L'autre jour, une fois n'est pas coutume, je m'aventure dans les allées d'un hypermarché. À la caisse, je me trouve derrière une dame qui pousse son caddie. Voici ses courses: jambon (quatre tranches), cuisses de poulet, fromage de tête, lardons, betteraves, mâche, laitue (prélavée), tête de brocolis, tomates cerises, endives, raisins, avocats, pommes, pain tranché, eau minérale (pack de six), bananes, noix, framboises, papier absorbant (pack de trois rouleaux), champignons de Paris et basilic.
Elle les pose sur le tapis, attend le bip, règle avec sa carte de fidélité et replace ses provisions dans son sac réutilisable apporté pour l'occasion. «Un geste pour la planète», comme il est écrit sur le côté. Il y a un pourtant un hic: tous ces produits (sauf les pommes, pesées par la dame) présentent une caractéristique commune. Ils sont tous emballés dans un plastique…
Cette duplicité est embarrassante. Pour les groupes de la grande distribution, l'engagement écologique est un passage obligé et une communication imposée. Le greenwashing se conjugue dans les détails. En l'espèce, le sac écocitoyen –n'ayons pas peur des mots– fait désormais partie de la panoplie vertueuse des GMS [grandes et moyennes surfaces, ndlr] et autres hypermarchés. Il a son utilité mais n'est qu'une pitrerie commerciale, un symbole de l'hypocrisie ambiante, un masque vert posé comme un nez rouge sur le visage d'une société empêtrée dans ses contradictions. Un pseudo «geste pour la planète» alors que l'organisation du système commercial contribue à la piétiner.
Les achats en grande surface supposent d'arriver et de repartir en voiture. L'obsession du prix le plus bas induit des courants d'importation sur des milliers de kilomètres. Les professionnels savent créer des univers de besoin fondés sur l'image et la profusion, orientées vers la (sur)consommation. Et ce fameux sac présenté comme écolo ne contient que des produits sous plastique. Cette imposture écologique est indécente.
Il ne faut pas exonérer la responsabilité du consommateur. Le sac réutilisable est une façon de se donner bonne conscience. Certes, c'est un peu limité, comme enlever une goutte dans un océan, mais si les gens savaient comment réduire leur empreinte carbone, beaucoup le feraient volontiers. Le problème est que personne ne sait vraiment ce qu'il faut faire. Difficile d'aller en baie de Somme en vélo avec une valise!
Tant que le train coûtera souvent jusqu'à deux fois plus cher que la voiture, tant que les Européens importeront une partie de leur consommation de pays qui se fichent du changement climatique, tant que le nœud gordien entre protection de l'environnement et pouvoir d'achat ne sera pas tranché, tous les discours seront vains et les efforts resteront anecdotiques.
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L'évolution vers la consommation sur internet ne va pas arranger les choses. Car le code barre, indissociable des commandes sur des plateformes de vente en ligne, s'applique sur un support… en plastique. Les nouveaux consommateurs ont besoin de leur dose de polyéthylène. Le sac vert suffira-t-il à inverser la tendance?
Que dire de la réponse publique? En octobre, pas moins de trois ministres ont signé un décret interdisant les emballages plastiques pour les fruits et légumes frais (avec son lot d'exceptions, bien entendu). La mise en œuvre sera étalée entre 2022 et 2026. Il y a deux ans, l'Union européenne a adopté une directive prohibant les plastiques à usage unique, à commencer par les touillettes à café et les cotons-tiges pour les oreilles. N'est-ce pas burlesque?
La Chine construit autant de centrales à charbon qu'il y a de jours dans une année, les États-Unis hésitent, le Brésil détruit consciencieusement le poumon du monde, et nous choisissons de rouler en ville en trottinette et en vélos fabriqués à l'autre bout du monde et de supprimer les cotons-tiges et les sacs en plastique! Ces deux textes sont le symbole d'une technocratie insatiable qui pond ce qu'elle peut pour faire oublier les carences de choix politiques. À défaut de trancher –car moins polluer coûte plus cher–, le politique s'échine à réglementer.
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Cette mystique réglementaire rappelle la fascination technologique illustrée par cette anecdote. Dans les années 1970, astronautes américains et cosmonautes russes se rencontrent. Ils débattent des difficultés rencontrées lorsqu'il s'agit d'écrire une note en apesanteur. Les Américains évoquent un système ingénieux avec des pompes qui permettent de pousser l'encre. Mais cela ne fonctionne pas trop bien car le débit est toujours déréglé. Et vous? interroge l'astronaute. Nous, répond le Russe, on prend un crayon.
Face à l'urgence climatique, les groupes réinventent l'eau chaude, les consommateurs mettent la tête dans le sac, et les pouvoirs publics sont pris d'une frénésie administrative! Il y a encore plus urgent que l'urgence climatique: l'urgence du bon sens. Si seulement cette dame avait fait ses courses au marché avec un panier…