont plus faciles que d’autres à éliminer, commencer par les premières est un bon début.
"Dans le cas le plus heureux, la motivation, les projets, l’envie d’être comme les autres, suffisent à les réduire. Si ce n’est pas le cas, il faut les éroder un à un, diminuer de quatre à trois, puis de trois à deux crises par jour ou par semaine...", poursuit le Pr Dodin. "Quand il n’y a plus de vomissements pendant trois semaines, c’est fini. On s’aperçoit que l’on retrouve son énergie et son équilibre émotionnel", note Colette Combe.
“Ça ne passe pas”, “je l’ai en travers de la gorge”,“je n’arrive pas à l’avaler”... sont des expressions qui soulignent la symbolique de l’alimentation. "Un fait difficile à encaisser peut se manifester par une gêne à se nourrir", dit le Dr Combe.
C’est un état de crise, forme simple de la crise d’adolescence, manifestation de protestation ou réaction à la déception vis-à-vis des adultes. Or, la déception, l’injustice font partie de la vie d’adulte. Savoir que si l’on se referme dessus, elles s’aggravent, suffit souvent à l’assimiler. En parallèle, il faut donner le goût de croire que l’on peut inventer autre chose.
Il s’agit de réintroduire les protéines et les féculents, en petites quantités au moins au début, pendant deux à trois semaines : un demi-steack, trois cuillerées à soupe de riz cuit, de pâtes ou de purée, et troquer les yaourts par un morceau de fromage, chèvre, brebis, gruyère, plus nourrissant. En sachant que "les protéines ne font pas grossir et qu’elles donnent de l’énergie pour disposer de sa volonté", explique le Dr Combe.
Pour ce qui est des féculents, "c’est revenir à la première alimentation de l’enfant, c’est donc facile d’y réhabituer un tube digestif qui ne mange plus depuis un certain temps", poursuit la spécialiste.
Les personnes anorexiques ne peuvent pas se réalimenter comme les autres si aisément, les microvillosités de l’intestin, sorte de tapis sur lequel les aliments sont coupés en molécules, étant atrophiées.
En outre, attribuer des objectifs réalisables donne confiance dans la capacité à les atteindre car très vite, il y a une renutrition qui permet de sortir du brouillard. Cette étape passée, il est proposé d’augmenter la quantité des aliments, de varier les menus, les textures et les goûts.
Au début, comme lors de la puberté, la prise de poids n’est pas harmonieuse. "Le corps perd son aspect osseux, il s’arrondit. Cette transformation fait d’autant plus peur qu’elle n’est pas jolie", témoigne Émilie.
"Heureusement, ma thérapeute m’a de nombreuses fois rassurée et répété que cela était transitoire, qu’à terme les lignes et les courbes seraient plus harmonieuses. Cela m’a aidée à m’accepter à me regarder, à ne pas relâcher mes efforts, à me dire que ce petit ventre qui poussait, c’était le mien et qu’il m’irait peut-être bien !".
Troubles du comportement alimentaire : où trouver de l'aide ?
La Fédération Nationale des Associations liées aux Troubles des Conduites Alimentaires (FNA-TCA) vient en aide aux personnes souffrant de TCA, ainsi qu’à leurs proches : familles, conjoints ou compagnons, amis, collègues de travail…. Forte de ses treize ans d’existence, elle participe à la reconnaissance des TCA comme problème majeur de santé publique.
L'association Enfine est une association loi 1901 réunissant des professionnels (psychologues) et des non-professionnels bénévoles désireux d'apporter écoute et soutien aux personnes souffrant elles-mêmes, ou ayant dans leur entourage des personnes souffrant de TCA.
Fondée en 1999 à Strasbourg par des professionnels et des parents, ARTTA est un réseau régional dont la mission est de promouvoir et de soutenir toutes les formes de traitement, d'aide et d'accompagnement pour l'anorexie et la boulimie.
La Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB) est une association qui regroupe des spécialistes du dépistage, du diagnostic, de la prise en charge, du traitement et de la recherche sur les troubles du comportement alimentaire (TCA), ainsi que des représentants des fédérations et associations de familles et d'usagers.
Les Anorexiques Boulimiques Anonymes sont une fraternité de femmes et d’hommes qui partagent leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et d’aider d’autres anorexiques et boulimiques à se rétablir.
Association Boulimie Anorexie (ABA) est une association de bénévoles, parents et ex-malades, dans le but de venir en aide aux parents, d'apporter soutien et renseignements également aux proches ainsi qu'aux malades confrontés au problème des troubles alimentaires.
Source 1 : "Anorexie mentale - Un trouble essentiellement féminin, à la frontière de médecine somatique et de la psychiatrie", Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 13/06/2017.
Source 2 : Recommandations de bonne pratique "Boulimie et hyperphagie boulimique : Repérage et éléments généraux de prise en charge", Haute Autorité de Santé, 12/09/2019.
A lire aussiAuteur : SNathalie CourretExperts : Dr Gérard Apfeldorfer, psychiatre psychothérapeute, Groupe de recherche sur l’obésité et le surpoids ; Dre Colette Combe psychiatre, psychanalyste, responsable du DU des troubles des conduites alimentaires, université Lyon 1 ; Pr Vincent Dodin psychiatre, chef de service Groupe hospitalier de l’Institut catholique de Lille ; Sophia Ducceschi psychothérapeute spécialisée TCA (troubles du comportement alimentaire). Article mis à jour par Mathilde Pujol, Journaliste santé